--- Téléchargez la brochure en fin d’article avec l’intégralité des prises de parole ---
Aux antipodes des discours nauséabonds sur le "laxisme" de la Justice et la Prison "à visage humain", nous avons tenté d’être au plus proche de ce que vivent réellement les victimes du système carcéral, des frontières jusqu’aux mitards.
Nous nous sommes réunis avec le Collectif Justice et Vérité pour Babacar, le Collectif des Sans-Papiers, le réseau transnational AlarmPhone, la famille de Sacha, le Collectif Rennais Anti-Carcéral, l’Association France-Palestine Solidarité, le collectif Horizon Palestine, la CNT et le NPA ; pour porter la voix des détenu.es et de leurs proches.
Si le doute persiste quant à la nécessité d’une mobilisation contre les violences pénitentiaires rappelons qu’à Rennes-Vezin, deux surveillants sont actuellement accusés d’avoir tabassé un prisonnier, puis d’avoir menti et produit des faux documents à charge contre le détenu. Sans les enregistrements des caméras de vidéo-surveillance qui démontrent leurs actes et leurs mensonges, les témoignages des surveillants auraient fait office de vérité indéniable, car c’est ainsi qu’aujourd’hui en France on légitime l’autoritarisme des agents de l’AP comme on le fait avec la police.
Parloir au Centre Pénitentiaire de Rennes-Vezin
La journée a commencé par un parloir sauvage au centre de détention de Vezin pour manifester notre soutien aux détenus. A l’aide d’un mégaphone, nous avons informé de la tenue de la marche contre les violences pénitentiaires ce jour ainsi que de l’existence de l’émission de radio 94° à l’ombre, qui transmet les messages entre détenu-es ainsi qu’avec leurs proches (sur Canal B, le dimanche à 12h), une banderole avec la fréquence de la chaîne était déployée. Quelques slogans et mots de courage ont été entonnés, en réponse quelques cris se faisaient entendre depuis l’intérieur des murs en béton mais difficilement compréhensibles en raison de la distance qui nous séparait des bâtiments.
Rassemblement Métro Jacques Cartier
Le rendez-vous avait lieu à 13h sur la place Thérèse Pierre (Métro Jacques Cartier) pour la manif. Il y avait un infokiosque, des livres à emprunter à la bibliothèque du CRAC, des exemplaires de L’Envolée à acheter, des publications de Casse-Muraille radio anticarcérale nantaise, des boissons chaudes et de quoi grignoter. Nous étions une soixantaine de personnes, militant.es, proches de prisonnier.es, passant.e.s, lorsqu’ont commencé les premières prises de parole.
On commence fort, avec le texte d’appel de Najet Kouaki, qui organisait au même moment un rassemblement à Lyon :
"Nous nous rassemblons aujourd’hui contre l’extrême violence du système carcéral qui s’abat sur les personnes détenues et leurs proches. Alors que l’on clame que la peine de mort a été abolie en France, les violences d’État et particulièrement les violences pénitentiaires, conduisent trop souvent au meurtre des personnes qui les subissent."
Les larmes montent déjà aux yeux, les gorges se nouent et la rage se ressent. Et puis Glad, du Collectif de Sans-Papiers, fustige les lois européennes contre les étranger.ères et la politique de dublinage.
"Qu’est-ce que la Loi ?! OQTF, c’est quoi au fait ? De quoi est-ce qu’ils parlent ? Je comprend rien. Par rapport à la dignité humaine, de quoi est-ce qu’ils parlent, quand ils veulent appliquer la loi ?"
Un camarade anglais, membre du réseau transnational AlarmPhone, qui organise des sauvetages en mer, est là aussi pour visibiliser les meurtres aux frontières :
"La violence de la frontière est la même violence que la violence policière et pénitentiaire, et ils la perpétuent pour la même raison. Pour protéger et reproduire leur système raciste."
