information par et pour les luttes, Rennes et sa région

Après la manif régionale de Lorient, il nous faut une stratégie antifasciste !

Antifascismes - Extrêmes droite Antiracismes - colonialismes

Le 2 mars, une manifestation antifasciste régionale initiée par le Front antifasciste Lorient a réuni entre 1800 et 2500 personnes. Il faut saluer l’initiative des camarades lorientais.es qui ont initié cette manifestation appelée par 70 orgas. Toute tentative contribuant à faire de l’antifascisme le sens commun et cherchant à impliquer largement est à encourager. Mais il y a un bilan à faire car la manière dont la manif’ s’est terminée met en lumière des manquements stratégiques qui touchent tout le mouvement antifasciste. Retour à chaud pour ouvrir de nécessaires discussions.

Gros dispositif policier. Intimidation des keufs en amont qui arrêtent tous les véhicules qui s’approchent du point de RDV, fouillent les coffres et contrôlent les identités. Plus contrôle des personnes à pied aléatoirement. 4 personnes sont en garde à vue avant même que la manif ne démarre. Ça mettait un certain niveau de tension avant même de commencer + ça te faisait bien comprendre que les antifascistes sont considéré.es comme une menace et qu’être antifa c’est un truc qui risque de te causer des ennuis.

Après lecture du texte d’appel, la manif part. Première moitié de manif pépère. Des tags, des collages, des chants. Mobilisation variée : cortège de tête derrière de belles banderoles portées par un bloc de noir vêtu d’environ 200 personnes. Cortège divers : présence d’un cortège sans papiers rennais petit mais dynamique, d’un cortège féministe et d’un cortèges syndical enthousiastes, présence de Young Struggle, de l’UCL, de mouvements régionalistes, de collectifs antifascistes en zone rurale, d’une fanfare... Grosse présence sur les murs de la ville de la campagne Désarmer Bolloré. J’ai pas vu beaucoup d’affiches/tags ciblant le RN à part « le RN est belliqueux, nous aussi ». Les messages restaient généralistes et pour certains, pas très inspirés : « nik 1 faf », « Macron explosion ». Quelques chants/slogans entendus : « R comme racistes, N comme nazis ». « Bretagne antifa », « lorient antifa », « pas de fachos en Bretagne, ni en ville ni en campagne ».

Changement d’ambiance à partir de la moitié du cortège. La vitre du siège du PS est défoncée, le tout agrémenté d’un petit tag « PS traître au mouvement, LFI aussi ». Sur le parcours, une banque et plusieurs agences d’intérim sont défoncées. La répression ne se fait pas attendre. A un carrefour, un accrochage avec les keufs amène plusieurs nuages de gaz. La majorité du cortège, plutôt ambiance balade du dimanche en famille, n’était pas préparée à ça et a donc logiquement rebroussé chemin, sans comprendre ce qui se passait. J’ai entendu beaucoup de gens se plaindre de la casse et partager leur incompréhension sur les cibles.

La bonne cible au bon moment

Résultat : débandade. Suite à la casse des vitrines et à la répression qui a suivi, nous perdons plus de la moitié du cortège et les gens avancent en ordre dispersé. Sans entrain. Gros flottement. Pourtant c’est un moment clé car nous arrivons près d’un bar de fachos qui représente une cible de choix pour une manif antifasciste. Le front antifasciste qui organise la manif ne donne pas de consignes ni d’infos. Je n’ai par exemple pas entendu d’infos sur les arrestations en amont de la manif ni même sur les arrestations en cours de manif, ce qui n’a pas permis de réfléchir aux moyens de soutenir les camarades (si ça a été fait, l’info a mal circulé car on est nombreux.ses à ne pas les avoir eu). J’entends juste Solidaires qui annonce le repli puis peu après explique qu’on est bloqué parce que les flics nous empêchent l’accès au bar de fachos. Iels rangent tout de même leur sono dans la foulée. Et pour cause. Il n’y a plus aucun enthousiasme.

Pourtant, c’est à ce moment là que nous aurions dû faire preuve de combativité. Autant beaucoup de personnes étaient dubitatives voire énervées de la casse du local du PS et des agences d’interim, autant nous aurions pu assumer collectivement l’attaque d’un repaire de fascistes. Ou du moins si une partie du cortège avait pris l’initiative, la cible était compréhensible, même pour celles et ceux qui sont effarouchées par la « violence ». Et même si tout le monde n’y avait pas participé et approuvé, au moins les personnes auraient compris le mouv’.

Il y avait des fachos qui traînaient autour du cortège. Manque de cohésion et de communication ont fait qu’ils ont pu prendre en photo les gens tranquillement. Parfois ils ont été chassés (juste avec un coup de pression) sur l’initiative de petits groupes mais c’était loin d’être systématique. Plusieurs infos indiquant la présence de fafs aux alentours du cortège sont restées sans suite, notamment parce que la tête de cortège était trop concentrée sur les vitrines et les keufs et que les infos circulaient mal.

