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Mais que se passe-t-il en Catalogne ?

Catalogne
Elections - Démocratie Mouvements sociaux Solidarités internationales

1er Octobre 2017. Catalogne. Entre 2 et 3 millions de personnes participent à un référendum sur l’indépendance interdit par l’État central espagnol. Le pouvoir des images fait le reste. Des foules massées près des bureaux de vote tentent de défier l’État central. Des votant.e.s sont violemment réprimé.e.s par la Guardia Civil espagnole. Le résultat publié dans la nuit n’est suivi d’aucune reconnaissance au-delà de la Catalogne.

Depuis, le procés tel qu’il est surnommé par là-bas n’est plus forcément en une des journaux français et les informations se croisent sans qu’il soit possible de saisir ce qui se trame en Catalogne.

En attendant un possible voyage sur place, voici quelques brides d’informations récolletées ici et là et qui permettent de saisir un peu mieux la portée de ce moment.

Que cela soit clairement posé, il n’est pas habituel que des révolutionnaires s’intéressent à un processus électoral. Et pourtant, cet évènement catalan nous force à nuancer notre logiciel d’analyse. Les élections n’ont aucune portée révolutionnaire affirmons nous. Le constat est ici quelque peu différent. Il y avait clairement un enjeux autour du vote du 1er Octobre. Son interdiction soulignait d’ailleurs le potentiel débordant de l’initiative.

Au lendemain du résultat sans appel (90% des 43% des inscrit.e.s ayant voté oui), une question se pose : Que peut-il bien se passer à présent ?

Face à l’offensive médiatique anti-indépendantiste bien française, il est parfois difficile de distinguer la réelle consistance d’un mouvement peu audible par ici. C’est un bref résumé de ce qui s’est passé depuis un mois et demi qui sera tenté dans cet article.

Les premiers jours suivants le vote

Dans la nuit du 1er au 2 octobre, la coalition indépendantiste au pouvoir (réunissant le parti de centre droit pdCAT et celui de centre gauche ERC) annoncent les résultats. L’absence de solidarité internationale est manifeste. Personne ou presque pour reconnaître ce vote.

Un bureau de vote pris d’assaut par la guardia civil espagnole

Du côté de Madrid, la tentative d’empêcher coûte que coûte cette élection est un échec. Le gouvernement espagnol a joué son va-tout. Un peu partout dans les sociétés occidentales, des voix s’élèvent pour manifester leur incompréhension voir leur réprobation face aux images d’électeurices réprimé.e.s par les forces de cet État qui se dit "démocratique". Les indépendantistes font le décompte et annoncent plus d’un milier de blessé.e.s durant la journée électorale, dont un atteint à l’oeil par un tir de balle en caoutchouc (le savoir faire repressif n’a pas de frontière). La stratégie choisie par Madrid semble lui coûter politiquement.

Le 3 octobre, une quarantaine d’organisations syndicales (dont le syndicat indépendantiste, l’UGT ou encore la CGT) appelent les catalan.e.s pour une grève générale. En ligne de mire, dénoncer la représsion mise à l’oeuvre le dimanche 1er Octobre. Cette initiative est un succès numérique. Plus de 700 000 personnes manifestent dans les rues de Barcelone selon la police locale. Le proto pays semble paralysé. La contestation est portée sur le terrain économique et social, imprimant une connotation sociale à la mobilisation. Le mouvement indépendantiste soigne son image. La non-violence est mise en avant et respectée. Le pouvoir des images est travaillé.

C’est ainsi que des foules de manifestant.e.s se réunissent en ces premiers jours de mobilisation en face des lieux où logent la guardia civil. Face aux casernes, face aux hotels, les manifestant.e.s réclament le départ des "forces d’occupation". Des centaines de policiers espagnols sont délogés, parfois par des hôtels mis sous pression par les forces indépendantistes.

La contre offensive espagnoliste

Le weekend suivant le vote, une partie des indépendantistes catalan.e.s se réunit à Valence pour une manifestation antifasciste convoquée de longue date.

Pendant ce temps, les adversaires de l’indépendance prennent les rues à Barcelone.