La dernière parole avant le départ en manif sera celle de la mère de Sacha, un jeune de 18 ans suicidé au mitard sous la responsabilité de l’Administration Pénitentiaire :
"Ça fait un an qu’on verra plus notre petit garçon, ça fait un an que la justice ferme les yeux, que personne ne veut rien savoir, qu’on a classé l’affaire sans nous en aviser. Donc on ira jusqu’au bout, on soutient Najet, on soutient toutes les familles touchées de près ou de loin, tous les jeunes incarcérés, les moins jeunes, tout ceux qui souffrent de cette situation intolérable. On est là, on sera là jusqu’au bout, et grâce à vous on se sent plus forts, alors merci."
Le temps de remballer, le petit cortège part en direction du Centre Pénitentiaire pour Femmes en chantant.
ET PIERRE PAR PIERRE
ET MURS PAR MURS
NOUS DETRUIRONS
TOUTES LES PRISONS / LES CENTRES DE RETENTION !
LE MITARD EST UN MOUROIR
A BAS ! A BAS !
L’ISOLEMENT CARCERAL !
FLICS, MATON,
ASSASSINS !
MATON QUI PLEURE
POUR SES CONDITIONS,
UNE SEULE SOLUTION :
ABOLIR LA PRISON !
VERONIQUE SOUSSET (directrice du CPF)
DEMISSION !
Y’A PAS D’HUMANITE
DANS TA MISSION
On crie, on exulte la colère, la souffrance. On la communie dans ce petit cortège. Les regards se croisent, sympathisants. Les individus se mêlent, se soutenant.
Parloir Prison des Femmes
Puis nous arrivons sur l’esplanade Fulgence Bienvenüe, parvis de la gare sud, depuis laquelle on peut faire un nouveau parloir sauvage. Un premier échange s’installe, des cris de joie, de remerciements et de soutien fusent par delà les murs, et une première musique demandée par les prisonnières : Liberté de Soolking. Aux fenêtres, des pancartes sont installées : "Amnistie". Amnistie pour toutes. Mais il y a beaucoup de vent, on entend mal les prisonnières, qui de toute façon finiront par nous crier : "ils nous interdisent de vous répondre !". Une nouvelle fois, la direction étouffera donc le dialogue et la voix des prisonnières...
Nous n’oublierons pas que Mme Sousset, actuellement en ’’tournée’’ pour son livre sur les prisonnier.es aura préféré des méthodes de silenciation, de mépris et de répression. Comme nous n’oublions pas qu’à la Centrale de Saint-Maur elle a fait mutiler Fabrice Boromée. A Rennes, elle est accusée d’agressions transphobes. On comprend mieux l’injonction au silence...
Nous resterons plus d’une heure sur ce parvis, plusieurs femmes prendront spontanément la parole pour s’adresser aux prisonnières, dont Awa Gueye, la soeur de Babacar :
"Force à vous, courage, on est là pour vous ! Mon frère, il est mort par la police française. Pour moi, c’est même chose avec les gens qu’on assassine dans les prisons et dans les centres de rétention. C’est l’État qui tue, c’est même chose."
Camille, mise en examen dans l’affaire du 8 décembre, parlera des violences quotidiennes qui s’exercent insidieusement en prison :
"Violence, quand une femme âgée tombe en promenade. Incapable de se relever et qu’il faut gueuler pendant 20 minutes avant que les matonnes ne daignent venir la chercher dans un fauteuil roulant.
Violence quand une femme se fait virer du taff en atelier, sans être payée, pour un mauvais pliage du pancartage qu’elle était sensée faire pour à peine quelques euros de l’heure. Violence quand les douches ressemblent à une cave et que l’eau est tellement dégueu que tu te retrouves nombreuses avec des problèmes de peau qu’il faut se battre pour faire soigner. Violence quand tu entends une femme hurler pendant une demi heure dans la cellule voisine et que sans réussir à comprendre ce qu’il se passe, tu ne peux qu’écouter, glacées, condamnée à l’impuissance."
"La prison étant aussi l’outil de domination par excellence d’un système patriarcal, capitaliste et colonial, je pense primordial de se positionner sur le sujet en tant que femme."
Le CRAC aura aussi son mot à dire, en faveur de l’abolition du système pénal :
"La prison ne dysfonctionne pas, bien au contraire elle excelle dans l’horreur depuis sa création."
Et relayera quelques revendications de prisonnier.ères et de leurs proches :
"Nous voulons l’abolition des mitards et des quartiers d’isolement. Depuis des décennies les prisonnier.ères demandent leur fermeture, cela a trop duré.
