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"Les violences policières ne sont qu’une partie des problèmes suscités par l’existence de la police"

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Dans le contexte de lutte contre les violences policières et contre le racisme, Acta.zone vient de publier un entretien avec Gwenola Ricordeaux, professeure assistante en justice criminelle à la California State University, auteure de Pour elles toutes. Femmes contre la prison (Lux, 2019) ; Elle insiste notamment sur la nécessité d’abolir la police et le système pénal.

L’entretien est consultable dans son intégralité sur le site d’Acta, en voici trois extraits :

I

"La revendication du démantèlement des forces de police renvoie au mot d’ordre, déjà ancien, des mouvements pour l’abolition de la police : « Disempower, disarm, disband », c’est-à-dire « affaiblir, désarmer, dissoudre [les forces de l’ordre] ». Il s’agit d’une stratégie, expliquée par exemple par A World Without Police, en trois étapes, qui peuvent se chevaucher.

Affaiblir la police. Cela passe par l’opposition à la construction de nouveaux commissariats ou de nouvelles écoles de police (je pense à la campagne No Cop Academy à Chicago), à leur présence sur les campus universitaires ou aux campagnes de recrutement de policiers, mais aussi par obliger les centrales syndicales à refuser l’affiliation de syndicats de policiers.

Il s’agit aussi, et c’est important, de réduire le recours à la police. Il ne s’agit pas simplement de dire « N’appelez pas la police », mais de proposer de réelles alternatives. Celles-ci ne relèvent pas d’un code de bonne conduite individuelle : il faut construire des communautés fortes qui ont des ressources à offrir dans toutes les situations où ordinairement les gens font appel à la police. Il s’agit, par exemple, de se former collectivement à la gestion des situations de violences interpersonnelles, se former à la justice transformative ou à intervenir auprès de personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou qui consomment des produits psychoactifs."

II

"Le chercheur et militant abolitionniste états-unien Alex Vitale a rappelé que « les policiers arrêtés dans la mort de George Floyd avaient reçu des formations sur les biais [raciaux] implicites, sur les techniques de désescalade, de méditation en pleine conscience. Ce type de formation est assez populaire dans les forces de l’ordre aux États-Unis. Ils portaient des go-pro et ils étaient requis d’intervenir en cas d’usage de la force impropre [de leurs collègues]. Tout ceci n’a fait aucune différence ».

En général, on trouve parmi les propositions réformistes – dont l’argumentation est très bien démontée par le groupe abolitionniste états-unien Critical Resistance – une meilleure formation des policiers. Cette proposition est problématique car elle contribue à développer les budgets qui leur sont alloués et la recherche tend à prouver que la formation des policiers n’a pas beaucoup d’effets sur la réalité de leur travail, mais surtout cela peut contribuer à renforcer leur sphère d’activités. L’exemple le plus souvent utilisé aux États-Unis est celui de la formation des policiers à la prise en charge des personnes ayant des troubles psychiques. C’est un enjeu important car ces personnes sont surreprésentées parmi les victimes de crimes policiers et de plus en plus de forces de police forment leurs personnels aux contacts avec ces personnes. Le problème, c’est que de plus en plus, plutôt que de faire appel à des personnels de soins ou à des membres de la communauté qui auraient des ressources à apporter lorsqu’une personne se met en danger ou met en danger autrui, il y a l’appel à la police. C’est évidemment le même type de questions que pose, par exemple, le fait de former davantage les policiers à l’accueil des femmes victimes de violences.

Autre proposition réformiste : systématiser le port par les policiers de go-pro. De nombreux travaux ont montré qu’elles ne réduisent pas le recours à la force par les policiers, ni les crimes policiers, sans compter que leur déploiement contribue à gonfler le secteur déjà florissant de la vidéosurveillance.

