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La fouille à nu en prison,
une agression sexuelle institutionnalisée

Répression - Justice - Prison

Dans cet article, on va parler de fouilles à nu en prison

Trigger Warning : Taule, agressions sexuelles

C’est nécessaire qu’on en parle, parce que l’immense majorité des prisonniers et prisonnières, ainsi que des personnes placées en garde à vue y sont confronté.e.s, mais que ça n’est pourtant pas anodin d’être obligé de se déshabiller sous l’œil inquisiteur d’une raclure de maton.ne.
C’est nécessaire qu’on en parle parce que c’est une pratique dont ont rarement conscience les personnes qui ne sont jamais passées par la taule, et qui n’ont jamais eu de proche en taule.
C’est nécessaire qu’on en parle parce qu’il faut faire sortir la parole des détenu.es, qu’il faut les soutenir, refuser toute les violences carcérales.
C’est nécessaire qu’on en parle, parce qu’il faut qu’on apprenne à poser les bons mots : une fouille à nu, c’est une agression sexuelle.

Pour situer le point de vue de cet article : la personne qui a écrit ce texte est un mec cisgenre blanc qui est passé par la prison (pour une peine relativement courte).

Les fouilles à nu, qu’est ce que c’est ?

Concrètement, tu te retrouves seul.e derrière un rideau avec un.e maton.ne qui t’ordonne de te déshabiller. Si tu refuses, il/elle menace de faire un rapport et de te supprimer ton droit au parloir, ou bien d’appeler les ERIS* pour qu’ils te déshabillent de force, ou bien lae maton.ne menace de te frapper…

courbe l’échine,
baisse les yeux,
"oui surveillant", je répond anxieux

baisse le froc,
lève le cul,
sous un oeil glauque je suis mis à nu

baisse la tête,
lève les bras,
la marionnette n’est plus vraiment moi.

Tu es entièrement nu.e, tu obéis machinalement aux ordres, tel un pantin. Tu dois lever les bras, écarter les jambes, secouer tes cheveux, enlever ton appareil auditif, lever les pieds, ouvrir la bouche, lever la langue, soulever tes testicules, ou tes seins, enlever ton tampon, montrer ta vulve, tu dois te pencher et te soumettre à un contrôle visuel de ton anus. Ton corps ne t’appartient plus. Tu te sens honteux.se, vulnérable, sali.e, humilié.e, ton corps te dégoûte, tu te sens mal pendant les minutes, les heures, les jours qui suivent.

Et ça, c’est entre guillemets « une fouille à nu qui se passe bien, dans les règles de l’art ». En pratique, il arrive parfois que la fouille à nu se déroule dans un couloir, en présence d’autres détenu.es, ou en présence d’autres maton.nes qui font des commentaires déplacés sur ton corps, des blagues salaces. Il arrive aussi qu’il y ait des contacts physiques, des violences physiques.

À l’extérieur, être forcé.e de se déshabiller par une personne armée, qui te menace, qui possède un ascendant écrasant sur toi, devoir lui exhiber ton anus, on appelle ça une agression sexuelle avec des circonstances aggravantes, c’est un délit punit par la loi. Dans les commissariats et les prisons, on appelle ça une fouille à nu. C’est malheureusement banal, mais est-ce légal ?

Que dis la loi au sujet de la fouille à nu ?

En théorie, les fouilles à nu sont encadrées par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Je vous en épargne le détail, mais en résumé la fouille à nu est possible quand des indices laissent penser qu’un.e détenu.e veut faire rentrer des trucs prohibés en détention (genre des armes, un portable ou de la drogue) et elle n’est autorisée que quand les autres moyens d’investigation sont impossibles ou insuffisants (palpations, portiques électroniques). En gros la fouille à nu est légale quand elle est exceptionnelle, nécessaire et proportionnelle. C’est quand elle est rendue systématique que c’est illégal.

Mais sous la pression des syndicats de matons cette loi a été assouplie en 2013 par Christiane Taubira puis en 2016 par Jean-Jacques Urvoas, et enfin en 2019 par Nicole Belloubet ce qui fait que les fouilles à nu sont officiellement rendues systématiques et incontestables à chaque arrivée ou retour en prison (1re arrivée en prison, retour de permission, semi-liberté, etc.), et par ailleurs, les fouilles à nu peuvent être rendues systématiques pour un.e détenu.e au profil jugé « à risque » sur motivation du chef d’établissement pour une période de 3 mois renouvelable, ce qui veut dire des fouilles après chaque parloirs, ainsi qu’à d’autres moments, lors de mouvements internes à la taule par exemple.

