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Harz-Labour n°33 : Le travail est à la vie ce que le pétrole est à la mer

Rennes
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Numéro de Harz-Labour distribué à Rennes lors de la manifestation du 31 janvier.

Au sommaire : Poésie, interview de syndicalistes du CHU de Rennes et article sur conditions de travail à la librairie Le Failler.

Entretien avec des syndicalistes soignants rennais.

"On se joint évidemment à la grève interpro."

Delphine est psychologue au CHU de Rennes, élue à la commission exécutive du syndicat du CHU et élue à la commission exécutive de l’UL CGT Rennes

Yoann est infirmier au CHU de Rennes, militant CGT, lui aussi élu à la commission exécutive du CHU, et il siège en tant que titulaire au Comité Social d’Établissement (CSE).

On entend fréquemment parler de la situation des urgences, qui ne fait qu’empirer. Le professeur Louis Soulat, chef de service des urgences à Rennes et vice-président du syndicat Samu-Urgences de France, a participé pour son syndicat au recensement des « morts inattendues ». Ils ont dénombré 30 décès cet hiver dans les services d’urgence en France qui, semble-t-il, auraient pu être évités.

Delphine : Le professeur Louis Soulat était membre de la chefferie du CHU de Rennes, au niveau administratif, mais il a dû quitter ses fonctions l’année dernière car il était trop critique et qu’il alertait souvent les médias sur la situation aux urgences.

Les morts inattendues sont notamment liées au temps d’attente aux urgence, et au sous-effectif au niveau médical. Ici, il manque une dizaine de médecins, et les infirmiers et les aide-soignants sont eux aussi soit en sous-effectif soit face à un nombre énorme de patients. Les urgences de Pontchaillou ont été conçues pour 250 ou 300 passages, et on se retrouve parfois avec le double, ce qui fait qu’il n’y a pas le temps de s’occuper convenablement des gens. Depuis l’été dernier on a exercé à plusieurs reprises notre droit d’alerte à propos de la situation aux urgences, la dernière fois le 5 janvier. Et en effet, pour ces morts qualifiées d’inattendues, si des personnes n’avaient pas attendu pendant 36 heures sur un brancard, certaines ne seraient pas décédées. Le nombre de lits a été réduit dans tous les services, il faut attendre qu’un lit se libère pour opérer, et ça bouchonne aux urgences…

D’ailleurs, est-ce que vous avez perdu beaucoup de collègues du fait de l’obligation vaccinale contre le covid ?

Delphine : 70, sur près de 8 000, un peu moins d’1 %. A la CGT on est pour la vaccination, mais contre l’obligation.

Yoann : Oui, on était opposé à la suspension des agents. Il fallait argumenter et convaincre. Et ça fait aujourd’hui partie de nos revendications, que les collègues soient réintégrés, parce qu’on a besoin des salariés.

Delphine : Il faut prendre des précautions, mais il faut aussi savoir que les non-vaccinés sont suspendus, alors que les soignants qui ont le covid doivent venir travailler s’ils sont asymptomatiques… Comme si on ne transmettait pas quand on n’est pas symptomatique…

Le gouvernement comme les médias développent un discours stigmatisant aussi des personnes qui viendraient aux urgences sans que cela soit nécessaire, pour expliquer le temps d’attente, vous en pensez quoi ?

Delphine : Oui, ils disent que des patient viennent pour de la « bobologie », et ils n’arrêtent pas de dire qu’il faut appeler le 15 d’abord. Ils ont tort sur les deux aspects. Les gens qui viennent aux urgences n’ont pas de connaissances particulières en médecine, ils ne savent pas forcément si ce qu’ils ont est grave ou non, et les urgences sont censées accueillir tout le monde. On sait aussi que des pathologies peuvent s’aggraver si elles ne sont pas prises en charge rapidement. On ne peut pas reprocher à quelqu’un de venir aux urgences un vendredi pour une cystite (une infection urinaire), alors que s’il attend jusqu’au lundi il peut se retrouver avec une pyélonéphrite, ce qui signifie que l’infection sera allée jusqu’au rein. Alors il vaut mieux venir le vendredi pour recevoir des antibiotiques et traiter son infection, plutôt que d’attendre, d’autant plus qu’il n’y aura pas forcément de place en néphrologie pour être opéré… Et aussi, quand le gouvernement a dit en juillet qu’il fallait appeler le 15 avant de venir aux urgences, ils n’ont pas augmenté les effectifs des régulateurs médicaux au standard du Samu, qui a donc été submergé. Le temps d’attente au 15 était de près de sept minutes, on imagine ce que ça donne en cas d’infarctus ou d’AVC…

Et vous constatez des effets de ce discours culpabilisant sur les patients ?

