La question sociale
Le SPACE montre que la valeur travail est brandie dans le secteur agricole ainsi que dans n’importe quel autre secteur comme une valeur sacrée. La Loi travail imposée récemment montre alors que l’exploitation salariale semble être la priorité, peu important de savoir si le travail est fatiguant ou gratifiant, puisque c’est à travers le travail que le citoyen est censé acquérir une reconnaissance sociale. Il est pourtant bien absurde et révoltant de continuer à défendre des activités aussi néfastes (tant pour les travailleur⋅ses directement impliquées que pour toutes les victimes directes ou indirectes de la société capitaliste productiviste et la planète dans son ensemble) que représentent par exemple le nucléaire ou l’élevage et ce pour le seul motif du maintien de l’emploi. C’est malheureusement un argument qui revient souvent dans la bouche des personnes qui ne veulent pas remettre en cause leurs habitudes alimentaires notamment, et c’est au pire un argument médiocre au mieux le signe d’une mauvaise foi vulgaire. Car face aux enjeux climatiques, sociaux et éthiques nous ne pouvons continuer à vivre comme nous vivons et espérer une amélioration qui viendrait de la technique. Une remise en question du système agro-alimentaire n’est sérieuse qu’à travers une remise en question de la place du travail et par conséquence du rôle des techniques et technologies dans l’organisation des activités sociales.
L’idéal technophile
Le SPACE c’est aussi le lieu où l’on croit au progrès et aux solutions de la technologie, du numérique et de la génétique. Si l’on pose comme origine du désastre écologique l’ère industrielle (contrairement à l’axe d’inclinaison du soleil comme l’explique Sarkozy), on peut soit espérer en sortir en conservant le modèle et en défendant l’idée que l’amélioration des procédés techniques nous sauvera de nos erreurs passées, soit prôner un retour à des formes d’exploitations plus « authentiques » et « traditionnelles » comme le défendent certains éleveurs face aux fermes-usines des 1000 vaches par exemple. Il faut certes critiquer l’entêtement aveugle de la classe dirigeante technophile qui ne veut pas voir que leurs prétendues solutions techniques ne font que grossir le problème. Il faut également craindre les discours conservateurs qui feraient des modèles d’exploitation passés et d’un retour à « la » nature une bonne chose à faire. C’est en sortant de ce faux dilemme et en proposant de sortir simplement du modèle de l’exploitation animale que l’on peut espérer lutter à la fois contre le capitalisme industriel et l’idéologie primitiviste naturaliste. Au lieu de ça les langues de bois politiciennes répètent les mêmes insanités.
L’appât du gain et la sortie du capitalisme
La thèse est simple et pas nouvelle : ce qui compte c’est de faire du profit et d’accumuler de l’argent pour investir et faire encore plus de profit. Quand les serviteurs de l’agrobuisiness parlent d’éthique dans leurs conférences ce n’est que pour souligner le manque à gagner d’une part de marché de clients soucieux. Et c’est typiquement le discours des bobos qui me répondent qu’ils continuent de manger de la viande et des produits animaux de « bonne qualité, parce que quand même ça se sent dans le goût quand un animal a souffert ! » pour se donner bonne conscience en ayant l’impression de prendre en compte la souffrance animale sans changer ses habitudes. La première chose à faire si on veut vraiment agir pour les animaux et pour le climat (l’élevage reste LA première cause du réchauffement climatique sans parler de la pollution multiforme qu’il génère) reste le refus de la consommation par l’adoption d’un régime alimentaire végane. Bien sûr cela sonne comme un choix individuel et semble donner du crédit à l’idéal libéral de l’offre et de la demande. Or si la pertinence stratégique (en termes de conséquences sur le marché) apparaît douteuse (faire la part du colibri a ses limites) c’est la moindre des choses sur le plan pragmatique (c’est-à-dire sur la cohérence et les efforts qu’on est prêt⋅es à fournir pour faire évoluer les choses). Là où c’est délicat c’est qu’adopter un régime végane ne fera pas s’arrêter le capitalisme, et pourra même le renforcer. Et si celui-ci repose sur l’exploitation animale et l’aggrave, il faut combattre les deux conjointement.