Nous voulons l’abolition des longues peines. Passé un certain temps, la peine perd tout son sens et n’est plus qu’acharnement et destruction de l’individu.
Nous voulons la fermeture immédiate des Centres de Rétention Administratifs. Ces prisons pour étrangers sont illégitimes et doivent disparaître.
Nous voulons l’arrêt définitif des constructions de prisons. La fRance comptera bientôt 200 prisons sur son sol, il faut y mettre un terme.
Nous voulons le droit fondamental d’association et la liberté syndicale pour les détenu.es, revendiquée par beaucoup de prisonnier.ères depuis des décennies.
Enfin, nous voulons l’arrêt des mesures d’éloignement familial. Dans cette prison, beaucoup de femmes viennent d’autres régions, certaines d’outre-mer. Il est inacceptable de les arracher à leurs familles."
Arrêt en haut du parvis de la gare
Après une dernière musique, le cortège continuera son chemin aux abords de la gare bien remplie. Les grandes baies vitrées offriront aux voyageur.ses la vue de nos banderoles : "Peine de mort ? Abolition totale ! L’enfermement tue toujours !" et "Les détenu.es et retenu.es étouffent ! Ne restons pas dans le silence !".
Puis nous débarquons sur le parvis de la gare, où les gens flânent en ce dimanche après-midi ensoleillé. Il reste une prise de parole avant de lire deux lettres que des prisonniers ont écrites pour l’occasion.
"Pour cette journée nationale contre l’enfermement, je vais vous parler de tout un pays, tout un peuple qui est enfermé" commence Hamid, le président de l’Association France-Palestine Solidarité. Il va énumérer des dispositifs carcéraux et répressifs utilisés massivement contre le peuple palestinien (détention administrative, gouvernement par ordres militaires, apartheid, etc...).
"En Palestine, ils sont 1300 prisonniers politiques pour 1 million d’habitants. En Cisjordanie, un quart des adultes sont passés par la case prison depuis 1967".
Ensuite, ce sera au tour de Kemi, détenu longue peine, actuellement à Saint-Maur, de prendre la parole au travers d’une lettre qu’il a écrit depuis la prison. Il revient sur ses 10 années de détention et son expérience du mitard et de l’isolement.
"J’ai même connu les fâmeux 45 jours ferme de cachot. Un mois et demi enfermé dans 3m/2 avec rien."
"L’isolement et le mitard en France ce sont des lieux où on se sert des détenus comme des cobayes. Ils essayent de vous shooter avec des médocs, ou alors ils te piquent. C’est la camisole de force par injection, c’est des oufs. La France devrait fermer ces lieux sombres, sérieux, vous ne pouvez pas imaginer ce qui s’y passe."
On continue, avec une longue lettre de L’Infâme, actuellement au quartier d’isolement de Valence. Il nous appelle à soutenir les détenus, à bouger au dehors pour que les actes de barbarie de l’AP cessent.
"Ce combat ne peut se faire sans vous ! Sachez-le bien ! Moi, pour vous je ne suis qu’un inconnu ! Un anonyme parmi les anonymes : qu’on enferme , brime, maltraite violemment, et parfois même que l’on tente de tuer !"
Il raconte dans sa lettre, en détail, comment des dizaines de matons l’ont tabassé à mort et pendu, et comment il a survécu.
Les témoignages résonnent sur tout le parvis de la gare et rompent le train-train quotidien des passant.es forcé.es d’écouter. Nous vous invitons à lire et diffuser ces témoignages, à retrouver sur le blog de L’Envolée (« Un système fait pour broyer des êtres humains » – Lettre de l’Infâme pour le 29 mai).
Kemi et L’Infâme prennent le risque, à chaque fois qu’ils témoignent, de subir des représailles de l’AP. Pour ne pas les laisser seuls face à la répression, il est possible de leur écrire des lettres en demandant leurs coordonnées au CRAC ou à L’Envolée (crac@cryptolab.net ou contact@lenvolee.net).