Le samedi, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui défilent derrière l’idée de "dialogue", sans drapeau et tout de blanc vêtu. Cette manifestation qui se veut neutre n’est pas anodine. Politiquement, elle affiche sa volonté du status quo en pronant l’idée d’un retour au "dialogue" au moment même où se joue une clarification politique autour de l’indépendance. Une forme de Ni-Ni bien stratégique.

Le lendemain, le dimanche 8 octobre, des centaines de milliers d’espagnolistes affirment leur refus de l’indépendance. Les partis politiques traditionnels espagnols sont de sortie, de même que les milieux d’extrême droite espagnolistes adeptes du franquisme et autres horreurs du champ politique. Des bus sont convoyés depuis toute l’Espagne. Des figures médiatiques espagnoles comme l’écrivain prix nobel Mario Vargas Llosa appuient l’initiative et font le déplacement. Le poids des images et là encore imparable. Il s’agit de montrer une foule refusant ce qui se joue en Catalogne. Une sorte de majorité silencieuse s’affirmant enfin devant l’urgence.

Un manifestant faisant un salut explicite le 8 octobre

Vers la proclamation de l’indépendance

Du côté des indépendantistes, différentes tendances semblent se dégager. Le centre-droit récemment converti à l’indépendantisme est partagé entre apaisement et risque de rater ce rendez-vous historique. Le centre-gauche pèse lui pour la construction de cette république catalane si longtemps affichée comme leur produit électoral. Enfin, la gauche anticapitaliste -CUP- pousse pour une proclamation rapide et unilatérale de l’indépendance et un dépassement du procés par la base à travers la construction de comités de défense du référendum, rapidement transformés en comités de défense de la République (CDR).

La réunion du parlement du 10 octobre

Ce n’est finalement que le 10 octobre que le parlement catalan se réunit en vue de proclamer la république, enfin du moins, telles en sont les intentions. Finalement, point de déclaration d’indépendance. Du bout des lèvres, le président catalan, Carlos Puidgemont, affirme qu’il conduira son territoire vers la voie de l’indépendance, sans en préciser le calendrier. Pour les milliers de catalan.e.s réuni.e.s dans les rues de leur capitale entre autre, la sensation de flottement n’en est que plus forte. Les franges les plus radicales de l’indépendantisme réunies autour des CDRs ne cachent qu’à peine leur déception. Prudent, le gouvernement ne semble pas vouloir s’aventurer sur la voie d’une proclamantion unilatérale. Leur analyse est qu’à aller plus vite, ielles offriraient à Madrid l’occasion de mettre fin au procés par le biais d’une répression forte.

La repression qui vient

Si les catalan.e.s semblent ralentir le procés, l’État espagnol ne se gène pas pour continuer sa contre-offensive. Forte d’une absence de condamnation claire de la "communauté internationale" autour de la gestion de cette crise, le gouvernement madrilène choisie la voie de l’anéantissement des forces indépendantistes.

Le lundi 16 octobre au soir, les leaders des deux principales associations indépendantistes, Jordi Sànchez de l’assemblée nationale catalane (ANC) et Jordi Cuixart d’Omnium, sont arrêtés et envoyés en prison pour "sédition" près de Madrid . En réaction, près de 200 000 personnes manifestent dans les rues de Barcelone entre autre le mardi 17 au soir. La constitution de prisonnier.e.s politiques en lien direct avec le procés semble enclenché.

La manifestation de soutien aux deux Jordi le 17 octobre au soir dans les rues de Barcelone

Ils ne sont pas les seuls visés. Le chef de la police régionale, les Mossos, est lui aussi placé sous contrôle judiciaire pour le même chef d’accusation.

Madrid affiche sa fermeté et répand l’idée que l’article 155 de la Constitution sera utilisé contre la Catalogne. Efficace, cet article permet une suspension de l’autonomie avec la reprise en main de la région par l’Etat central. Entre autre, cela permet de reprendre le contrôle des administrations, de la police régionale ou encore des médias ainsi que la destitution du gouvernement autonome élu.

Face à cette offensive, le camp indépendantiste semble peiner à étendre le procés et paraît incapable de proposer de nouvelles initiatives politiques. Tout au plus, les CDRs sont renforcés et montrent un visage assembléiste finalement assez proche de la tradition politique récente dans la péninsule ibérique. Les indigné.e.s ne sont pas loin ?