Car s’il faut sortir du capitalisme pour espérer une libération animale, cela ne suffit pas non plus ! Cela pourrait nous laisser croire qu’il existe une forme authentique et non dominante d’élevage qui aurait été corrompue par le capitalisme. Un tel discours traditionaliste viserait alors à une forme d’élevages de petite taille, sans remettre en cause le principe même de l’exploitation animale.
Que ce soit les questions d’éthique, d’environnement ou de bio, le SPACE est la preuve que les entreprises capitalistes agroalimentaires s’adaptent à tout. Cela ne les dérange pas que les gens mangent moins de viande ou boivent moins de lait, elles ont seulement besoin de savoir dans quelles mesures elles doivent anticiper et tirer profit des changements de comportements alimentaires, tout autant que la mode. C’est donc dans l’intérêt des grandes firmes agro-industrielles de développer ses propres alternatives, et c’est ce qu’il fait notamment dans ce genre de salons.
La dimension planétaire et hégémonique
N’oublions pas que le SPACE est international. Cela montre encore davantage qu’en matière d’éthique, quand il s’agit de vendre des armes, des avions ou des cages à poule, ce qui compte c’est de faire du profit et que les enjeux, si vastes soient-ils, passent après la thune. Cela est déprimant puisque le système et l’idéologie spéciste est partout.
À Rennes la liste serait trop longue mais voici quelques pistes pour lutter contre l’exploitation animale. L’INRA présente sur les campus et un peu partout dans le département est l’organe de recherche et donc la caution scientifique de l’exploitation animale. Au Rheu on peut trouver une entreprise spécialisée dans la génétique porcine. L’université Rennes 1 est connue pour sa production de Xénopes, espèce de grenouilles destinée à la vivisection. Régulièrement ont lieu des Salons du Chiot qui espèrent lutter contre l’abandon mais mettent en avant la valeur marchande et objectale de l’animal. On ne compte plus les cirques qui sillonnent les villes et villages pour montrer des bêtes en cage. Ce n’est guère mieux dans les zoos.
Le mouvement de libération animale est faible en France et à Rennes, mais il n’est pas mort. Il est majoritairement affaibli par le discours réformiste qui vise à améliorer le bien-être des bêtes sans trop bousculer le modèle dans son ensemble et continuer à manger du fromage et de la viande bio. Il est affaibli aussi parce que l’idéologie spéciste est présente partout et partout niée. Il l’est aussi puisque le véganisme tend à pacifier le discours conflictuel pour le renvoyer dans la sphère psychologique (en faisant appel à l’émotion) ou morale (en faisant appel à la responsabilité individuelle). Les événements publics et consensuels sont rarement conflictuels, l’initiative locale (Vegan Heart) qui aura lieu le week-end prochain le montre.
Le succès du récent Pokémon Go (dont le but est de capturer des spécimens de monstres pour les faire se combattre) en est une preuve (certes triviale mais nulle part critiquée) parmi des milliers d’autres. Preuve que le présupposé de la domination de l’homme sur l’animal est une pierre angulaire du capitalisme (car c’est la prémisse morale à la base de tout le système agro-industriel mondial) et des autres systèmes d’exploitation (où la femme, le noir, l’handicapé sont renvoyées idéologiquement dans la sphère de l’animal, lui-même étant proche d’un objet inerte). La critique d’un événement comme le SPACE doit nous pousser à réfléchir aux formes capitalistes que prennent l’exploitation animale mais également donc aussi à toutes ses alternatives (Biocoop, Herta, Sojasun et autres) non pas pour déboucher sur un relativisme libéral (du « tout se vaut » on finit par défendre la liberté de manger de la merde) mais bien pour combattre le capitalisme et l’exploitation animale, séparément et conjointement.
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