Les réformistes évoquent souvent également le recrutement des policiers, comme si la question était de recruter de « meilleurs policiers » – et qu’il y en aurait de « bons » et de « mauvais ». Cette question du recrutement est d’ailleurs parfois posée en termes de « diversité » : il faudrait plus de policiers Noirs, Latinos… – ou de femmes ou de LGBT d’ailleurs. Mais le travail des policiers issus des minorités raciales n’est pas très différent de celui des policiers blancs (un peu comme ce qu’on voit des jugements prononcés par les juges issus des minorités raciales qui sont même parfois plus sévères que les juges blancs). Comme l’ont montré de nombreux travaux sur la police, l’explication du racisme policier n’est pas à chercher dans le recrutement (de personnes racistes), mais plutôt dans la « socialisation policière » (en d’autres termes : les effets de l’institution policière sur les personnes qu’elle recrute). Je pense notamment aux travaux de Fabien Jobard, qui a récemment eu cette formule : « Dans la police, on ne naît pas raciste, mais on le devient. » En bref, la question est celle du racisme structurel.

Dernier exemple d’approche réformiste que je voudrais évoquer en quelques mots : la poursuite et la condamnation (licenciement, etc.) des policiers racistes, ayant abusé de l’usage de la force ou autre. Ce genre de revendication semble frappé du coin du bon sens car leur impunité suscite assez naturellement un sentiment d’injustice. Néanmoins, ce type de revendication est profondément réformiste. Il n’y a pas besoin de s’arrêter sur le fait que même un ministre de l’Intérieur peut la reprendre. En fait, quand on appelle à la condamnation de certains policiers, on entretient le mythe qu’il existe de bons et de mauvais policiers, qu’une meilleure police est possible et que nous pourrions compter sur le système lui-même pour obtenir justice.

III

Il est vrai qu’il y a de nombreux groupes aux États-Unis qui travaillent à l’abolition de la police. Il faut d’ailleurs souligner que ce qui se passe aujourd’hui au niveau du conseil municipal de Minneapolis n’est pas le résultat d’une prise de conscience subite de ses membres. Outre le fort mouvement populaire actuel, il y a aussi, depuis des années, un mouvement abolitionniste qui travaille, à Minneapolis, à construire l’abolition de la police – c’est la coalition MPD150 que j’ai déjà évoquée. Il existe beaucoup d’autres groupes qui travaillent à l’abolition de la police, qu’ils soient nationaux (comme Critical Resistance que j’ai déjà évoqué) ou locaux.

Il résulte de cet important travail militant beaucoup de réflexions sur la stratégie abolitionniste et il y a une production importante de textes et de livres qui contribuent au mouvement abolitionniste. Je pense en particulier au livre d’Alex Vitale, The End of Policing, qui est paru en 2017 et dont le téléchargement est actuellement gratuit.

En France, les travaux critiques sur la police sont nombreux (je pense notamment aux livres de Mathieu Rigouste et à tout le champ de recherche sociologique sur le travail policier), mais il y a assez peu de ressources militantes sur l’abolition de la police. Par exemple, hormis cet article, paru dans Jef Klak, il y a peu de ressources en français sur les luttes pour l’abolition de la police aux États-Unis.

En France, les luttes abolitionnistes ont toujours plus porté sur la prison que sur la police et il y a un manque de convergence entre les luttes contre les crimes d’État et les luttes anticarcérales. Comment l’expliquer ? Comment expliquer qu’on parle si peu d’abolir la police en France ? Je ne vois pas de réponses simples à ces questions. Mais je peux faire une hypothèse. Les luttes anticarcérales sont issues d’une extrême-gauche très blanche pour qui la répression était principalement incarnée par la prison – la confrontation à la police étant une péripétie de tout cela. Les classes populaires et celles issues de l’immigration et de l’histoire coloniale ont une expérience différente : celle de la prison, mais aussi à très large échelle, celle du harcèlement policier. Et ce sont dans leurs rangs qu’on compte l’essentiel des victimes des crimes policiers. Je pense que les formes spécifiques de confrontation à la police et à la prison ont forgé des réflexions différentes, mais encore une fois, ce n’est qu’une hypothèse que je me permets de faire ici.

Retrouvez l’article dans son intégralité sur le site d’Acta

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