Fin de manif
Une fois ces lettres lues, le cortège s’élancera une dernière fois vers République. Nous sommes encore une vingtaine, déters à terminer cette marche, malgré la fatigue qui pointe après autant d’émotions. La diffusion d’un audio de la compagne de Jean Christophe Merlet (détenu à Nantes que l’AP est entrain de laisser mourir) permet d’alerter une nouvelle fois les passant.es sur les violences carcérales et judiciaires. Elle dénonce la justice de classe et l’arbitraire dégueulasse de la prison.
On finit par arriver à République, où on restera quelques instants, le temps d’échanger des mots chaleureux de soutien et de remerciements, puis de s’organiser pour covoiturer jusqu’au CRA de Saint Jacques.
Parloir sauvage au CRA
Le Collectif de Soutien aux Personnes Sans Papiers nous y attend avec des escabeaux. Nous sommes une petite vingtaine à arriver, escortés par une voiture de police nationale qui nous désignent comme ’’La France qui se lève tard’’. Comme d’habitude, nous contournons les grilles et barbelés vers l’arrière du CRA, là où on peut parler directement avec les retenu.es. On remarque qu’un détecteur de mouvement a été installé.
Après avoir mis en place les escabeaux, quelques petits groupes de discussion se forment assez rapidement. Ils sont une quarantaine enfermés actuellement dont une femme, seule, cloîtrée donc dans son bâtiment.
Les retenu.es demandent des cigarettes, qu’on pourra faire passer au travers des grilles (C’est la première fois que cela arrive !) avec l’accord d’un des flics posté entre les grillages qui essaye de faire croire qu’il est sympa. Nous permettant de filer des clopes aux retenus, il s’immiscera carrément dans nos conversations, donnant son avis, avant de se faire plusieurs fois fermer la bouche par des militant.es et retenus.
Lorsque nous demandons comment ça se passe à l’intérieur, les réponses sont confuses. ’’Venez en parloir individuel je vous raconterai tout mais là je peux pas’’ nous dit l’un (effectivement, il est possible d’aller faire des parloirs individuels avec les personnes retenues, il suffit simplement de connaître le nom de la personne qu’on veut visiter. Si tu veux y aller et leur apporter du soutien, tu peux demander les infos à la Cimade ou au CRAC).
Sur les conditions, un autre finit par lâcher : ’’c’est pire que la prison ici, la bouffe, les activités...’’. Lorsqu’on leur demande si c’est par peur des représailles qu’ils ne peuvent pas parler, un FAF (Flic Aux Frontières) nous interrompt :
"Y’a pas de violences ici ! Arrêtez de regarder la télé !" lance-t-il, énervé. (Pourtant, l’un d’eux derrière porte des gants coqués, on se demande à quoi ça sert en été...?) Après quelques réponses de notre part il terminera par un "va travailler !".
L’un des retenus nous dira que c’est la 8e fois qu’il est enfermé au CRA depuis 2018, en faisant des allers-retours CRA - prison - CRA. Depuis l’été dernier, le refus d’un test PCR lors de la déportation est désormais puni par plusieurs mois fermes...
Les échanges continuent quelques dizaines de minutes, et malgré les grilles et les barbelés, on peut ressentir la détresse et l’anxiété chez certains retenus très jeunes. Puis nous repartons groupés, en gueulant encore des slogans, avant de se disperser chacun.e de notre côté.
C’est la fin de la journée... Le coeur un peu déchiré, nous avons traversé ces moments forts et révoltants malgré la profonde tristesse et le sentiment d’impuissance imposés par la vue d’être humains dans des cages, à deux pas de nous. Le récits des violences, la rencontre avec celles et ceux qui en souffrent nous a ramené à la réalité, sa violence. Mais ces moments sont nécessaires, et les alliances que nous tissons permettrons de créer un rapport de force. Si les murs sont insuffisants pour nous séparer de celles et ceux qui sont à l’intérieur, c’est aussi à travers leurs témoignages, grâce à celleux qui leur sont proches et dans nos discussions que nous les faisons exister, à l’extérieur. Nous reviendrons !
Une dernière fois, force et courage à toutes les personnes enfermées et leurs proches.
A bas le lobby carcéral, crève l’AP et feu aux taules !!! Une solution : l’abolition.
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