Face au bombardement médiatique qui instille la peur et tétanise les esprits des corps déjà confinés, nous sommes quelques caennais.e.s à s’être regroupé.e.s pour écrire ce texte. L’objectif était multiple : échanger et rompre l’isolement qui nous pèse, mais aussi pour rester alerte et critique face à la panique généralisée. Cette peur renforce l’individualisme jusqu’à pousser certaines personnes à devenir les délatrices de leurs voisin.e.s qui ne respecteraient pas le confinement et à expulser les soignant.e.s de leur logement par peur d’être contaminées. Cette politique de la division, pourtant nommée « unité nationale », ne peut être passée sous silence. Au contraire même, nous avons besoin d’être solidaires et de préparer une réponse forte pour les semaines à venir.
« Les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies. » (L. Brilliant, épidémiologiste)
La crise sanitaire actuelle vient démontrer, de bout en bout, ce qui était dans le débat public depuis quelques années déjà : crise sociale et environnementale sont indissociables. En effet, 60% des microbes pathogènes pour l’être humain viennent de l’animal, comme le virus Covid-19 qui sévit actuellement [1]. Doit-on pour autant incriminer la chauve-souris, le pangolin, ou les populations asiatiques qui les consomment ? Si de leur point de vue manger des tripes de porc ou des escargots est probablement tout aussi exotique, les causes principales d’émergence et de diffusion des virus sont à trouver ailleurs. Les virus font partie de la vie, mais leur propagation est considérablement accrue par la surexploitation des ressources terrestres (humaines incluses) guidée par la quête incessante de profit :
- Déforestation massive : à la source, la perte d’habitats naturels pour des espèces telles que la chauve-souris et le rapprochement géographique avec des zones habitées ont engendré la transmission vers l’humain du virus EBOLA (depuis 1976).
- Elevage industriel des animaux : l’entassement en captivité d’espèces ne se côtoyant pas naturellement a ainsi démarré les épidémies du SRAS (2002) et H1N1 (2009). L’abattage intensif des animaux pour la viande rend aussi impossible la transmission génétique des défenses immunitaires d’une génération à une autre.
- Mondialisation : la contamination a été d’autant plus rapide que le virus a voyagé via les réseaux de transports mondialisés établis pour faire circuler les marchandises et une partie de l’humanité (principalement cadres et touristes internationaux, seulement 7% de la population mondiale).
- Destruction des services publics : c’est la même logique économique de rentabilité et de privatisation qui a dégradé ces dernières décennies, dans la plupart des pays dits développés, les systèmes publics de santé, rendant nos sociétés vulnérables face aux virus.
En bref, « avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénée, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter »[2]. Autrement dit, la responsabilité est plus à attribuer à cette bête nommée Capitalisme qu’au Pangolin. Si l’être humain doit utiliser des ressources terrestres pour vivre, c’est leur consommation sans limite pour satisfaire l’enrichissement d’une minorité qui est le principal problème.
Quand le gouvernement libéral nous ment ouvertement
Maintenant et face à ce constat, il faut bien se protéger. Appliquer les gestes « barrière », éviter de sortir et restreindre ses rencontres pour quelques temps, relève du bon sens pour éviter que nos proches et nous-mêmes soyons contaminé.e.s. Cependant, ne nous laissons pas berner par les discours de Macron et veillons à ne pas accepter béatement les mesures mises en place à travers l’état d’urgence sanitaire. Etant particulièrement influençables et plus prompts à accepter des mesures de restriction de liberté quand on se sent menacé.e.s, il va falloir redoubler d’attention dans les prochaines semaines qui préparent le déconfinement. Mais on peut aussi déjà analyser ce que proposait Macron lors de son allocution du 16/03 [3].
