information par et pour les luttes, Rennes et sa région

[5e jour sur la ZAD] Territoires en lutte, 2e partie

Zad de Notre-Dame-des-Landes
Cultures - Contre-cultures Luttes paysannes - ruralité Mouvements sociaux

"Les inspirations du passé"
Discussions sur l’apprentissage des luttes du passé

En cette belle matinée du vendredi 31 août, nous avons rendez-vous sous le beau chapiteau de la Mutmat [1] monté aux côtés de l’Ambazada. La fatigue de la belle fête de la veille se fait sentir, les participant·es aux rencontres dégustent leur petit dèj’ au soleil.

Sous le chapiteau, des copines mettent en place tout le système de cablage qui va servir aux multiples traductions. Le chapiteau se remplit progressivement, avec une bonne demi-heure de retard sur le programme.

Un habitant du Val Susa nous raconte toutes les sources d’inspiration de leur lutte contre le TAV. Un exposé des références historiques des luttes italiennes dans les Alpes nous est présenté. Au Val de Suse, les habitant·es ont fait l’expérience, par exemple, de la résistance au fascisme en rencontrant des partisans, illes ont étudié les tactiques des combattant·es qui ont lutté dans la vallée.

Un camarade de la ZAD prend ensuite la parole pour nous avertir qu’il ne s’agit pas d’être nostalgique du passé mais bien d’utiliser la mémoire vivante des luttes pour agir, nourrir, inspirer nos luttes actuelles.
Il souligne que la transmission orale sur la ZAD s’est effectuée principalement par des discussions au bar, des veillées à la ferme de Bellevue, ...
Parfois, le jeune révolutionnaire d’aujourd’hui qui a besoin de se prouver quelque chose, est incapable de saisir la radicalité diffuse de tous ces petits vieux qui racontent leurs histoires de luttes.

1/ L’histoire des communaux des landes bretonnes, du rapport au territoire jusqu’à la fin du 19e siècle.

François de Beaulieu, naturaliste breton qui s’est fasciné pour l’histoire des landes raconte dans son livre l’évolution du bocage breton.

Alors que les premières terres encloses étaient bien-sûr les plus arables, le territoire des landes n’était pas soumis aux inclosures, car c’étaient des terres ingrates, humides laissées aux usages communs.
Une forme d’auto-organisation communale s’y caractérisait par une multiplicité d’usage des terres : production de quoi se chauffer, se nourrir, se soigner, ... C’étaient des espaces de ressources, de gratuité et de partage où la communauté villageoise pouvait puiser de quoi répondre à une partie significative de ses besoins.
A partir de la révolution française, on assiste à une offensive contre les communaux. La révolution se retourne contre les usages paysans, avec le partage des communaux. Les terres sont attribuées à des individus, c’est la naissance du fermage. La terre n’a plus d’usage libre, commun, il se réalise dans le cadre d’un contrat individuel avec une contrepartie qui prend la forme d’une partie de la récolte ou d’un loyer en argent. C’est toujours la réalité hégémonique aujourd’hui.

C’est une histoire que les camarades de la ZAD ont découvert grâce aux récits des anciens, mais dont la majorité des habitant·es actuel·les a été dépossédée. La réappropriation des luttes anciennes se fait plus sous la forme de captation de traces diffuses, beaucoup plus que pour les expériences actuelles.

2/ Histoire de l’agitation dans le pays nantais depuis 1955 jusqu’à nos jours

Un intervenant revient sur l’histoire de la composition inédite entre étudiant·es, paysan·nes et ouvrièr·es lors de l’histoire de la commune de Nantes et explique pourquoi Mai 68 a été plus intense à Nantes qu’ailleurs, avec la reprise en main de la ville dans son entier par les participant·es.

D’abord, est soulignée la forte tradition syndicaliste, avec un grand usage de l’action directe, avec de violents affrontements entre métallos et policiers par exemple. Il y a un mort lors de l’assault de la préfecture de Nantes par exemple en 1955.

Dans un second temps, est développée la naissance des paysans-travailleurs.
Le paysage du syndicalisme paysan à la sortie de la guerre prend racine dans le régime de Vichy, "la terre ne ment pas", avec le mythe de l’unité paysanne.
Le Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) regroupe les jeunesses de la FNSEA qui se sont retournées progressivement contre leur syndicat.
En effet, la CNJA devient petit à petit une organisation politique, ses membres défendent des thèses contre le syndicalisme patronal pour inscrire les paysans dans la lutte des classe et le mouvement révoutionnaire.
Illes partent à l’assault des fédérations départementales du syndicat. Cela produit une forme d’agitation paysanne très virulente. Illes fédérent tous ces syndciats dans une fédération, une coordination en 1966 qui rejoint l’intersyndicale où il y a déjà la CGT, la CFDT, ...
Ensemble, ils planifient des manifestations avec le mot d’ordre "L’ouest veut vivre". Ces manifestations virent à l’émeute à Quimper, à Redon : voie ferrée bloquée, préfecture incendiée.
Les liens entre syndicalisme paysan et syndicalisme ouvrier permettent l’organisation d’une grosse manifestation le 8 mai 1968 à Nantes.

Sur un troisième plan, il y a le syndicalisme étudiant qui regroupe une bande de jeunes inspirée par le scandale de Strasbourg et les situationnistes. Illes détournent la caisse du syndicat étudiant pour faire des affiches subversives et appeler à des manifestations émeutières devant le rectorat. Illes prennent le syndicat UNEF, qui devient une coordination des minorités révolutionnaires du pays nantais.