Une petite proclamation d’indépendance et puis s’en va.

Madrid de son côté affiche clairement son calendrier. Le gouvernement annonce l’utilisation de l’article 155 et convoque à cet effet le Sénat le vendredi 27 octobre afin de voter cette mesure.

Du côté des indépendantistes, les tensions entre différents acteurs sont criantes. La date de proclamation d’indépendance ne cesse d’être reculée. Ce n’est finalement qu’1h avant le vote du sénat le vendredi 27 octobre que Carlos Puidgemont et son gouvernement proclament la république catalane. Malin, le document signé est suffisament ambigu pour que cette déclaration apparaisse sans conséquence réelle.

Rassemblement et tir d’artifices des indépendantistes le soir de la proclamation de la République

Le jour même, des dizaines de milliers d’indépendantistes se rassemblent dans les rues un peu partout dans le pays, sortent leurs plus beaux artifices et célèbrent cette indépendance. Sans doute lucides, l’ambiance ne semble pour autant pas si victorieuse que cela.

Pire, les espagnolistes franchissent une étape et se dirigent le soir même en cortège vers le siège de Cataluyna Radio et tentent de prendre le bâtiment. Les vitres sont pétées. Sur le chemin, des personnes sont prises à partie et agressées.

Des espagnolistes attaquant le siège de Cataluyna Radio le 27 octobre au soir

Face à cet évènement, des CDRs et des groupes libertaires convoquent une manifestation antifasciste le lundi 30 octobre.

Manifestation antifasciste le 30 octobre dans les rues de Barcelone

Le dimanche 29 octobre, nouvelle démonstration par le nombre des adversaires de l’indépendance. 300 000 à 1,1 millions de personnes défilent dans Barcelone contre la proclamation de la République.

Pendant ce temps, la représsion espagnole semble belle et bien inarrêtable, malgré les précautions prises par le gouvernement catalan. D’autre part, des élections régionales sont convoquées par l’Etat central pour le 21 décembre, prenant de cours les partis indépendantistes.

Face à la répression à venir, Carlos Puidgemont et quatre autres membres du gouvernement se réfugient en Belgique le lundi 30 octobre. Ielles parient sur la fragilité du gouvernement belge, mélange hétéroclite de différents partis dont les indépendantistes flamand.e.s, pour ne pas finir expulsé.e.s en Espagne.

Le gouvernement en prison, le mouvement en perdition ?

Les membres du gouvernement catalan sont destitué.e.s comme le prévoit l’article 155. Le procureur général de l’Etat espagnol saisit la justice le lundi 30 octobre et demande d’engager des poursuites pour sédition, rébellion et détournements de fonds. Les peines encourues peuvent atteindre 30 ans.

Le jeudi 2 novembre à la suite de leur audition, les 8 membres du gouvernement resté.e.s en Catalogne sont placé.e.s en détention. La liste des prisonnier.e.s politiques s’allonge.

Carlos Puidgemont, tout sourire en "exil" à Bruxelles

Les autres, parti.e.s en Belgique, se rendent librement à leur audition face aux policiers belges le lundi 6 novembre à la suite de l’émission d’un mandat d’arrêt européen contre elleux. Le 17 novembre, la justice belge se prononcera sur une éventuelle extradiction vers l’Espagne, synonyme de séjour en prison.

D’autres leaders de l’indépendance comme la présidente du parlement catalan sont aussi auditionné.e.s. Ce n’est qu’en échange d’une très forte caution qu’ielles ne finissent pas en prison.

Face à cette offensive, le mouvement indépendantiste peine à afficher un calendrier clair. D’un point de vu quantitatif, il est indéniable que le mouvement ne s’essoufle pas. La base suit toujours et les CDRs se renforcent, affichant plus de 230 comités en Catalogne. Pour autant, il semble que les mobilisations se ressemblent et n’impriment pas un calendrier ambitieux à moyen terme.