Faire l’éloge des soignant.e.s et de leur dévouement ? Macron, comme ses prédécesseurs et leur logique de rentabilité marchande, a progressivement liquidé l’hôpital public (mais aussi France télécom, EDF-GDF, l’université, l’éducation nationale et récemment la SNCF) depuis des années et a répondu aux revendications des salarié.e.s comme à celles de beaucoup d’autres : à coups de matraque et de gazs lacrymos. Entre 2003 et 2017, ce sont 69 000 lits d’hospitalisation complète qui ont été supprimés, et 4 200 lits en moins en 2018 [4]. Le gouvernement peut bien vanter le courage des soignant.e.s alors qu’il continue à les sous-payer depuis des années, sachant que, pour exemple, les infirmier.e.s français.e.s font partie des moins bien rémunéré.e.s des 29 pays de l’OCDE [5]. Et pourquoi attendre la sortie de crise pour embaucher massivement du personnel hospitalier ? Peut-être car pendant ce temps ce sont les étudiant.e.s soignant.e.s qui sont exploité.e.s ! Crise oblige, ils.elles se voient confier les mêmes responsabilités et la même charge de travail que leurs collègues diplômé.e.s pour une indemnité de stage de 1€ de l’heure en moyenne pour les élèves infirmier.e.s [6]. Quant aux personnels d’entretien, de ménage, d’accueil, brancardier.e.s, qui sont autant mobilisé.e.s et sous-payé.e.s, à qui on refuse parfois les protections réservées aux soignant.e.s, on en parle trop peu…
Des sous pour la santé ? Macron, le 05/04/18, affirmait à des soignant.e.s en difficulté qu’il « n’y avait pas d’argent magique » pour sauver des vies au sein des hôpitaux alors que la même année, par exemple, la France engrangeait 9.1 milliard en exportant la mort avec ses ventes d’armes à l’étranger [7]. Aux injonctions contradictoires (sur la dangerosité ou non d’une "gripette" ; d’aller voter mais de rester chez soi ; sur l’inutilité puis les bienfaits des masques), se succède une politique de l’esbroufe à grand coup de com’ et d’images exceptionnelles. Pourtant, comment ne pas se demander s’il s’agit d’une fakenews quand la 5e puissance militaire, et 6e puissance économique, propose un hôpital militaire de seulement 30 lits ? Que dire des hélicoptères de l’armée mobilisés devant les caméras, et des TGV médicalisés, pour transférer quelques malades ? Alors que des urgentistes expliquent qu’il serait beaucoup plus simple et moins coûteux (et plus confortable pour les malades), de transférer les respirateurs d’une région à l’autre. On voit beaucoup moins au JT les infirmier.e.s revêtu.e.s de sacs-poubelle par manque de blouses.
Prôner l’unité nationale face au vil Corona ? Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas entendu de discours guerrier, pour mobiliser face à un ennemi commun (« nous sommes en guerre » x 6 dans le discours de Macron du 16/03). Or un virus n’est pas un ennemi et la seule unité qui peut exister, c’est celle des populations entre elles. Avec son appel à « l’union nationale », Macron essaye de nous rassembler derrière lui et ses collègues alors que, clairement, c’est grâce à celles et ceux qui bossent en ce moment (soignant.e.s, médecins, éboueurs.euses, etc.) et à notre bon sens collectif qu’on s’en sortira. S’il y a un appel à rester soudé.e.s qui peut être pertinent, c’est celui pour soutenir les personnes déjà en situation d’inégalité qui vont être encore plus dans la merde.
Au nom de la Santé, tout est bon, surtout la privation de nos libertés !
Il ne manquait plus qu’une justification béton à l’Etat pour pousser beaucoup plus loin sa politique liberticide et anti-sociale déjà « En marche ». Avec comme argument le soin pour toutes et tous, qui oserait critiquer maintenant les mesures gouvernementales ? Macron s’en est habilement assuré lors de son 1er discours, en rappelant plusieurs fois que ce sont les scientifiques qui justifient ses choix. Mais, est-ce la science qui veut nous pousser à travailler jusqu’à 60h/semaine et le dimanche ? Est-ce la science qui impose des drones pour contrôler les rues de certaines grandes villes (Paris, Marseille, etc.) ?
Non, bien sûr, ce sont des choix politiques, pris dans l’urgence pour régler certains aspects de la crise. Ces mesures d’exception risquent grandement de se banaliser ensuite [8]. Vous n’y croyez pas ? Le fichage ADN de la population était, à ses débuts, réservé aux délinquants sexuels (1998), maintenant on vous oblige à le donner dès que vous allez en garde-à-vue pour toutes sortes de motifs [9]. Le délit de « groupement en vue de commettre des violences » [10] apparu sous Sarkozy, aussi large qu’arbitraire et avant d’être étendu à l’ensemble de la population, ciblait initialement les « jeunes de banlieue » (2009). Les dispositions de l’état d’urgence initialement affichées pour combattre le terrorisme (2015), ont en fait touché durement manifestant.e.s, musulman.e.s, et militant.e.s écologistes pour être ensuite introduites dans le droit commun en 2017. Etc. etc. etc.