Nous sommes restées statiques un bon moment dans la rue à proximité du bar de fafs, bloqué.es par les keufs qui ne permettaient pas de suivre le parcours prévu, sans que j’entende une quelconque consigne. Les flics ont, sans raison apparente, chargé et sont repartis avec une belle banderole « Bretagne antifasciste » distribuant des coups au passage. La rue s’est peu à peu vidée et les gens sont rentrés vers leur voitures. Pas de prise de parole à la fin parce que pas vraiment de fin de manif, juste une dispersion progressive. Ce qui veut dire pas de moment où on se donne un peu de force à la fin, pas de perspectives qui sont partagées largement, notamment à l’approche du 22 mars (journée internationale de lutte contre le racisme) et d’une possible dissolution cet été. c’est dommage.

Questionnements stratégiques
Cela pose la question de l’analyse et de la stratégie antifasciste (ou de leur absence). Pour certaines personnes, être antifa semblait vouloir dire être anti-tout, d’où le choix des cibles et certains slogans qui glorifiaient l’émeute sans rapport aucun avec le fascisme. Certes, la situation est tellement flippante que ça donne envie d’aller vite. Plus que jamais, « Tout cramer devient vital » comme le dit si bien le slogan. Mais on n’y arrivera pas à quelques incendiaires. Je précise que je n’ai aucune empathie pour les vitrines des agences d’intérim et encore moins du PS. Et en soi j’étais bien content que les étrons socialistes qui ont tant fait pour faire progresser le RN depuis Miterrand en prennent pour leur grade.

Mais on doit se poser la question de l’impact de ce genre de mouv’ pour la lutte antifasciste. Le problème n’est pas les moyens, mais les cibles. Etait-ce vraiment pertinent de se faire la vitrine du PS et des interims lors de cette manif ? Quel en sera l’impact pour la suite de la lutte antifasciste ? Préfère-t-on être 5 à attaquer le local du PS ou 500 à attaquer un local fasciste ?

S’attaquer dans ce contexte à des cibles qui n’ont pas de lien direct avec le fascisme relève à mon sens d’un manque de pensée stratégique et tactique. Comme si on ne savait pas où taper et qu’on tapait ce qui nous tombe sous la main. Comme si on avait un seul outil, l’émeute, et que celui-ci devait être utilisé dans toutes les situations. A mon sens, les retombées de cette manif, que ce soit dans la presse (articles qui se focalisent sur le danger antifa plutôt que sur le danger fasciste) ou via les retours de terrain des camarades qui sont parti.es déçu.es et en colère de la manif, risquent d’être démobilisatrices. Elles ne vont pas faciliter la constitution/renforcement des mobilisations antifas larges dont nous avons pourtant besoin. Pour éviter cette démobilisation et faire en sorte de ne pas nous retrouver uniquement entre révolutionnaires à lutter contre le danger fasciste, nous devons faire en sorte que l’antifascisme soit réellement l’affaire de toutes et tous. Pour cela, nous devons nous doter d’une stratégie antifasciste claire et partagée pour la suite.

Quel antifascisme ?
Évidemment nous devons lutter sur d’autres fronts, mais gardons en tête que si les fascistes prennent le pouvoir, il n’y aura pas de révolution. La lutte antifasciste nécessite donc une lutte spécifique et doit se donner comme objectif prioritaire d’empêcher les fascistes de s’organiser. Ce qui distingue les fascistes des autres partis racistes et autoritaires, c’est leur volonté de mettre en mouvement la population pour écraser notre camp et toutes celles et ceux qui font obstacle à l’idée qu’ils se font de la pureté nationale. C’est cette capacité à mobiliser les masses dans la rue qui les rend utiles à la bourgeoisie quand elle n’est plus en mesure de gérer avec ses méthodes habituelles une grave crise du système.

Certes le FN/RN, en quête de respectabilité pour accéder au pouvoir, ne dispose pas de chemises brunes ou noires mais il n’a pas renoncé à la violence et il maintient des liens avec de nombreux groupuscules violents qui fleuriront dès l’accession du FN/RN au pouvoir ou l’aggravation de la crise. Si nous attendons que le FN/RN ait sa milice pour les appeler fascistes et les combattre comme tels, nous sommes mort.es car les fascistes avancent masqués. C’était déjà la stratégie des nazis que Goering, un dirigeant nazi, énonçait clairement en 1931 : « nous voulons prendre le pouvoir légalement. Mais ce que nous ferons de ce pouvoir quand nous l’aurons, c’est notre affaire ». On connaît la suite de l’histoire.

