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[Harz-Labour] Angoisse et relation

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Coronavirus et confinement : article n°12

Est-ce que j’allais partout à toute heure ?, certes non, mais il n’en tenait qu’à moi, au lieu qu’aujourd’hui je ne puis plus décider de mes allers et venues ; il y a cette fameuse et fumeuse attestation à remplir qui limite à une heure maximum et dans un rayon d’un kilomètre au plus la moindre sortie, à raison, bien sûr, d’une seule par jour. J’ignore pourquoi de tels ordres sont respectés jusque dans la forme, sinon qu’est admis le caractère raisonnable d’une limitation des regroupements. Mais en quoi le fait de sortir seul et de, pourquoi pas ?, déambuler à longueur de journée pourrait présenter un risque, personne encore n’a su me l’expliquer. « Le confinement n’est pas une ou des vacances ! »
Se rappeler à ce moment que la nature humaine appelle à toute relation, et que, selon le mot de Valéry, « être seul est toujours être en mauvaise compagnie », le solitaire ou le misanthrope relevant alors de l’anomalie, tel que vous et moi – car il n’y a heureusement que des anomalies, des individus. Mais il est vrai que la relation est le besoin premier de tout être, aussi indispensable à sa survie que l’air ou que l’eau, car garant de son équilibre et motif de sa présence.
Comment se produisent les relations lorsqu’on est enfermé ou reclus volontaire ? Nous n’ignorons pas que le solitaire ou le misanthrope ne sont pas moins en relation que la personne la plus sociable, simplement leurs relations ont pris un autre tour, elles sont moins apparentes, moins saillantes, mais elles n’en sont pas moins réelles et opérantes. Qu’elle soit délibérée ou sous contrainte, une solitude se doit de rester seulide, ainsi elle sera ouverte et respirante. Dans l’isolement, l’imaginaire est bien sûr un réservoir à relations indispensable, peuplé de mémoires et d’inventions, il est le théâtre favori de bien des accointances fertiles. La lecture et la contemplation transportent au moins aussi loin leurs adeptes que les engins les plus véloces. Cependant l’amitié ou la camaraderie constituent le mode relationnel par excellence, et elles sont mises à mal par l’interdiction de se retrouver, de se toucher, de vérifier la proximité des goûts et des idées par la proximité des corps. C’est là une souffrance avant d’être une inquiétude.
Une relation ne saurait se garantir qu’avec des preuves, et le degré de communicabilité technique ne fixe pas la qualité de l’entente qu’il autorise. Le téléphone, les courriers électroniques et autres textos et liaisons virtuelles (Skype, WhatsApp) ne remplacent le « rapport de présences » qu’est la relation dans toute sa plénitude, ils permettent tout juste l’échange d’informations et d’idées, de confidences même, c’est énorme mais… inorganique. Pouvoir faire part d’un manque, d’une confidence, d’une angoisse à quelqu’un représente parfois un luxe. Cette complicité intellectuelle et affective est bien sûr souhaitable pour tous à tout moment, mais elle ne se décrète pas. C’est dans la solitude et l’histoire intime de chacun d’entre nous que se construit l’accroche qui permettra la relation avec la bonne personne, et que se développe la forme d’amour appelée amitié, celle qui ne se justifie ensuite autrement que par la formule célèbre : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Éprouver un sentiment d’abandon, d’isolement extrême, se sentir coupé du reste, c’est la punition extrême. Craindre par avance de ne pas ou ne plus pouvoir entrer en relation produit l’angoisse. Ne pas se sentir en relation, se voir incapable d’accueillir ce qui arrive, tout cela constitue le drame de l’impuissance primordiale, une incapacité à exister, et nourrit l’angoisse qui sommeille, qui empoisonne la vie intérieure, jusqu’à parfois, au-delà de l’étouffement, paralyser le corps dans son entier.