Quant au confinement, il est à géométrie variable. Il va sans dire qu’en fonction de notre positionnement sur l’échiquier social, on n’est pas logé.e.s à la même enseigne. D’un côté celles et ceux qui s’extasient via leurs journaux, qui devraient rester intimes, et ont l’indécence de paraître dans les mass médias, sur la verdure des pâturages au matin, là-bas, "en province". De l’autre celles et ceux qui survivent dans des 10m² et craignent humiliations et réprimandes à chaque sortie, de la part des forces dites "de l’ordre". Les descendant.e.s de l’immigration, ou stigmatisé.e.s comme tel.le.s qui vivent principalement dans les quartiers périphériques, plus sujet.te.s au harcèlement policier, comme en attestent déjà de nombreux témoignages [11]. Les femmes victimes de violences conjugales enfermées avec leur agresseur. Les personnes à la rue, dont les migrant.e.s, qui n’ont pas de chez-soi pour se confiner. De la même manière, les écarts scolaires risquent de se creuser encore davantage entre enfants de familles aisées, qui ont plus d’accès à l’informatique et dont les parents ont plus de possibilités de les aider, et les enfants de familles pauvres, qui ont moins de ressources à leur disposition.
Mais il est important de rappeler aussi, que ce sont surtout les travailleurs.euses qui sont obligé.e.s de prendre des risques. D’ailleurs ce sont entre autres celles et ceux à qui on voulait supprimer leurs régimes spéciaux de retraite. Quid des grosses boîtes qui restent ouvertes et obligent leurs salarié.e.s à venir bosser sans masques de protection ni certitude de primes (PSA, Armatis, Airbus...) ? Quid des salarié.e.s sous payé.e.s et socialement méprisé.e.s qui vont bosser tous les jours en prenant des risques (éboueurs.euses, caissier.e.s, salarié.e.s du médico-social) pendant que certain.e.s peuvent rester chez elles.eux, au chaud derrière leur PC pour télétravailler ? Ce ne sont certainement pas les plus riches qui risquent de se retrouver sans respirateur dans des hôpitaux débordés, à craindre pour leurs vies. Ce que cette crise révèle aussi de façon criante c’est la fracture de classe sociale qui va jusqu’à impacter notre espérance de vie face au virus !
« Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant » (Macron, 16/03)
Comme l’a dit Macron, « beaucoup de certitudes, de convictions, sont balayées (et) seront remises en cause », et il n’est pas difficile de deviner lesquelles.
Travail hebdomadaire de 48h à 60h, travail le dimanche, diminution du temps de repos entre 2 jours de travail, congés forcés ou modifiés pendant le confinement et après (jusqu’au 31 décembre 2020), etc. : censées être appliquées dans les « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale » (peut-on faire plus large que ça ?), ces mesures néo-libérales, qui pourraient rester en place après la crise, vont dans le sens du patronat et non de la santé des salarié-e-s. Après tout, 10h/jour pour un salaire de merde, de quoi se plaint-on ? Unanimement saluées par les lobbies ultra-libéraux, ces différentes mesures renforcent encore la flexibilité imposée et la corvéabilité des salarié.e.s. Comme à son habitude, l’Etat va justifier ses nouvelles mesures antisociales et continuer la destruction du Code du travail sous couvert de plans de sauvegarde des entreprises et donc de l’emploi et de l’exploitation. En attendant, le gouvernement veut nous donner l’illusion d’une accalmie de cette guerre de classe quotidienne : l’incitation à ne pas verser de dividendes (seulement en cas de report de charges ou de garantie de prêt accordée) n’est qu’une manière détournée de nous faire avaler les ordonnances de Pénicaud, tandis que les pseudo-primes défiscalisées ne sont encore qu’une manière détournée de ponctionner nos salaires indirects...
Le télétravail et l’enseignement à distance : avançant doucement dans les entreprises, comme dans l’éducation nationale et l’université, car rencontrant des résistances, la période de confinement va permettre un test à grande échelle. Il est probable de voir une extension de ces mesures post-confinement alors qu’elles tendent à effacer la limite travail / vie privée et à déshumaniser les apprentissages [12].