Ainsi, une grève générale est annoncée pour le mercredi 8 novembre, sans l’appui des syndicats non indépendantistes cette fois-ci. Les CDRs appuient fortement cette initiative et participent à la mise en place d’une opération de blocages d’envergure à travers le pays. Les axes de communications sont pris pour cibles. Les étudiant.e.s de Barcelone bloquent la gare de Sants. Partout ailleurs, le mouvement affiche sa volonté de "fermer les frontières" comme celle avec la Catalogne Nord située dans l’Etat français, le temps d’une journée. L’opération n’en est que plus douteuse symboliquement. Face à des sociétés occidentales peu claires sur les questions d’autodétermination, surtout concernant des territoires de pays européens, l’image renvoyée ne peut que souligner un caractère nationaliste au mouvement catalaniste.

La gare de Sants à Barcelone bloquée le 8 novembre par des CDRs

Le Samedi 11 novembre se veut une grande journée de manifestation à Barcelone pour soutenir les prisonnier.e.s politiques. 750 000 catalan.e.s défilent dans les rues de Barcelone selon la police. Le cortège est massif, et réunit des personnes venues de toute la Catalogne.

Quelles stratégies futures ?

Vu depuis l’exterieur, le mouvement semble coincé entre la représsion espagnole, la tenue prochaine de nouvelles élections et l’absence de perspective claire pour sortir de cette crise. Les partis sont déjà moins soudés qu’auparavant et partiront désunis aux élections. Les têtes d’affiches tombent les unes après les autres.

Reste la construction hypothétique de ce mouvement populaire autour des CDRs. Force est pourtant de constater qu’ils ne semblent pas à même de dépasser le stade de l’agitation dans les quartiers, villages et villes où ils sont présents. C’est déjà beaucoup mais est-ce suffisant pour construire une République ?

Une assemblée du CDR de Garcia à Barcelone

Au niveau international, seul les groupes indépendantistes tentent de faire réellement vivre une solidarité internationale avec le mouvement catalan. Pour l’instant, pas d’initiative large et massive en dehors de l’Etat espagnol.

Quelle place du côté des forces révolutionnaires ? Vers la construction d’un mouvement à même de faire sécession et de dépasser le proces initial ?

Là réside la principale interrogation. Il serait bien prétentieux de prétendre pouvoir répondre à cette question en étant aussi loin de la Catalogne.

Des groupes politiques proches des idées révolutionnaires participent au procés. La gauche anticapitaliste indépendantiste avec la CUP bien sur. Des groupes libertaires et anarchistes aussi. Quelques avis et témoignages de groupes révolutionnaires pas forcément acquis à l’idée de l’indépendance semblent pourtant accréditer l’idée que l’heure n’est pas à l’optimisme. Le mouvement ne semble pas proposer de perspectives à même de dépasser la simple question institutionnelle. Et le projet de société radicalement différent de celui existant a du mal à se faire entendre à l’international.

Les conditions objectives semblent pourtant en partie réunies. La crise a eu le temps de prospérer sur la péninsule ibérique. Le pouvoir central est en grande partie discrédité. La répression semble rassembler les mécontentements et souder des franges larges de la population. Les lieux de discussions sont déjà présents à travers les assemblées des CDRs. L’absence de perspective institutionnelle rend possible l’hypothèse de la construction d’une force politique commune autonome du pouvoir.

Une voiture de la police redécorée et customisée le soir d’une journée de perquisition autour d’institutions catalane en septembre

Par chez nous en Bretagne, intéressons nous de plus près à ce procés, tentons de suivre ce qui se trame du côté de la Catalogne, et tenons nous prêt à renforcer la solidarité par notre présence. Bien plus qu’un énième mouvementisme, la solidarité envers les mouvements catalans parait une étape pour renforcer les différentes tentatives internationales de se réapproprier nos destinées. Que nous ne puissions pas dire, à l’image de la révolution syrienne, que le procés catalan n’aura été qu’un énième rendez-vous manqué.

P.-S.

quelques sites en espagnols et catalans permettant de suivre le proces d’un point de vue révolutionnaire :

https://www.lahaine.org
https://barcelona.indymedia.org

Un site en français sur l’actualité catalane depuis Barcelone

Equinox : toute l’actu de Barcelone et les bons plans de la ville
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