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Harz-Labour - Du dévoilement à l’autonomie

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« Cette affaire de pandémie n’aura été qu’un dévoilement de plus, à la plus grande échelle cette fois-ci. Une mise à cru de la situation générale »

Bien sûr, beaucoup ont les yeux ouverts depuis longtemps, mais les idées et routines sont les plus fortes, et elles vont nous emporter. Dans une société où la médiatisation domine au point de faire office de réalité, les fables ne sont plus des fables, les discours s’enchaînent à tout va, dont la solennité n’égale que l’inefficace et le ridicule. Les pantins satisfaits qui les portent sont pour le coup démasqués. Qu’importe, la vieille rengaine de la représentation voudra refaire son numéro. À nous, décidément, de ne pas y répondre autrement que par une désertion unilatérale des « obligations morales et citoyennes » qui ne manqueront pas d’être invoquées par l’Etat.

La démonstration a été faite à travers le cas d’école somme toute élémentaire que représente cette « crise sanitaire » de l’impéritie dont font preuve ces gens qui spolient le tout-pouvoir au nom d’une compétence qui serait la leur et qu’on découvre (ou pas) comme étant parfaitement usurpée. Les gens de terrain ont fait globalement la démonstration qu’ils savent à la fois faire le travail qu’on attend d’eux et penser mieux que leur supérieur la manière de l’organiser et le gérer. Il ne s’agit pas de nier que certains peuvent intégrer la domination qu’ils subissent, mais simplement de constater que la connaissance de son propre travail ne se résume pas à la dextérité acquise par l’habitude, ni même à un savoir technique. La connaissance acquise comprend celle de l’organisation, l’attention aux rapports entre les corps, comme en témoignent les discours portés par des syndicalistes à propos des meilleurs moyens de prendre soin les uns des autres, et d’éviter des contaminations, mais aussi des réflexions à propos de ce que devrait être une production utile à la population. A l’inverse, observant le sens de la responsabilité dans la hiérarchie des fonctions, on vérifie bien souvent que les plus hauts placés sont les plus parasitaires, les plus contre-productifs et les moins dignes de confiance.

Déjà l’an passé nous avions fait plus que d’apercevoir le décalage irrattrapable entre les propos souvent sensés sur la situation sociale en France de bien des Gilets jaunes et le brouillage rhétorique des technocrates m’as-tu-vu qui tiennent les rênes de ce pays. Nous pouvons cette fois nous accorder avec des personnels soignants dont la qualité de parole ne tient pas qu’au rôle particulier tenu par cette corporation en cette séquence expressément critique [1]. La production langagière des communicants a, quant à elle, contaminé tout l’espace politique, l’art de parler pour ne rien dire est valorisé en des temps où, et cela reste à voir, le réel serait hors de portée de l’outillage politique, les clefs de l’économie étant, par exemple, en d’autres mains.

Il y a donc à espérer que ces protestations débouchent rapidement sur des formes d’auto-organisation, et qu’au delà de recommandations pour une meilleure organisation du travail, les modes de production évoluent partout dans le sens de l’autonomie, en opposition au capitalisme. Citons, à titre d’exemple, ce Mac Donald’s de Marseille, théâtre d’un long conflit social jusqu’à sa fermeture en décembre dernier, et qui est aujourd’hui réquisitionné par des militants associatifs pour nourrir les plus pauvres. L’autonomie des citoyens constitue l’interdit absolu pour tous les partis confondus. Il n’est que d’entendre à cet égard le témoignage du militant associatif Youcef Brakni [2], comme quoi les partis politiques de gauche n’ont jamais considéré les quartiers populaires que comme des réserves électorales, sans jamais admettre que ceux qui les habitent puissent se débrouiller par eux-mêmes et s’organiser de façon autonome.

La gestion d’une telle crise, dont il faut répéter qu’elle n’est à ce jour qu’un moindre mal au regard de ce qui nous guette, montre que, dans bien des cas, les responsables de terrain sont décidément les mieux à même de réagir raisonnablement, d’improviser et solutionner les problèmes qui se posent, pour peu qu’ils en aient les moyens. Ne serait-ce que parce qu’ils sont directement concernés. Ce qui, comme le rapporte un article de Reporterre du 22 avril, n’empêche le gouvernement de signer un décret autorisant les préfets à « déroger à certaines normes réglementaires dans des champs d’application aussi vastes que la construction, le logement, l’urbanisme, l’emploi, les subventions, l’aménagement du territoire mais aussi l’environnement. » [3]

La comparaison de la gestion de cette crise entre la France et l’Allemagne a été faite à plusieurs reprises. Dans un article paru dans Ouest-France le 20 mars dernier [4] l’écrivaine Géraldine Schwarz notait que Macron disait toujours « je » dans ses discours au Français tandis que Merkel s’en tenait au « nous » collectif, ne se situant pas au-dessus de ses concitoyens. Elle s’est exprimée d’ailleurs dans le cadre de conférences de presse, ouverte aux questions diverses des journalistes, alors que Macron avait choisi des allocutions solennelles et un lexique volontiers martial, sinon impérial. Dans un entretien récent accordé à Mediapart [5], l’historien Johann Chapoutot distingue deux types d’approches : « D’un côté, des pays, comme la France, l’Espagne ou l’Italie, marqués par un catholicisme culturel, avec une forte présence de l’État, lui-même hérité de l’Église. Et de l’autre, des États et des zones géographiques marqués par le protestantisme et la primauté de l’individu, où domine le laisser-faire, parfois même au détriment de la santé des individus, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis. »