En pratique, les fouilles à nu sont extrèmement courantes dans les prisons françaises, et les matons se soucient rarement du cadre légal.

Ce qu’il se passe en réalité, c’est que tu subis une fouille à nu au commissariat pendant ta garde à vue, puis une incontournable à chaque arrivée en prison. Puis tu as pas mal de chance d’être fouillé.e à nu après chacun de tes parloirs, ou quand tu reviens des ateliers. Pour certain.e.s détenu.e.s c’est systématique. À cela s’ajoute des fouilles à nu aléatoires ou ciblées dans la prison, alors que tu n’as eu aucun contact avec l’extérieur. La fouille à nu est également employée comme une mesure disciplinaire, une punition, ce qui est tout à fait illégal. Certain.nes maton.nes menacent « tu te calme, sinon c’est la fouille ».

Tout cela fait que certain.es détenu.es sont parfois fouillé.es à nu plusieurs dizaines de fois dans le mois, ou plusieurs fois dans la même journée. Tu passes en mode automatique, tu éteins ton cerveau et tu subis. Parfois, ça peut conduire à une dissociation cognitive, affecter ta perception de la réalité.

Selon les établissements, le recours à la fouille à nu est plus ou moins fréquent, à Fresne par exemple, 80 % des parloirs donnent lieux à une fouille à nu, l’AP joue sur les mots en disant que les fouilles sont fréquentes mais pas systématiques. Quand on en arrive à des chiffres comme ça, c’est de la mauvaise foi.

Dans certains cas, les fouilles à nu peuvent aussi parfois concerner les visiteur.euses, les familles qui viennent voir leur proche au parloir. C’est complètement illégal.

Il y a eu notamment l’exemple de la taule de Condé-sur-Sarthe : Suite à un blocage de la prison extrêmement violent de la prison par les matons et les ERIS, qui a duré 3 semaines, les familles ont subi une fouille collective lors de la reprise des parloirs le 27 mars 2019. ça a eu lieu dans un espace pas prévu pour ça, dans un hall, avec toutes les personnes à la fois, hommes et femmes confondu.e.s, tous et toutes fouillée.e.s par des hommes, qui les ont fait mettre en sous-vêtements puis leur ont fait secouer leurs sous-vêtements, les matons ont exigé que la couche des nourrissons soit changée devant eux. Une femme portant le hijab a été sommée de se dévoiler en public.

La conséquence de tout ça, en plus de l’humiliation et de l’impact psychologique, c’est que certain.e.s, refusant ces conditions de fouille, ont renoncé aux parloir. Et par la suite, des détenus ont demandé à leur famille de ne plus venir les voir au parloir, afin de leur épargner ces fouilles indigne. La fouille à nu a une conséquence directe sur l’isolement des détenu.e.s, sur la rupture des liens familiaux.

En résumé, les fouilles à nu sont parfois légales, parfois illégales, mais toujours humiliantes et psychologiquement violentes.

Du coup, oui, je veux l’abolition des fouilles à nu… Bon, du coup, après, y en a qui vont dire « oui mais faut bien fouiller pour la sécurité »

Effectivement, l’administration pénitentiaire justifie le recours aux fouilles à nu par la sécurité de la prison. Mais c’est un motif qui est très contestable. Seules 2,5 % des fouilles à nu suite à un parloir donnent lieu à une saisie. Donc dans la grande majorité des cas, les détenu.es ne cachent rien sur elle/eux. Et quand les syndicats de matons fantasment sur des armes ou des explosifs, la réalité est toute autre. Les objets potentiellement dangereux ne représentent que 2 % des rares objets saisis. Le reste du temps, c’est de la nourriture, du tabac, un peu de shit ou un téléphone portable. Bref, juste de quoi aider à supporter un peu mieux l’enfermement.
De toute façon, on sait bien qu’il y a d’autres moyens que les parloirs pour faire rentrer des trucs en taule, notamment via des maton.nes qui font leur business. Donc au final, quand les maton.nes fouillent à nu, ça n’empêche pas que des trucs rentrent en taule, mais ça leur donne le monopole du trafic, ce qui leur permet de faire plus de beurre sur la misère des taulard.es.

Par ailleurs, les maton.nes se servent de la fouille à nu pour nous rabaisser, pour nous humilier, pour imposer leurs domination. Ça augmente le mal être des détenu.es, ça isole, ça crée des tensions, ça déclenche des pétages de câbles, le refus de la fouille à nu déclenche des violences de la part des maton.nes. Bref, non, ça n’augmente pas du tout la sécurité, au contraire, ça augmente les tensions et la violence.

Qu’est ce qu’on peut faire contre les fouilles à nu ?