Cette composition permet la commune de Nantes du 24 mai au 6 juin 1968, la mairie est occupée, les raffineries fournissent du carburant aux paysan·nes qui ravitaillent les grèves. Cette composition unique va se prolonger pendant dix ans, notamment grâce aux paysans travailleurs.
En 1970, Bernard Lambert publie "Les paysans dans la lutte des classes", il est viré du syndicat majoritaire, la FNSEA. Pour lui, les paysan·nes sont aux côtés des révolutionnaires. Les paysan·nes ne pouvant pas faire grève, illes sont obligé·es de construire d’autres répertoires d’action. La guerre du lait a lieu avec la prise en otage de tous les camions citernes de lait. Cette guerre du lait est extrèmement violente. En 1972, ont lieu les assises des paysans-travailleurs.
L’Etat refuse de reconnaître les paysans-travailleurs en syndicat, illes sont obligé·es de se regrouper en association et ont donc du temps pour lutter. Les luttes foncières prennent forme dans de nombreux villages : empêcher les expulsions de paysans, prendre des fermes vides pour installer des jeunes paysans, la marche sur le Larzac, le ravitaillement des grèves avec la production, les luttes anti-nucléaires, ...

Malgré le fait que Mitterrand leur permet de devenir un syndicat professionnel (la Conféderation Paysanne), malgré le reflux des luttes sociales, cette spécificité de l’histoire des luttes locales permet de comprendre la lutte contre l’aéroport aujourd’hui.

Pour prouver que la mémoire ne doit pas être nostalgique mais agissante, développons pour conclure 3 exemples actuels s’inspirant des luttes passées :

  • Avec le réseau de ravitaillement des luttes, la cagette des terres depuis la ZAD.
  • Le serment des batons comme le souvenir de la marche des paysan·nes qui ont marché depuis le Larzac jusqu’à Paris.
  • Dans le mouvement social à Nantes, la constitution du Comité d’Action Nantais qui réunissait étudiant·es, zadistes, syndicalistes, paysan·nes.

Présentation des réseaux de ravitaillement des luttes

Rendez-vous à l’Ambazada pour la discussion la plus attendue de la semaine : la présentation des réseaux de ravitaillement nantais et rennais.

Dans le sillage de la commune de Nantes en mai 68 et des paysans-travailleurs, la longue histoire des luttes et des solidarités dans le pays nantais se prolonge sur de multiples fronts. Une façon parmi d’autres d’alimenter ces luttes, c’est justement de les nourrir, avec une partie des productions qui viennent des campagnes proches.

Depuis sa création en 2017, la Cagette des terres sillonne les piquets de grève (des postiers aux métallos en passant par les infirmières), les occupations, les réquisitions de bâtiments par les exilé·e·s en lutte et les manifs nantaises. Le réseau déploie des petits déjeuners, des banquets, distribue des cagettes aux grévistes...

Il s’articule autour de quatre piliers : une veille sur les fronts de lutte par les personnes impliquées ; un réseau de paysan·ne·s du coin soucieux de contribuer aux luttes sociales par leur production ; des cotisant·e·s solidaires qui permettent de rémunérer les producteurs et de distribuer gratuitement les denrées ; des petites mains qui font la cuisine, organisent des chantiers, constituent un stock de bocaux.

Renforcer ces geste de ravitaillement paraît primordial. Parce qu’ils sont préceixu et aident à tenir ; parce qu’ils permettent la circulation et les liens entre les mondes en lutte ; parce qu’il est urgent de s’essayer des formes communistes de distribution des denrées alimentaires qui cherchent à s’affranchir de l’économie capitaliste.

A Rennes, c’est à partir du cartel de cantines né pendant le mouvement contre la Loi Travail en 2016 que la dynamique autour de l’autonomie alimentaire a commencé. Grâce à la production de légumes cultivés sur un champ collectif, grâce au colportage auprès de maraîchers bio des alentours de Rennes, Le réseau de ravitaillement des luttes du pays rennais a pu distribuer de nombreuses cagettes de soutien aux grévistes ce printemps.
Une des rencontres phares du réseau a été les postiers et postières en grève pendant quatre mois à Rennes. Deux fois par semaine, les membres du réseau se sont efforcés d’apporter leur soutien aux grévistes par la distribution de cagettes remplies de denrées : légumes, fruits, jus de pomme, confitures, pain, ... Au delà du simple ravitaillement, ces gestes de solidarité concrète ont permis une véritable rencontre qui perdure après la fin de la grève. Quand des syndicalistes de Sud Ptt viennent désherber les oignons du champ collectif qui serviront à la confection de cantines de soutien à la rentrée, lorsque des membres du réseau se retrouvent à travailler à La Poste pendant l’été, on réalise la profondeur des liens qui se sont tissés durant la grève du printemps.

L’ambition de la rentrée pour ces réseaux de ravitaillement des luttes est de faire perdurer ces liens, approfondir le travail de connexion avec le réseau paysan, renforcer la force matérielle avec des ateliers transfo, des espaces de stockage, des lieux de distribution, ...
Un info-tour commun se profile pour partager ce travail de composition avec d’autres villes afin de diffuser les outils nécessaires à la création de ce genre de réseau de ravitaillement qui ne pourra se constituer qu’à partir de réalités locales et de désirs, besoins, connaissances existantes.

Notes

[1La Mutmat est une mutelle de matos sur Rennes, contact mutmat@riseup.net

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