Il souligne également la différence (jusqu’à un certain point) entre un État hyper-centralisé et un État fédéral : « La structure fédérale fait qu’Angela Merkel ne peut prendre de décision sans consulter les 16 ministres-présidents des 16 Länder. En France, les mesures annoncées lors de la dernière allocution du 13 avril ont été communiquées aux ministres quinze minutes avant le discours du monarque républicain qui, verticalement et de manière transcendante, surprend jusqu’à son propre gouvernement. C’est stupéfiant d’archaïsme. » [6]

Loin de vouloir ici présenter la République fédérale d’Allemagne en tant que modèle, du moins pouvons-nous constater un degré d’efficacité tout autre. En France, la cacophonie gouvernementale, si funeste dans ses effets, s’explique d’ailleurs en partie par le besoin d’imposer par le haut ce qui est jugé absurde par une base dont il faut au final tenir compte. D’où, par exemple, cette rentrée des classes pour l’égalité, mais à caractère non systématique. Il est au contraire révélateur que les collectivités locales soient plus facilement au rendez-vous, elles sont les territoires et, quoique les potentats et inerties n’y manquent pas, elles ne peuvent se défiler que sous peine de disqualification immédiate. Pour ce qui est d’assurer l’achat ou la production de masques, au regard des cafouillages gouvernementaux, on voit des départements ou des communes se décider à prendre les choses en mains, achetant directement des équipements ou en faisant produire par des ateliers locaux. Mais davantage encore, on peut voir que ce sont les citoyens eux-mêmes qui agissent spontanément. De nombreux dispensaires ont été ouverts dans de nombreuses villes, à l’initiative, par exemple, de médecins généralistes et de bénévoles – à St Malo notamment [7]. Des associations militantes ont su mutualiser leurs réseaux et moyens pour répondre aux besoins nouveaux créés par la situation en cours. Ainsi à Rennes : Rennes Covid Solidarité, qui, pour une seule adresse, regroupe les ressources humaines d’une quarantaine d’associations qui se sont réunies rapidement pour, en cette période si particulière, « faciliter l’aide aux personnes en situation de vulnérabilité, qu’elles soient françaises ou étrangères car ni la précarité, ni le virus ne connaissent de frontières ». Ce même collectif tient à préciser : « […] les organisations estiment que la débandade actuelle, avec des risques majeurs pour l’ensemble de la population, est aussi le résultat d’années de politiques d’exclusion, de casse méthodique des services publics (ex : situation des hôpitaux), de défaillances (voire d’incompétence) et de cynisme de la part d’un État qui s’est constamment entêté à refuser d’entendre toutes les mises en garde. Elles s’insurgent contre le fait qu’elles soient aujourd’hui laissées seules sur le terrain de la solidarité qui devrait, normalement, relever de l’État. Le temps viendra de demander des comptes. » [8]

Alors que Johann Chapoutot évoque un gouvernement français « préoccupé uniquement de lui-même et du raffermissement de son pouvoir », il se trouve que des citoyens montrent des dispositions autrement désintéressées, et ils s’organisent pour que les choses soient rendues moins difficiles à nombre d’entre eux délaissés. Ceux qui souffrent le plus de cette crise sont, pour la plupart, ceux qui, déjà, avaient le plus à pâtir de politiques délibérément inégalitaires menées depuis trop longtemps.

Alors que la capacité sanitaire du pays se voyait délibérément saccagée, en ce même temps le périmètre régalien renforçait sa propre sécurité et lâchait la bride aux forces dites de l’ordre. La surveillance et la coercition ne cessent de s’étendre et s’intensifier, seraient-ce (avec la défense) les derniers domaines où les puissants seraient encore à même de vérifier leur misérable efficience, laquelle étant le plus souvent peu lisible par ailleurs, sauf ses bévues et ses compromissions.

À coup de drones, de caméras, de contrôles, de pressions diverses exercées sur les plus fragiles, l’État central ne daigne aucune initiative en dehors de celle qu’il a patronnées (ou alors avec un retard calamiteux). Face à cette inflation sécuritaire et à l’effondrement capitaliste, face à nos responsabilités, il nous faut continuer à élaborer textes et discours en fonction de perceptions partagées, faute de quoi nous serions assommés par le brouhaha médiatique. Maintenant que l’intégration des logiques comptables dans le domaine de la santé a montré ses effets désastreux au plus grand nombre, alors que le Medef souhaite nous payer toujours moins, et nous faire travailler toujours plus, sous prétexte de « rattraper le retard », nous devons aussi penser aux formes d’organisation et de luttes à mener. Enfin, pour ce qui est des conditions de vie et des productions matérielles nécessaires, l’auto-organisation, réponse spontanée des intéressés aux situations accidentelles, vaudra tout aussi bien à cet endroit, n’est-elle pas la forme la plus encourageante et la plus digne que nous puissions donner à nos projets ? On a pu voir que les initiatives de type libertaire, autonome, indépendantes des administrations et des regards condescendants, se voyaient spécialement traitées – les habitants passés ou présents des ZAD en savent quelque chose. Des formes d’autonomie sont envisageables, qui ne s’inscrivent pas dans le système de production tel qu’il existe aujourd’hui, mais seulement réfléchies et réalisées en fonction de besoins et objectifs évidents pour tous. Imagine-t-on, en effet, qu’après l’expérience en cours – si elle connaît véritablement un après – tout reparte comme avant, sans qu’un fort désir de s’émanciper ne trouve son chemin dans assez de têtes pour que cela produise un mouvement large et nourrisse un contre-projet en actes ?

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