La France est régulièrement condamnée par la commission européenne des droits de l’homme (CEDH) qui souligne la « profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle ». La fouille à nu est également régulièrement dénoncée et condamnée par la contrôleuse générale des lieux de privation et de liberté (CGLPL) et le comité européen pour la prévention de la torture (CPT), mais bon, ce genre d’institution, ça dénonce, ça condamne, mais ça n’a pas de réel pouvoir. En tout cas, dans les prisons, les fouilles à nu continuent d’être fréquentes, sinon systématiques, et toujours aussi humiliantes.

Heureusement, des gens s’organisent contre la fouille à nu.

Il y a des prisonniers et prisonnières qui font parfois des recours, ou qui portent plainte contre des fouilles illégales qu’iels subbissent. Force à elles et eux, c’est un combat difficile, mais parfois, ça marche. Cependant les taules font tout pour compliquer les plaintes.
Il est rare qu’une taule tienne un registre des fouilles à nu, et les détenu.e.s sont rarement informé.es du motif de la fouille, ce qui fait qu’il n’y a aucune traçabilité, aucune info, ça complique le fait de porter plainte pour fouille illégale. Tu vas dire que tu as été fouillé.e, mais il n’y a aucune trace, aucune preuve de cette fouille, et dans un tribunal, aux yeux du/de la juge, ta seule parole ne vaut pas grand-chose face à celle de l’administration pénitentiaire.

Bref, c’est compliqué, mais heureusement pas impossible, par exemple, à la taule de Lille-Sequedin, à la suite d’une mobilisation collective d’1 an et demi où les détenus faisaient des recours systématiques contre les fouilles à nu, ils on pu obtenir l’installation d’un portail à onde millimétrique censé remplacer les fouilles à nu à la sortie des parloirs. Un portail, c’est inquisiteur, mais moins humiliant qu’une fouille à nu. Reste à espérer qu’il remplace réellement les fouilles à nu plutôt que de simplement s’y ajouter.

Le rôle paradoxal des institutions.

Le rôle de la police, la justice, la prison est paradoxal, elles sont théoriquement là pour lutter contre les infractions, notamment contre les violences sexuelles. Or ces institutions commettent au quotidien des agressions sexuelles dans les prisons, dans les commissariats, dans les quartiers populaires.

Les fouilles à nu, on en a parlé. Mais on pourrait aussi parler des palpations, une autre pratique courante chez les keufs et les matons) parce que quand lors d’une palpation, un maton ou un keuf t’aggrippe le sexe ou sonde ton anus, même à travers des vêtements, oui, c’est traumatisant, c’est une aggression sexuelle, et c’est important de l’identifier comme tel et de ne pas considérer ça comme normal. Parfois, ça peut aller jusqu’au viol. On pense au viol de Théo Luhaka en 2017 à Aulnay-sous-bois. La police et la prison banalisent les violences sexuelles plutôt que de lutter contre, elles participent à la culture du viol.

Repenser les violences sexuelles systémiques.

Les mouvements féministes de ces dernières années ont permis une certaine libération de la parole et mis en lumière les violences sexuelles systémiques exercées par les hommes cisgenres sur les femmes et/ou personnes transgenres. C’est une analyse qui est essentielle et qu’il faut continuer de porter car le problème est évidemment loin d’être réglé. Cependant il est bon de se rendre compte que le patriarcat n’est pas l’unique système qui s’appuie sur les violences sexuelles pour imposer sa domination.

Les détenu.es sont majoritairement des hommes cisgenre, précaires et non-blancs. Les fouilles à nu, et certaines palpations sont des agressions sexuelles systémiques qui participent activement de la domination raciste et capitaliste dans la société.
Du coup, ça fait repenser notre schéma d’analyse binaire « les hommes sont les agresseurs et les femmes sont les victimes ». Beaucoup d’hommes cisgenres sont systémiquement victimes d’agressions sexuelles, ce qui ne les empêche en rien d’être de potentiels agresseurs par ailleurs.

Je souhaite une société sans violences sexuelles. Aujourd’hui on en est loin, la route est longue, elle passera par l’éducation au consentement, les remises en questions, la construction de masculinités sensibles et elle passera aussi par l’abolition de la police et de la prison...

Peut-être pourrait on imaginer une passerelle entre les mouvements féministes et les mouvements anticarcéraux autour de la lutte contre les violences sexuelles ?

Solidarité avec toutes les victimes. Contre toutes les violences sexuelles, brûlons les prisons !

*ERIS : Equipe Régionale d’Intervention et de Sécurité. En gros c’est la BAC de la taule : des matons cagoulés et armés jusqu’aux dents qui sont là pour réprimer violemment les rébellions dans les prisons.

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