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Et après le virus ? Les périls à venir

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Résistance en ces temps d’épidémie.

Article d’analyse et de réflexion proposé par crimethinc sur les différents enjeux qui se jouent actuellement dans nos sociétés et sur ceux à venir après la crise sanitaire.

Comment notre société sortira-t-elle de la crise liée au COVID-19 ? Est-ce que la pandémie révèle le fait que nous avons besoin d’un pouvoir étatique plus centralisé, d’une surveillance et d’un contrôle accrus ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur nous – et comment nous pouvons nous préparer à les affronter ?

Il y a quelques jours, le nombre de décès dus au coronavirus à New York a dépassé le nombre de victimes suite aux attaques du 11 septembre 2001. Chaque fois que des expert·e·s et des politicien·ne·s invoquent le 11 septembre, tu sais qu’ils et elles essaient de préparer le terrain pour créer un choc et diffuser une certaine crainte au sein de l’opinion publique.

Les attentats du 11 septembre ont servi à justifier le Patriot Act, les extraditions de personnes suspectées de terrorisme et la torture, ainsi que l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak ; ceux-ci ont ouvert la voie à un grand nombre d’autres catastrophes, dont la montée de l’État islamique. Alors que 2 977 civils ont été tués le 11 septembre, la « guerre contre le terrorisme » qui a suivi les attaques a tué au moins cent fois plus de civils.

Si la comparaison avec le 11 septembre montre quelque chose, c’est que la réponse de l’État à la pandémie sera bien plus destructrice que le virus lui-même. Passons en revue les dangers et la logique de celles et ceux qui cherchent à contrôler la réponse de l’État afin de se préparer à la prochaine étape de la crise avant qu’elle ne nous frappe de plein fouet. Il n’est pas inévitable que ce qui résultera de cette crise prenne la forme d’une tyrannie ; ou au contraire, celle d’un soulèvement.

Comme nous l’avons affirmé il y a longtemps de cela, au siècle dernier, il y a une différence entre la vie et la survie. Face à la pandémie et aux prises de pouvoir totalitaires qui l’accompagnent, préoccupons-nous non seulement de savoir comment nous allons survivre à cette crise, mais aussi comment nous voulons vivre.

Les règlementations liées à la peste jettent également une grande ombre sur l’histoire politique. Elles ont marqué une vaste extension du pouvoir étatique dans des sphères de la vie humaine qui n’avaient jamais été soumises à l’autorité politique auparavant... Elles ont justifié le contrôle de l’économie et de la circulation des personnes, elles ont autorisé la surveillance et la détention forcée, et elles ont approuvé l’invasion des foyers et la disparition des libertés civiles. Avec l’argument irréfutable de l’urgence sanitaire, cette extension du pouvoir a été accueillie par l’église et par de puissantes voix politiques et médicales. La campagne contre la peste a marqué un moment important dans l’émergence de l’absolutisme et, plus généralement, elle a favorisé l’accroissement du pouvoir et la légitimation de l’État moderne.

Le pire des scénarios

En raison de la mondialisation néolibérale et de l’automatisation, une proportion croissante de la population mondiale est tout simplement devenue non-essentielle à la production et à la distribution industrielle. En conséquence, les travailleur·euse·s ont inondé le secteur des services, travaillant de plus en plus longtemps pour pouvoir survivre. Plutôt que de renégocier les traités de paix entre capitalistes et travailleur·euse·s qui ont soutenu le capitalisme tout au long du XXe siècle, [1] les gouvernements en sont venus à compter sur un maintien de l’ordre toujours plus répressif, dépendant des innovations technologiques pour garder sous contrôle des populations agitées. Néanmoins – ou plutôt pour cette raison précise – les troubles avaient atteint leur paroxysme en 2019 avec des soulèvements à Hong Kong, au Chili, en Catalogne, au Liban, au Soudan, en Haïti et dans des dizaines d’autres pays, et d’autres étaient attendus en 2020... jusqu’à ce que le virus ne vienne rebattre les cartes.

