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Retour du Convoi de la liberté

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Introduction de lundi.am :

Quelques amies de lundimatin se sont embarquées à l’improviste dans le « Convoi de la liberté » jeudi dernier. Elles nous font part ici de leurs impressions contrastées sur ce voyage inattendu de Toulouse à Bruxelles et de Rennes à Paris. Renouant avec le sens du partage, de la route et de la détermination propres aux Gilets jaunes, le convoi s’inscrit également dans l’actualité de la lutte contre le passe vaccinal, l’accélération de l’inflation et le gouvernement en général. Surtout, on découvre à travers les lignes que, de l’intérieur, le convoi a suscité un élan et une ferveur surprenants (certains pensaient pouvoir bloquer tout Paris plusieurs jours), tout en se confrontant à des limites importantes.

Nous sommes quelques unes à avoir pris part au convoi des libertés entre jeudi et lundi derniers et voici un récit à plusieurs voix et à chaud de ce road trip tout à fait singulier. Ce voyage jusqu’à Paris, et même Bruxelles pour certain.es, nous aura rempli de doutes autant que d’enthousiasme. Plusieurs longues journées de route, des heures de discussions déroutantes, des habitant.es qui ouvrent leur maison - ou leur dancing ! – et accueillent le convoi avec des banquets de sacs de courses sur des parkings, pour finir par descendre et remonter les Champs-Elysées, un samedi après-midi, sous les gaz et se perdre dans Bruxelles en bout de course. Tout cela rappelle bien sûr les premiers temps des Gilets Jaunes, mais après deux ans de pandémie, le paysage politique est bouleversé et ces quelques jours nous l’ont jeté en pleine face.

Plongé.es dans une organisation qui nous dépassait complètement, nous avons vu nos repères ébranlés, en particulier le bipartisme droite/gauche. Nous étions bien loin de penser que la nébuleuse de groupes facebook, influenceur.ses et collectifs locaux du mouvement anti-pass pouvait en une semaine organiser la mobilisation, le ravitaillement et l’hébergement de huit convois motorisés pour tenter de prendre d’assaut des capitales. Depuis la fin de l’été, nous avions déserté les manifestations, par lassitude de n’arriver à rien pour certains, par incertitude et à cause de la présence plus ou moins dissimulée de l’extrême-droite pour d’autres. Alors nous arrivions en partie alourdi.es par notre méfiance dans un mouvement majoritairement blanc soutenu au Canada par Trump et Elon Musk et dont une partie affiche là-bas des couleurs franchement fascistes, à l’affût de signes ennemis, comme ces organisateur.ices du convoi qui ont fait l’étrange choix de reprendre le nom d’un collectif islamophobe canadien, la Meute [1]. Mais c’est tout autre chose qu’un « noyautage » par l’extrême droite [2] qui se joue ici, plutôt une reconfiguration des coordonnées de la conflictualité politique.
Il y a un plan évident de partage avec les autres membres du convoi, la conviction qu’il se passe quelque chose d’important, comme à chaque fois que celles et ceux qu’on dirige à grand coups de communication et de matraque parviennent à se rassembler pour les rendre. Il était facile de sentir pourquoi nous étions heureux.ses d’être fatigué.es et de manger des sandwich ensemble pendant des kilomètres : non, les mesures sanitaires ne sont pas faites pour prendre soin de nous, non, une vie digne ne se résume pas à une courbe ; oui, nous voulons empêcher les puissants d’accroître encore leurs instruments de contrôle et de prédation au nom d’un chantage à la solidarité dont ils se moquent [3]
. Et puis un gouffre s’ouvrait quand untel évoquait le "sang coagulé des vacciné.es", une autre le ’génocide’ en cours. Nos bulles ne se recoupaient qu’en partie, et nous avions parfois le sentiment de traîner le XXe siècle sur nos épaules avec notre analyse économique de la situation, face à des gens dont beaucoup étaient là d’abord contre le vaccin. Il serait absurde de vouloir partager entre bonnes – anticapitalistes – et mauvaises – complotistes – revendications, là où ce qui nous a le plus questionné dans ce mouvement, c’est précisément sa conviction de détenir une vérité tout aussi « scientifique » et indiscutable que celle du gouvernement.

Voici quelques récits de ces journées impressionnantes. Le voyage fut en définitive bien plus fou que les moments de cristallisations, même si voir des 206 défoncées narguer les blindés sur les Champs trois ans après les Gilets Jaunes, ça fait du bien à tout le monde. Nous n’avons pas fini d’y réfléchir et nous ne prétendons ni avoir absolument compris ce qui se joue, ni dicter une quelconque ligne : mais de toute évidence, quelque chose se passe, et quiconque prétend prêter attention aux mouvements réels qui agitent les corps et défient ceux qui les gouvernent se doit d’y être présent.e.