Contrôle généralisé de la population : déjà bien avancé grâce à la présence tristement banale des caméras de vidéosurveillance (plus de 120 à Caen [13] avec la promesse de campagne de Joël Bruneau d’augmenter encore drastiquement ce chiffre...). Maintenant, on est bien parti.e.s pour être bientôt géolocalisé.e.s grâce à nos portables (smartphones comme Nokia 3310), avec, au passage, la surveillance de toutes nos interactions sociales [14]. C’est ce qu’il se passe actuellement en Chine, en Suisse, et dans pleins d’autres pays. Mais rassurez-vous, c’est uniquement pour votre bien, il ne peut pas en être autrement vu que le comité qui s’en charge s’appelle le CARE ! (pour Comité Analyse Recherche et Expertise, care = soin en anglais). En tout cas, l’Etat profite de cette crise pour expérimenter à grande échelle ses technologies de contrôle : hélicoptère à vision infrarouge à Nantes (entre 3000 et 6000€/heure) [15], drones qui quadrillent certaines villes [16], etc. On gardera en mémoire le fait que dans les 15 premiers jours, l’Etat a procédé à 359 000 verbalisations [17], alors qu’il ne fournit toujours pas les moyens humains, matériels et financiers pour faire face à l’épidémie. De plus, nous pensons que les discours clivants sur les bon.ne.s et mauvais.es confiné.e.s sont délétères. Ne rentrons pas dans le jeu de la surveillance généralisée de nos proches, ami.es, voisin.es, parent.es. Ne nous interrogeons pas sur le qui sort ? Combien de fois par jour ? Quand ? Laissons le flic qui sommeille en nous bien au chaud sous la couette. Quel sens ont les amendes arbitraires, à la tête du/de la client.e qui s’élèveront bientôt à près d’un million de verbalisations ? Si ce n’est à nous apprendre à nous soumettre, à intégrer la nécessité d’avoir à se justifier partout, tout le temps, à se sentir illégitime à 200m près ! On nage en absurdie !
Lors de sa dernière allocution, Macron a annoncé le prolongement du confinement d’un mois. Ne nous y trompons pas, le soi-disant virage à gauche du discours faisant référence au conseil national de la résistance ou à la Révolution française, sert uniquement à désamorcer les critiques qu’on pourrait lui faire sur sa gestion de crise. Quid des moyens qui vont être attribués à l’hôpital ? De ceux qui vont être donnés aux profs pour exercer en toute sécurité ? Les beaux discours c’est bien, des moyens matériels et financiers c’est mieux !
Notre entraide ne sera pas le palliatif de leur économie malade !
Plus que jamais (ou comme toujours en fait ?), l’Etat ment, oppresse et réprime... A l’heure où certain.e.s dénoncent leurs voisin.e.s partis en promenade, nous ne pouvons que constater que cette période peut faire ressortir le pire chez l’humain. Mais il se pourrait aussi qu’elle fasse aussi ressortir le meilleur... Si l’on veut savoir ce qu’il va advenir de nous, peut-être faudrait-il définir de quel « nous » on parle. Il y a ce « nous national », abstraction censée nous bercer dans l’illusion d’un corps social soudé, sur lequel on pourrait compter quand ça va mal… La situation actuelle nous montre qu’on ne peut pas compter sur grand-chose, tant gouvernants et capitalistes ont liquidé le patrimoine et les services publics. Ce « nous national » est celui qui nous divise, isole les individus et invite à la délation, réprime et confisque toute participation politique réelle. Et puis il y a le « nous populaire », celui qui face aux mensonges d’Etat, à la répression policière ou à la pauvreté, développe l’entraide. Nous l’avons déjà créé, avec nos ami.e.s, dans nos associations, dans les mouvements sociaux et les batailles que nous avons déjà menées. Ce « nous » là ne se laisse pas confiner !
Nous avons pour la plupart la chance de disposer d’outils qui nous permettent de nous parler, de partager de l’information, de débattre et de nous organiser. A nous de nous en saisir ! A nous de nous ménager, partout où nous le pourrons, des espaces de partage. Prenons soin les un.e.s des autres. De celles et ceux qui nous sont proches, comme de celles et ceux « qui ne sont rien » [18]. Déjà des groupes d’entraide se sont créés [19]. Des initiatives locales et solidaires voient le jour. Au niveau national des précaires refusent de continuer à subir de plein fouet les injustices sociales de ce système et préparent la grève des loyers. Dès à présent, songeons aux manifestations qu’on va préparer, aux lieux d’organisation que l’on va reconstruire, au commun qu’on va continuer à porter !
Vive la débrouille et l’entraide ! Réapproprions-nous nos vies, seule la lutte paye !
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