Ce n’est pas une situation propice pour faire face à une pandémie. Lorsque les autorités considèrent une proportion croissante de la population comme une nuisance dont on peut se passer et que l’on peut contenir en intensifiant constamment le niveau de violence à son encontre, elles ne sont guère incitées à nous maintenir en vie. Certain·e·s, comme Trump, veulent établir des complexes résidentiels protégés et privés basés sur des critères de classe, de nationalité et d’ethnicité et laisser tou·te·s celles et ceux qui ne répondent pas à ces critères en dehors de ces zones, à la merci de ces risques sanitaires nouvellement accrus. D’autres espèrent négocier un nouvel accord entre dirigeant·e·s et gouverné·e·s en offrant un minimum de sécurité à tou·te·s en échange de formes de surveillance et de contrôle sans précédent. Nous aborderons ci-dessous ces deux propositions qui cherchent à savoir comment arriver à stabiliser le pouvoir étatique pour le reste du XXIe siècle.

Si de nombreux·ses militant·e·s radicaux·ales semblent étrangement optimistes quant aux perspectives de changement social, c’est uniquement parce que nos conditions actuelles sont devenues si manifestement intenables – et non parce qu’elles sont particulièrement prometteuses.

À bien des égards, le pire des scénarios est déjà là. Des robots de la police patrouillent déjà dans les rues d’Afrique du Nord tandis que des drones ciblent des villageois·ses en Italie. Viktor Orbán est devenu de facto le dictateur de la Hongrie, et ce au cœur de l’Europe prétendument démocratique. Le gouvernement islamophobe d’Inde a confiné 1,3 milliard de personnes avec un seul décret. Dans le Java oriental, les ordres appelant à rester chez soi ont été utilisés pour disperser les habitant·e·s qui défendaient leur région contre une mine d’or destructrice – mais pas pour arrêter les opérations d’exploitations minières. De la Chine au Pérou, la pandémie a offert un prétexte aux gouvernements pour réprimer les journalistes qui font état de leur mauvaise gestion de la crise sanitaire. Trump a profité de la situation pour intensifier les opérations militaires dans tout l’hémisphère occidental – non pas pour détourner l’attention de sa gestion du virus, comme certain·e·s le supposent bêtement, mais parce que le virus lui offre une occasion irrésistible de faire avancer son programme. En France, le gouvernement Macron a, entre autres, utilisé l’excuse de la pandémie pour faire passer en force des réformes impopulaires, revenir sur certains acquis sociaux et remanier le code du travail selon sa logique productiviste et néo-libérale.

Aux États-Unis, comme en France, le risque d’exposition est explicitement réparti en fonction de la classe sociale. Les livreur·euse·s livrent des provisions aux programmeur·trice·s informatiques qui ne quittent jamais leur maison ou appartement ; les infirmi·er·ère·s chargé·e·s de traiter les patient·e·s présentant des symptômes de COVID-19 apportent des iPhones avec elleux afin que les médecins puissent consulter les patient·e·s via FaceTime sans être elleux-mêmes exposé·e·s au danger.

Confiné·e·s chez nous, nous sommes une base de consommateur·rice·s captif·ive·s dans une ville appartenant et dirigée par Amazon, nous sommes dépendant·e·s des sociétés de télécommunications qui pourraient nous couper les un·e·s des autres en actionnant un simple interrupteur. Les autorités américaines envisagent la possibilité de suivre et de contrôler tous nos déplacements à l’aide de passeports basés sur des données sanitaires. Si un tel programme est mis en place, les autorités pourraient étendre son domaine d’action afin de contrôler la liberté de circulation selon un statut légal, transformant ainsi toute notre société en une véritable prison à ciel ouvert.

Même dans les pays qui ont « aplati la courbe », les mesures d’urgence, y compris la distanciation sociale et l’interdiction des grands rassemblements pourraient bien durer encore un an, temps nécessaire au développement d’un vaccin.

Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, les États-Unis ont besoin soit de niveaux de distanciation sociale économiquement ruineux, soit d’un état de surveillance numérique d’une taille et d’une portée scandaleuses, soit d’un dispositif de test de masse d’une taille et d’une intrusion encore plus choquantes.

