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Des navigateur.ices confronté.e.s au tourisme de masse portugais

En novembre, nous sommes parti.e.s de Bretagne avec deux voiliers de l’association LIberbed, direction la péninsule ibérique pour un voyage « artistico-politique ». Le premier voilier est tout bricolé maison, on dirait une cabane ; nous l’avons complètement retapé après l’avoir récupéré. Le second se « présente bien », c’est un bateau des années soixante-dix, plutôt en bon état, donné au collectif. Notre groupe composé de 7 à 10 personnes entre 22 et 34 ans, tou.te.s cis, blanches,issu.e.s de la classe moyenne, s’est nommé « Libecciu », nom d’un vent qui souffle en Méditerranée.

Nous avons voyagé près de deux mois au Portugal, mais attention « nous, on n’est pas juste des touristes ! » Enfin, on aimerait ne pas l’être, ou ne pas être seulement ça : ce consommateur effréné de cuisine locale congelée, se déplaçant avec Ryanair, dormant en Air Bnb, et utilisant le paysage environnant comme décor pour fond de selfies. On souhaiterait plutôt être des voyageu.r.se.s, terme faisant appel à un imaginaire marqué par la richesse de la rencontre, de la découverte et de la débrouille.
Justement, durant notre voyage au Portugal la place des étrangers a alimenté de nombreux débats au sein de notre collectif. Le Portugal, après les années de crises connaît un retour de la croissance depuis 5 – 6 ans, et de ce qui va avec : tourisme de masse, gentrification et projets urbains. Le tourisme, l’une des clefs de voûte du retour de la « politique de relance » transforme en profondeur le pays, ses habitant.e.s et la manière d’y vivre. Cette immigration l’impacte d’autant que l’émigration de jeunes portugais.e.s vers les pays voisins a perduré au fil des générations.

À Lisbonne, la problématique du tourisme nous a frappé dès notre arrivée. Au début du mois de décembre, en basse saison, les ruelles adjacentes aux fleuves sont remplies de touristes.
En parallèle des touristes, l’entreprise Air BnB a pris pied dans la capitale portugaise. Les appartements se transforment en hôtels bas budget. Cet afflux d’étrangers fait monter le prix des loyers et de l’immobilier empêchant de nombreu.x.se.s portugais.e.s de se loger dans le centre-ville. Nous avons vu des Air Bnb jusque dans les bateaux du port. D’après une habitante, le boom d’Air BnB a vraiment débuté après l’arrivée de la compagnie d’aviation low-cost Ryanair. Ce qui donne la désagréable impression d’une ville aux mains de multinationales.
À ceci s’ajoute une migration de jeunes d’Europe du Nord venant habiter à Lisbonne, attiré.e.s par le climat, l’essor des start-up et la réputation festive de la ville. Cette gentrification augmente encore le prix des loyers. Mais, il faut descendre plus bas vers le soleil pour se rendre compte de l’impact majeur des migrations touristiques sur le pays.

L’Algarve, le sud du Portugal, est une région très ensoleillée, parsemée de belles falaises ocres et de grandes plages. Ici, deux endroits ont attiré notre attention : « Pizzanight Algarve » dans les collines de Marmelete et le Rio Guadiana. 
Pour le nouvel an, nous nous sommes rendu.e.s à une « Pizza friday party Algarve », c’est le nom d’un lieu créé il y a 10 ans, qui accueille en permanence environ 25 volontaires (wwoffeu.r.euse.s) venant de tout l’occident.
La langue officielle, c’est l’anglais. La musique, c’est uniquement de l’électro. Notre sentiment est que ce lieu peut exister n’importe où dans notre monde aujourd’hui, avec le soleil en bonus un premier janvier. Ce qui nous marque c’est le fait qu’il n’y ait aucun lien apparent avec le territoire local, les gens et la culture portugaise. On y a rencontré beaucoup de jeunes occidentaux venant faire la fête et visiter le Portugal. Mais bon ; une fois les critiques négatives faites, on a tout de même profité de ce très beau lieu, de la musique, de la danse et des rencontres diverses.
Dans le Rio Guadiana, fleuve à la frontière hispano-portugaise, les mêmes questionnements ont réémergés. Le lieu est un havre de paix pour retraité.e.s nord-européen.ne.s. Pour beaucoup avec bateaux ! On s’est arrêté plus de deux semaines dans un petit village. L’accueil des portugais.e.s rencontré.e.s aux abords du Rio Guadiana n’était pas aussi chaleureux que lors de nos précédentes étapes. On pense que l’arrivée en masse de visiteurs étrangers sur le fleuve n’y est pas pour rien, les habitant.e.s ressentant sûrement un ras-le-bol.
Cet afflux d’étrangers est lié aux politiques gouvernementales mises en place après la crise économique de 2008. Le gouvernement a cherché à développer le tourisme et l’installation de résidents étrangers. Grâce au statut de « Résident non habituel », créé en 2013, les retraités étrangers ne payent que 20 % d’impôts sur leurs revenus. Dans un pays où les jeunes s’expatrient en nombre, l’arrivée de cette population de retraité.e.s se ressent fortement. Dans certains villages autour du Rio Guadiana, on croisait peu de portugais.e.s de moins de cinquante ans. Un manque de « vie », que ne peut combler la « redynamisation économique ».