Et pour qu’il y ait un danger fasciste, il faut qu’il y ait une organisation fasciste pour l’incarner. En France, c’est le FN/RN. C’est donc dès aujourd’hui qu’il faut combattre le FN/RN en tant que maison-mère du fascisme en France, celle sans qui les groupuscules violents et les milliardaires réacs ne pourraient pas grand chose. Cela veut dire : pas une réunion publique ou un tractage de fachos, l’urgence de rediaboliser le RN et de rappeler ses origines (un parti fondé par des nazis et collabos) et surtout son projet fasciste.

Une stratégie unitaire, des tactiques différentes

Cela nécessite des alliances larges qui dépassent largement le rang des révolutionnaires. C’est à la construction de ce type d’alliances que ce genre de manif doit contribuer : un front large qui porte une stratégie unitaire qui autorise des tactiques différentes (tous les moyens sont bons pour empêcher un meeting du RN). C’est ce qu’a fait avec succès le Front antifasciste lorientais en regroupant de nombreuses organisations. Cependant, le texte d’appel de la manif du 2 mars reproduit une erreur d’analyse qui traverse une grande partie du mouvement antifa en entretenant le flou sur ce qu’est le danger fasciste et donc sur les moyens de le combattre (https://frontantifalorient.wordpress.com/ ). Il ne parle que de manière marginale du RN (pourtant locomotive de tête du fascisme) et du racisme (qui est le carburant principal de cette locomotive).

Le texte d’appel se conclue ainsi : « Nous sommes convaincu·e·s que la réponse à la montée de l’extrême-droite réside dans un combat pour plus de justice et d’égalité sociale, pour toutes et tous ». Avec Autonomie de classe (A2C), nous pensons au contraire que la lutte antifasciste nécessite une unité d’action de notre classe contre les fascistes et pas une unité de programme. Nous ne pouvons pas attendre d’avoir convaincu tout le monde du bien-fondé du communisme pour mettre les fachos hors d’État de nuire. On ne fera assurément pas la révolution avec le parti socialiste (on la fera contre lui et les tendances réformistes) mais gardons en tête que pour interdire des meetings fascistes ou virer des fafs d’un marché on aura sûrement besoin de sympathisant.es socialistes à nos côtés.

Qui est l’ennemi ?
Oui le PS a une responsabilité énorme dans la montée du FN/RN et casser sa vitrine est plus que légitime. Mais en faisant ça, les camarades veulent prendre des raccourcis qui mènent à des impasses. Défoncer la vitrine du PS ne convaincra que les convaincus. Et nous coupera de ceux qui le considèrent encore légitime.

Si on veut convaincre que le réformisme pue du cul, Il nous faut faire le taf au quotidien, dans nos espaces de lutte, de travail et de vie. Ça implique de faire de la politique en sortant de l’entre soi comme tente de le faire le Front commun lorientais. Être révolutionnaire passe par convaincre dans notre camp de la justesse de nos analyses et que notre radicalité n’est pas une posture mais une nécessite, la seule voie possible.

Ça n’empêche pas de casser des vitrines du PS ou de les taguer mais ça semblait pas le bon contexte là, dans une manifestation antifasciste ! Encourageons le recours à une diversité de moyens mais mettons nous d’accord pour cibler les fascistes ! Dans les années 30, le KPD (parti communiste allemand) taxait le SPD (parti socialiste allemand) de social-fasciste et traitait les socialistes comme des ennemis au même titre que les fascistes. Certes le SPD des années 30 n’est pas le PS d’aujourd’hui mais servons-nous de ces exemples historiques pour ne pas reproduire les erreurs. Luttons au quotidien contre les tendances réformistes au sein de notre camp mais construisons des mouvements antifas larges (qui incluent les réformistes qui sont ultra majoritaires aujourd’hui) pour empêcher les fachos de s’organiser et pour lutter contre le racisme.

Manu (Autonomie de classe)

P.-S.

Lien vers un article qui fait un bilan détaillé des impasses de l’antifascisme groupusculaire et argumente sur la nécessité d’un mouvement antifasciste large qui ne soit pas le fait de spécialistes

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par une administratrice du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Derniers articles de la thématique « Antifascismes - Extrêmes droite » :

> Tous les articles "Antifascismes - Extrêmes droite"

Derniers articles de la thématique « Antiracismes - colonialismes » :

Discussion "La lutte anti-raciste a t elle sa place à Saint-Brieuc ?"

Pourquoi nous ne pourrons pas faire la révolution sans lutter contre le racisme ? Comment expliquer la faiblesse des luttes anti-racistes à St-brieuc (et comment y remédier) ? Comment convaincre de la nécessité des luttes anti-racistes ? Samedi 1 mars, La Serre (chemin de la Planche) Saint...

> Tous les articles "Antiracismes - colonialismes"

Vous souhaitez publier un article ?

Vous organisez un évènement ? Vous avez un texte à diffuser ?
Ces colonnes vous sont ouvertes. Pour publier, suivez le guide !
Vous avez une question ? Un problème ? N’hésitez pas à nous contacter