I. Jeudi, Rennes. Embarquement

Cela fait une semaine que je regarde ce groupe Facebook « Le Convoi de la liberté » grossir à vue d’œil. Les publications sont touchantes et me rappellent les grandes heures des Gilets jaunes. Les unes et les autres proposent d’ouvrir leur porte pour accueillir les participant.es aux convois ; ça se salue, s’encourage, se remercie. La sensation qu’il se joue quelque chose d’important se confirme lorsque nous allons accueillir les deux convois bretons au point de ralliement à côté de Rennes, le jeudi soir. Des centaines de véhicules sont garés dans tous les sens et on peut retrouver tous les standings de camping-car et de camions aménagés. Ce qui prédomine, c’est cette bonne humeur incroyable, il y a là une véritable joie d’être ensemble, de se retrouver. Le communiqué du collectif grand ouest organisateur du convoi est lu au micro. Bien qu’il ne soit pas évident de savoir précisément quelles sont les positions partagées par ses rédacteurs, le communiqué énonce des positions et des intuitions que nous partageons en bonne partie. En voici un extrait :

« (...) Pendant 2 ans, vous avez menti, vous les politiques, les médias, les médecins de plateaux, les pseudo-experts, vous avez constamment et sciemment menti.
Sur les masques, vous avez menti.
Sur le confinement, vous avez menti.
Sur la dangerosité du virus, vous avez menti.
Sur la santé de l’hôpital, vous avez menti.
Sur le Pass sanitaire, vous avez menti.
Sur l’efficacité du vaccin, vous avez menti.
Sur sa dangerosité, vous avez menti.
Sur la vaccination forcée, vous avez menti.
Sur la vaccination des enfants, vous avez menti.
Sur quoi d’autres avez-vous et allez-vous encore mentir ?

Maintenant, au bout de 2 ans, nous avons les données, nous avons les chiffres, pas ceux des « sites complotistes », non, les vôtres, ceux des sites officiels. Nous avons des rapports, des statistiques analysables, nous avons du recul.
Maintenant, au bout de 2 ans, nous pouvons voir, sans complaisance, la gestion catastrophique menée avec entêtement par nos soi-disant élites.
Maintenant, nous nous rendons compte de la manipulation extraordinaire, de cette hypnose collective dont vous avez usé pour cacher vos errances, votre incompétence, votre corruption.
Maintenant, nous voyons quelle société vous voulez construire dans votre monde d’après.

Nous sommes là pour vous dire : NON !
Nous ne voulons pas de votre monde d’après.
Nous ne voulons pas d’un flicage permanent.
Nous ne voulons pas d’un hôpital qui crie famine.
Nous ne voulons pas d’un QR code qui mène nos vies.
Nous ne voulons pas d’un monde où les devoirs priment sur les droits.
Nous ne voulons pas d’un monde fait de suspicion, de méfiance, et de haine.
Nous ne voulons pas non plus retourner dans le monde d’avant, celui-là même qui a permis que tout ceci se produise. (...) »

Face aux multiples revirements que la politique sanitaire nous a fait subir les deux dernières années, qui ne serait pas d’accord avec la désignation du caractère mythomane du gouvernement ? La politique sanitaire s’est caractérisée par une profonde précipitation ultra-affirmative qui s’illustre encore aujourd’hui dans la manière qu’a le gouvernement de lever les restrictions aussi vite qu’il les impose. Le désarroi, l’inconfort et l’impuissance que nous ressentons depuis deux ans sont largement partagés. Qui ne s’est pas étonné de ne pas avoir vu ressurgir plus tôt les Gilets jaunes avec la flambée de l’inflation et du prix de l’énergie ? Si un mouvement de contestation important surgissait, il devait forcément dépasser le cadre restrictif des manifestations contre le pass sanitaire. Et pêle-mêle, il devait rassembler en son sein à la fois l’inflation, le pouvoir d’achat, le prix du pétrole, les restrictions des libertés, l’infantilisation des discours gouvernementaux, etc.

Ce qui réunit les personnes présentes dans les convois, c’est d’un côté le ras-le-bol de la politique gouvernementale, que l’on soit pour ou contre le vaccin, et de l’autre un profond désir de sortir de l’isolement. Les deux années de gestion de pandémie du Covid ont été un biais de politisation important, structuré largement par les réseaux sociaux. Aujourd’hui le mouvement révèle que ses liens sont loin d’être seulement virtuels.

Bien sûr, il n’est pas toujours évident de déterminer dans les discours quelles allusions se cachent et ce n’est pas chose aisée que de s’y confronter.

Par exemple, lorsque certain.es demandent « la justice pour nos morts », de quels morts parlent-ils ? Ceux dus au virus, au vaccin, ou à la co-morbidité massive liée à la mauvaise vie et malbouffe induite par le capitalisme depuis 50 ans ?

Pourtant, lorsque nous faisons la rencontre de ce convoi, nous décidons d’embarquer dans l’aventure. Quoi de mieux qu’un road trip spontanné pour se rencontrer d’égal à égal ? Et quelle aventure !

La suite (et des illustrations) sur lundi.am.

Notes

[1La Meute OBT, principaux organisateur.ices du mouvement à côté de Convoy France, favorables au blocage de la capitale. Leur logo douteux (un loup bondissant aux couleurs de la France) nous a interrogé, mais iels se défendent sur telegram de toute affiliation aux racistes canadiens. Il s’agit du groupe organisé autour de Rémi Monde, qui a rejeté la récupération de Philipot au nom de leur neutralité politique.

[2Nous n’avons pas vu de drapeau, logo, groupe virtuel ou réel se revendiquant explicitement d’une idéologie identitaire (après vérification, le « Bloc lorrain » croisé à Paris est en fait un groupe anarchiste et anticapitaliste). En revanche, nous avons croisé une foule de références, individus ou médias appartenant à la sphère dite « complotiste », sur lesquelles nous reviendrons.

[3À ce sujet, voir les revendications de la lettre ouverte de Convoy France à Emmanuel Macron, qui nous semblent tout à fait censées bien qu’insuffisantes : fin de l’état d’urgence, fin de l’obligation vaccinale et enquêtes indépendantes sur la gestion gouvernementale de la pandémie, réintégration des soignant.es, abrogation de la loi sécurité globale et contrôle démocratique de l’identité numérique.

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