Ce qui nous a le plus interpellé est le non-mélange apparent entre ces populations immigrées et les portugais.e.s, ainsi que la domination de l’anglais. Cela nous questionne sur la nécessité de s’intégrer suite à une migration. Ce terme d’intégration recouvre une réalité politique française raciste et discriminante vis-à-vis de nombreuses personnes immigrant en France. Les politiques françaises successives ont été et sont toujours basées sur l’assimilation et l’acculturation vis-à-vis des personnes étrangères, c’est-à-dire la conformité aux normes culturelles dominantes reconnues comme françaises. Les personnes se doivent alors d’abandonner une partie de leur identité d’origine ou d’héritage (spécialement dans le domaine public) ; de leurs habitudes, de leurs coutumes désignées comme non-conformes, transgressives et punissables (islamophobie : interdiction du voile, refus de permis de construire des mosquées et des minarets, interdiction de signes religieux ostentatoires sous couvert de laïcité dans les écoles et les institutions publiques,...).
Pourrait-on lui préférer le terme d’inclusion qui souligne l’apport de nouveaux éléments dans un système de manière à l’enrichir, et voir ce mouvement comme un mouvement positif ?
Le paradoxe entre ces migration choisies, de confort et les actuelles migrations de survies nous a également beaucoup interpellé.e.s. Les premièr.e.s personnes bénéficient de nombreux privilèges : liberté de circulation et d’installation, conditions d’accueil favorables et favorisées. Alors que les secondes font face à une avalanche de difficultés encadrées par des politiques occidentales de rejet et raciste : circulations interdites, mort, emprisonnement, problèmes administratifs et économiques ; potentiels traumatismes. Un paradoxe marquant au vue de l’actualité dans la Mer Méditerranée.
Quand au sujet de la langue, les gouvernements européens exigent des personnes immigré.e.s par un contrat d’accueil et d’intégration d’apprendre la langue du pays et ce le plus rapidement possible. N’est-il pas légitime de penser que des personnes riches choisissant de venir vivre par confort dans un autre pays, essayent d’appréhender sa langue par respect pour les habitants et leur culture ?

Et nous là-dedans ? On avait réfléchi à ces questions avant de partir, même si nous n’étions pas face à cette réalité. On avait plein d’idées pour aller à la rencontre de la culture locale : apprendre le portugais, faire du reportage, proposer des animations dans les ports et apporter notre soutien aux luttes locales. Concrètement, le bilan est mitigé. On a surtout chanté, fait quelques crêpes, joué aux palets bretons, animé un grand jeu bancal dans le Rio Guadiana et organisé une action contre un projet d’aéroport à Lisbonne. Et nos animations ont surtout profité aux expatriés ou aux touristes. Parfois, il y a eu quelques portugais.e.s, surtout lorsque deux amies lusophones naviguaient avec nous.
Cette difficulté au niveau de la langue et le fait de voyager en groupe nous a pas mal freiné.e.s dans nos rencontres. Libecciu au Portugal, c’est donc un Libecciu un peu frustré, un peu contrit essayant de se démener entre sa propre structuration, ses multiples envies, et sa lourdeur mécanique. On n’a pas réussi à créer un véritable échange avec des Portugais.e.s, hormis la semaine passée en dehors des bateaux, dans les terres à l’est de Porto, où l’on a fait de l’huile d’olive.
Ce qui nous amène aussi à questionner le mode de déplacement en voilier. La population des ports de plaisance est la plupart du temps une population aisée, et dans les grandes villes souvent étrangère ou de passage. Nos activités autour de la voile touchent donc difficilement les « classes populaires ». La voile est un mode de transport et de loisir appartenant à la classe bourgeoise. En partie démocratisé en France, où des personnes peuvent en faire en bricolant, ou en récupérant des vieux bateaux (comme nous), mais qui reste dans la plupart des pays un loisir luxueux et inabordable, loin des préoccupations quotidiennes.
En voyageant en bateau à voile nous sommes donc également perçus comme des touristes plaisancier.e.s aisé.e.s. Mais, on ne désespère pas puisque nos rencontres ne se limitent pas à ça. Justement en Espagne où nous sommes depuis un mois l’échange est plus facile pour tout.e.s nos hispanophones. Après deux jours aux Iles Baléares nous avons facilement rencontré la population locale. Notre grand jeu prend forme et l’aventure musicale continue, un chant portugais venant étoffer notre répertoire.

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