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AFFAIRE 1 : "Voici le voleur, est-ce lui qui vous a volé ?" Etablir la culpabilité dans une audience en comparution immédiate.

Rennes
Répression - Justice - Prison

Premier compte-rendu d’audience au Tribunal.
Tribunal de Grande Instance de Rennes (Cité Judiciaire)
18 novembre 2016 - Audience : Salle 105, 16h - Comparution immédiate
Juge : Nicolas LEGER

L’interprète n’étant pas équipé d’un micro, et placé assez proche du bureau du juge, ses traductions n’étaient pas toujours audibles pour le reste de la salle. Il manque donc certaines réponses du prévenu dans ce compte-rendu.

Lorsque l’audience débute, l’interprète est absent, l’audience est suspendue le temps qu’il se présente.
Le prévenu, dans le box des accusé-e-s, est racisé, en face de lui, tous les magistrat-e-s sont blanches et blancs.
A l’arrivée de l’interprète, le prévenu est à nouveau démenotté, toute la salle se lève une seconde fois quand le juge vient se rassoir.

Le juge lit les déclarations faites par le prévenu sur son identité, dans le PV.
J : Vous dites être d’origine algérienne, né en 1999. Votre ville natale est-elle proche ou loin de la mer ?

Le prévenu est accusé d’avoir volé le portefeuille d’une personne et le téléphone d’une autre.
Le juge lui demande s’il accepte d’être jugé maintenant ou préfère reporter l’audience pour préparer sa défence, préparation qu’il effectuera probablement en prison, selon le magistrat.
Le prévenu accepte la CI.

Ce Tribunal n’est pas compétent pour juger les mineurs, rappelle N. Léger. Il poursuit :
J : En aout 2016 un médecin légiste, par une radiographie du poignet de prévenu, a constaté que la croissance osseuse était terminée. Des examens de votre dentition, taille et poids constituent un sensemble d’éléments concordant à prouver votre majorité. "Le Tribunal appréciera si le médecin s’est trompé ou si vous mentez."

Le juge reprend sa description des faits (la lecture de PV établi par la Police) :

J : Une patrouille de Police rue Saint Michel est prévenue par la victime du premier vol, grâce au signalement qu’elle fournit, les policiers se mettent à la recherche du voleur. Plus tard un autre individu contacte les policiers en disant retenir l’auteur du vol, de son propre téléphone cette fois.
Au moment de cette interpellation, vous avez dit être né au Maroc en 1989. Les Policiers notent aussi que vous présentez des signes d’ivresse. Les deux victimes réunies identifient formellement leur agresseur.

La victime du premier vol, un homme, raconte que 4 jeunes lui ont adressé la parole et tourné autour juste avant que son portefeuille ne disparaisse. Il est retourné lui-même voir le groupe pour récupérer son portable, et a attrapé au col un des types, avant de courser le groupe, rattraper l’un d’entre eux et le plaquer au sol. C’est alors que 6 autres hommes sont arrivés pour aider leur ami au sol, ils ont ensuite menacé la victime pour qu’elle libère celui qu’elle maintenait.

Le deuxième vol a lieu a la sortie d’un bar, un individu seul a abordé la victime, en la touchant. 3 minutes plus tard la victime constate la disparition de son portable situé normalement dans la poche avant de son jean. Un ami de la victime dit avoir repéré l’agresseur, tous les deux se mettent à le suivre et l’attrapent.

Les policiers ajoutent qu’aucun des deux effets personnels n’ont été retrouvés sur le prévenu.
Le prévenu affirme aux policiers qu’on l’a confondu avec quelqu’un d’autre.

Le juge interroge le prévenu. Ses questions se concentrent sur l’arrivée en France du prévenu, pourquoi il est là, comment il a passé la frontière, qui lui a indiqué les squats où on l’hébergeait... A cette dernière question, le prévenu répond (par la voix de l’interprète) :
P : Ce sont des arabes qui me l’ont indiqué, je les ai rencontrés en centre ville.
A quoi le juge rétorque :
J : Vous résidez donc avec de nombreuses autres personnes dans ce squat se prétendant mineures et ayant l’habitude de dérober des portefeuilles.