Nous devons parler franchement de ce que tout cela signifie pour les mouvements sociaux. Parallèlement au virus, nous vivons l’attaque la plus brutale contre notre liberté depuis au moins une génération. Nombre de nos outils d’autodéfense collective dépendent de la concentration d’un grand nombre d’entre nous, que le virus rend extrêmement dangereuse. Même si une nouvelle révolte sur le modèle du soulèvement au Chili éclate dans le courant de l’année, les responsables de la santé publique considéreront qu’il s’agit d’un risque épidémiologique et demanderont l’instauration d’un nouveau confinement, provoquant une scission dans nos rangs entre celles et ceux qui sont investi·e·s dans la résistance à tout prix et celles et ceux qui considèrent que prendre le risque de propager le virus est irresponsable si bien qu’ils et elles préfèrent une capitulation totale.

Cela pose de sérieux dilemmes. Aux États-Unis, certain·e·s expérimentent de nouvelles formes de manifestations basées sur l’utilisation de la voiture, mais nous devons développer un éventail beaucoup plus large d’options.

S’iels profitent de la pandémie pour consolider leur pouvoir et faire avancer leurs programmes, les autoritaires de tous bords profitent également de cette occasion pour légitimer l’intervention invasive de l’État comme seul moyen efficace de faire face à une crise comme celle du COVID-19. Nous devons démystifier leurs arguments, en présentant des modèles plus convaincants et plus inspirants sur la manière de répondre à cette crise. Même avec toute la technologie et l’asservissement à sa disposition, l’État ne peut pas régner sans une certaine légitimité perçue, sans un certain niveau de consentement du public. En passant définitivement de la carotte au bâton, nos dirigeant·e·s font un pari dangereux.

Et l’Eternel dit à Moïse : « Tends ta main vers le ciel et qu’il y ait des ténèbres sur l’Egypte, si fortes qu’on puisse les toucher. »

Identifier les problèmes

La pandémie met en avant plusieurs tensions qui déstabilisaient déjà notre société jusqu’au point de rupture. Examinons-les les unes après les autres :

Crise financière

Nombreux·euses sont celles et ceux qui depuis des années ont anticipé une crise financière. Pendant des décennies, la dette a servi à faire tourner l’économie – et à engager des gens dans cet objectif précis. Si les obligations de la dette peuvent être suspendues ou annulées par décision législative, si le capitalisme ne fonctionne que parce que les gouvernements continuent à renflouer les banques et les entreprises aux dépens de tout le monde, alors en théorie, cela devrait remettre tout le système en question. Les manières dont l’économie capitaliste ne répond pas aux besoins de la plupart des gens – en matière de sécurité, de biens matériels, de joie, de solidarité et de sens – sont aujourd’hui mises en évidence. Mais si les exigences de distanciation sociale et les mesures de répression autoritaires empêchent quiconque de démontrer qu’il existe une alternative possible, de nombreuses personnes pourraient réagir en se languissant d’un passé imaginaire incarné par la normalité.

Système de santé

Aux États-Unis, l’accès aux soins a longtemps été un privilège coûteux ; dans de nombreux États, le système de santé Obamacare n’a eu aucune incidence sur la vie des plus pauvres. Il est désormais clair que la santé des pauvres peut avoir un impact sur l’ensemble de la population. En France, cela fait maintenant des décennies que le système de santé public fait les frais des politiques libérales des gouvernements successifs. Cela se traduit par d’importantes coupes budgétaires, un manque de moyen financier, matériel et humain, ainsi qu’une dégradation constante des conditions de soin et de travail.

Il y a deux réponses possibles à cela. La première consiste à ce que notre société oriente les ressources vers la satisfaction des besoins de toute la population en matière de soins et de santé – selon nos propres conditions, et en fonction de nos priorités. L’autre est que l’élite traite les risques sanitaires posés par le reste de la population comme un danger qu’il faut gérer pour assurer la protection des personnes privilégiées.

Lire la suite de l’article sur CrimethInc.

Notes

[1Ces « traités de paix » comprenaient le socialisme d’État autoritaire au sein du bloc de l’Est, une combinaison du compromis fordiste et des filets de sécurité sociaux-démocrates aux États-Unis et en Europe, et la promesse d’un développement économique dans les pays du Sud.

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