Delphine : Oui, des gens viennent trop tard aux urgences ou n’osent pas appeler le 15, ce qui entraîne des pertes de chance.

Et parfois, lorsqu’on se sent mal, on se rassure en se disant que notre symptôme va passer, parce qu’on n’est pas très motivé à l’idée d’attendre six heures à l’hôpital…

Delphine : Oui, et parfois ça ne passe pas, alors on arrive aux urgences quand la situation s’est aggravée…

Vous pouvez dire ce qu’ont changé les accords signés il y a deux ans, suite au Ségur de la santé ?

Yoann : La CGT a participé aux réunions mais n’a pas signé les accords. Des choses prévues n’ont toujours pas été appliquées, on attend toujours par exemple l’augmentation des primes de nuit ou des primes de week-end. L’augmentation des salaires s’est faite sous forme de complément de traitement indiciaire, mais c’est une augmentation qui à terme sera insuffisante du fait de l’accroissement de l’inflation. On aurait préféré une augmentation régulière du point d’indice. Par ailleurs le gouvernement a profité du Ségur pour modifier nos grilles de salaires et rallonger nos carrières. Le gouvernement a fait paraître des documents annonçant qu’un aide-soignant gagnerait 400 ou 500 euros supplémentaires en fin de carrière, mais l’ajout d’échelons et l’allongement de leur durée fait qu’il faudrait travailler jusqu’à 70 ans pour y arriver, ce qui est physiquement impossible.

On nous a aussi promis des augmentations du nombre de lits, alors qu’on a plutôt connu des fermetures. On demandait aussi plus de moyens humains et plus de moyens matériels, qu’on n’a pas obtenus.

D’ailleurs, puisque vous parlez de l’allongement des carrières, on peut parler de la mobilisation contre la réforme des retraites…

Yoann : On se joint évidemment à la grève interpro. Les collègues ne se voient pas travailler jusqu’à 64 ans. On a déjà des collègues en arrêt ou reclassés à cause de troubles musculo-squelettiques, et ça empirera si on doit travailler plus longtemps. Comment fera t-on, par exemple, pour remonter un patient obèse dans un lit lorsqu’on aura 64 ans …

Delphine : Et il faut rappeler que la réforme prévoit de nous faire travailler deux ans de plus, sans augmentation des pensions de retraite …

Les effets d’une augmentation du temps de travail seraient d’autant plus désastreux que parallèlement une part croissante de la population renonce à des soins …

Delphine : Oui, et du fait de l’inflation, des gens mangent de plus en plus mal … Et certains ne vont jamais chez le dentiste, ce qui peut par exemple entraîner des problèmes digestifs ...

Vous êtes nombreux à être mobilisés contre cette réforme des retraites ?

Yoann : Au CHU de Rennes (Pontchaillou, Hôpital-sud, Hôtel-Dieu et La Tauvrais) on était 18,48 % de grévistes le 19 janvier, sur la totalité du personnel. On espère qu’on sera au moins autant de grévistes au CHU le 31, et au moins aussi nombreux dans la rue. C’est une moyenne haute par rapport aux autres mobilisations. Le personnel a parfois un peu de mal à se mobiliser au CHU. Comme dans les entreprises, entre la difficulté de perdre une partie de son salaire, la peur pour son emploi, le risque de la résignation … Même si des salariés sont assignés on les encourage à se mettre en grève, pour être comptés parmi les grévistes.

Dernière question, que pensez-vous de la grève récente des médecins libéraux, demandant notamment une augmentation du montant de la consultation ?

Delphine : François Braun appelle à ce que la médecine de ville prenne une plus grande place. Si les médecins sont plus sollicités c’est logique qu’ils demandent à être plus reconnus. A condition évidemment que ça ne repose pas sur les patients, pour ne pas remettre en question l’accès au soin. Il faudrait aussi augmenter les effectifs, pour que les consultations durent plus d’un quart d’heure.

Cela dit, est-ce que c’était le bon moment pour que les médecins libéraux fassent grève, alors que les urgences débordent ? On constate aussi que c’est une grève qui ne prend pas en compte la question des hôpitaux, une mobilisation qui par exemple ne dit rien de la façon dont sont payés les internes ici. On pourrait aussi parler du fait qu’ici le CHU demande 300 euros aux externes parce qu’ils n’ont pas pu faire un stage l’année dernière ...

Merci beaucoup à vous.

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