Le magistrat cite ensuite 5 noms arabes et demande au prévenu :
J : Vous vous souvenez que vous avez été interpellé dans un squat au mois d’août, où il y avait ces 5 personnes et des portefeuilles ? A l’époque vous avez été poursuivi pour dégradations en réunions (les barreaux des fenêtre de la maison occupée ayant été arrachés). Pourquoi n’êtes-vous pas allé au rendez-vous fixé par la Police ?
Le prévenu répond qu’il se trouvait à Brest pour le travail.
J : Vous n’y étiez pas plutôt pour échapper à la justice ?

Le juge lui demande pourquoi les deux victimes le reconnaissent comme coupable ou complice des vols.
Le prévenu répond avoir passé la soirée seul et suggère aux magistrats de vérifier les enregistrements des caméras de vidéo-surveillance car ce n’est pas lui.

J : Vous n’avez aucune attache à Rennes, ni famille, ni travail, ni rien. Vous n’avez donc pas besoin de rester à Rennes dans les mois qui viennent, avez-vous l’intention de quitter le territoire français ?

P : Oui, s’il le faut, pour l’Allemagne.

Pour le portrait du prévenu que le juge doit dresser, il rappelle que les parents du jeune homme vivent en Algérie, que son père est ouvrier et sa mère est mère au foyer, qu’il a deux frères et deux soeurs et qu’il a quitté l’Ecole en 3e, sans diplôme. Il demande au prévenu ce qu’il fait en France.
P :Je travaille sur les marchés.

Le procureur entame son réquisitoire :
PROC : Ce jeune homme est majeur, cela ne fait aucun doute. L’expertise médicale du Docteur Bonfils est formelle. Il se livre à un type de délinquance bien connu de la police et de la population rennaise, les vols en réunion, et à chaque fois, c’est toujours le même signalement : des personnes de type nord-africaines qui font semblant de danser pour déjouer la vigilance de leur victime. Ils sont en plus organisés entre eux, pour cacher les objets volés. J’insiste donc sur la présence ici d’une délinquance organisée. Lors des différentes interpellations, il a prétendu être tunisien, marocain, algérien. A Nantes, il a été repéré par le TAJ [1], à qui il a encore donné d’autres informations concernant son lieu de naissance. On est donc dans un mensonge permanent. Lors de son jugement pour infraction en août 2016, il a ignoré sa convocation. Puisqu’il a déjà été confronté à la loi, je demande du ferme. Car ce phénomène de jeunes majeurs nord-africains qui sévissent la nuit est systématique. Je vois défiler de nombreuses affaires dans mon cabinet, et très peu sont jugées. Je me réjouis qu’aujourd’hui cette communauté voit qu’on ne peut pas commettre des crimes impunément.

L’avocate de la défense :
AVOC : Je suis désolée que l’agglomération de Rennes rencontre des difficultés avec la "communauté" spécifiée par Mr le procureur mais on parle ici de Mr A., pas de cette communauté.

Elle souligne la proximité temporelle entre les deux vols, commis à deux endroits différents. Elle revient ensuite sur l’identification du coupable, elle repose seulement sur le témoignage de deux hommes.
AVOC : Mr A a été présenté en tant que coupable désigné à la première victime, donc évidemment sa description correspond à celui qu’on lui amène et qu’on lui présente en plus comme coupable de deux vols différents. Sa description contient seulement l’élément "de type nord-africain". On ne peut pas établir une culpabilité sur si peu. Je sollicite la relaxe.

Décision :
(L’interprête traduit au prévenu le jugement prononcé par le juge.)
J : Le Tribunal le déclare majeur et coupable et insiste sur le fait que ses exactions s’inscrivent dans un phénomène plus large qui pertube l’ordre public à Rennes.
En répression, il est condamné à 6 mois de prison ferme, la probabilité de récidive à court terme étant grande, le Tribunal prononce un mandat de dépôt.

  • S’il vous plaît Mr ... (Mr A s’adresse au juge sans l’intermédiaire de son interprète)
  • La peine commence immédiatement, vous avez 10 jours pour faire appel.

L’audience est levée.

Court-métrage sur les analyses osseuses (déterminant la majorité) dans le cas de la justice :
http://www.blackmoviesentertainment.com/Aissa-2014_a1400.html

Notes

[1Le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) est un fichier d’antécédents commun à la police et à la gendarmerie nationales, en remplacement des fichiers STIC et JUDEX, qui ont été définitivement supprimés. Il est utilisé dans le cadre des enquêtes judiciaires (recherche des auteurs d’infractions) et d’enquêtes administratives (comme les enquêtes préalables à certains emplois publics ou sensibles).

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