Une période aussi particulière que celle du confinement ne produit qu’exacerbation des fragilités déjà présentes. Qu’elle soit le fait d’une présence martiale ou policière, ou du regard menaçant de charmants voisins, réelle ou imaginaire, l’oppression ne fait qu’accroître pour beaucoup la crainte de la maladie et de la mort. La « mort » étant redevenue prononçable pour l’occasion, même si elle surgit avec des airs de nouveauté alors que c’est une vieillarde éculée, toujours indépassable.
Bien sûr, les conditions de cet isolement forcé varient et, selon ce qu’elles sont, elles rendent plus ou moins aisé l’établissement d’une confidentialité, d’une intimité avec soi-même suffisamment pleine pour que quelque chose se réalise, une expérience intérieure probante. Et il suffit d’un voisinage perturbateur pour que l’écoute intime soit remise en cause, pour que la vie elle-même dans son intensité s’en trouve bouleversée, d’autant que le silence gagné par la solitude rend plus sensible et vulnérable à la moindre tracasserie sonore ou à un semblant d’hostilité ambiante.
Reste la relation au monde présent dans son ensemble. L’angoisse peut percer de la lecture d’une seule information ; un signal est donné, le corps est en alerte, l’instinct de conservation soudain en éveil, avec un stress inhérent et des excitations particulières. L’angoisse se répand volontiers, elle aussi, par pandémie ; la peur peut gagner d’un coup des populations entières, quand chacun se sent en danger et sait qu’il ne trouvera appui chez aucun proche, puisque lui aussi se voit en péril et doit d’abord se sauver lui-même – sachant qu’il est tout autant impossible de se sauver soi-même que de ne pas se sauver soi-même. La peur gagne ainsi et pénètre, entre en contact avec l’angoisse.
L’angoisse, ce poison inévitable, une fiole en est remplie qui se cache au fond de chacun de nous comme une forme de néant incorporée, primordial. Qu’une petite dose sorte de la réserve pour monter en soi, la volonté en sera peut-être renforcée par défi, mais le poison sera plus souvent malvenu, il est de trop. L’angoisse appelle à une trêve dès que possible. Le néant, le vide absolu ne se peut négocier, il avale, et c’est un effet d’étranglement qui fait naître un sentiment de suffocation quand il ne s’agit pas de la remontée d’une sorte de suffocation originelle, pendant de l’inspiration première, du vagissement initial. Une accalmie de ce brûlant vertige s’avère indispensable dans l’instant, sous peine de sombrer. Le succès des anxiolytiques ne doit pas qu’au forcing des labos, c’est que ces maudites molécules répondent à d’impérieuses attentes, et soulagent.
Face à ce vide, ce néant, tout être titube. Les plus nerveux vont s’agiter comme à l’arrière d’un bruit intense, pour se faire peut-être un bruit à eux dans le bruit générique ; l’univers se résume alors à une raison, une cellule, une activité qui ne peut s’arrêter. Car il faut remplir le vide – qu’il s’agit de ne pas voir – avec des gestes, des volumes, des réformes incessantes. Face à ce même vide il y aussi l’attitude contemplative de celui qui se laisse envahir, ne tremble pas. Mystique ou créateur, c’est tout comme, il considère ce vide. Il apprend à prendre patience, à faire quelque chose de ce rien si présent et si vertigineux ; le geste de l’artiste tient de l’angoisse et de la relation, il met en rapport ces deux entités, ces deux extrêmes, sans surtout en renier aucune. L’amitié, la transmission sont aussi des vecteurs impeccables pour une sorte de liberté possible, qui ne tient pas qu’à soi, mais à un ensemble dans lequel nous évoluons, car nous ne sommes que relations, sous peine d’être aliénés, souffrant le martyr. En aucun cas, il n’y a de choix délibéré, chacun fait surtout comme il peut. Le corps est objet de marchandage en même temps qu’abîme, il décide de son pas en fonction d’une inclinaison de la route. Il ne se révolte plus, sa bouche trouve de l’air à nouveau. Personne n’osera le juger de ce qu’il est, pas moins désemparé que lui devant l’immensité. Personne ne peut dire de ce vide permanent et abyssal si, par notre mouvement de vie, l’on s’y projette ou l’on s’y précipite.

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