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[Semaine 2] Récit d’une distrib’ alimentaire à Calais

Calais
Autonomie & auto-gestion Migrations - Luttes contre les frontières

Pendant 2 mois, une trentaine de boulanger·es du réseau de l’Internationale Boulangère Mobilisée (l’IBM) vont se relayer pour faire du pain à Calais - Dunkerque pour les exilé·es.

Cette fois-ci on part en camion pour une distrib alimentaire dans les jungles, pendant que d’autres accueillent 2 exilés / réfugiés dans le fournil pour un atelier.

Vendredi 13 janvier

Ce matin, nous sommes 2 à partir en distribution avec l’association Salam. Il est encore tôt et on se glisse discrètement de nos lits pour ne pas réveiller le reste de l’équipe qui se repose encore un peu. Le local de Salam se trouve en centre Ville à proximité du Grand Théâtre de Calais. Un petit local, ancien bar nommé "Salut les copains". Les membres de l’association sont déjà en pleine action, en train de préparer les énorme thermos de Thé et de Café, de terminer de couper les baguettes du petit déjeuner. Le local est rempli d’étagères de bouffe pour les petits déjeuner et de pièces pour les vêtements et les couvertures. Nous leur apportons un complément de pain, celui de la fournée de jeudi. Nous devons couper le pain en forme "tranches sandwich". Les 2 couteaux de l’IBM sont très fonctionnels ! (un peu trop pour certains de nos doigts ?). On doit se presser un peu, la distribution va bientôt commencer et il ne faudrait pas être en retard. Nous sommes 8 à partir dans les 2 camions chargés de pains, de brioches, de tartes, de boissons, de clémentines et de bananes. Chaque bénévole semble avoir sa place dans l’équipe, les distributions ayant lieu tous les jours, et ce 365 jours de l’année. L’équipe se compose à la fois de bénévoles expérimenté.es de plusieurs années tandis que d’autres ne sont là que depuis quelques mois voir semaines.

1er arrêt - La rue des Huttes

Les camions s’arrêtent sur le bord du trottoir dans une rue déserte avec des barbelés à perte de vue autour des usines à proximité pour que chaque recoin de cette zone industrielle soit inacessible pour les tentes des exilé·es. Peu de personnes aux alentours. Chacun·e s’active pour mettre en place la table de distribution. Bananes, Clémentines, brioches/tartes, pain avec de la confiture ou de la mayonnaise (très appréciée !), thé ou café. L’énorme pot de mayonnaise s’est renversé dans une parti du camion pendant le voyage. Il y a un petit nettoyage à faire. Ce matin, il y aura plus de confiture que de mayonnaise. Petit à petit des individus arrivent de droite ou gauche, et c’est une sorte de petit rassemblement qui se met en place. Lieu de discussion, de repérage. Une famille vient d’arriver, c’est la première fois qu’elle est présente aux distributions. Il y a 3 enfants, dont un de moins de un an dans la poussette, un petit garçon d’environ 5-6 ans et une petite fille de 8-9 ans. Il mangent à leur faim. Il sont arrivés en France il y a moins de 15 jours. La maman parle très bien anglais et est à la recherche de conseils. Le petit garçon fait beaucoup de cauchemars depuis la traversée. F. lui explique qui aller voir, comment ça se passe, ce qu’il faut dire ou ne pas dire... Une situation qui fait parler d’elle dans la voiture, une fois le groupe en route pour la distribution suivante.

Arrêt n°2 - BMX

Sur un parking, appelé la jungle de BMX, c’est le lieu de campement des Erythréens, lui aussi en plein milieu de la zone industrielle... Sous chacune de leur tente, une palette. Pas facile de trouver une position confortable dessus, mais c’est toujours mieux que l’humidité du sol et de la pluie. Rebelotte, on sort du camion la table et les affaires de distribution. Il y a beaucoup de vent, il ne fait pas très chaud mais par chance, ce matin, il ne pleut pas. Chacun·e discute, propose à manger, un thé ou un café, voir si tout le monde va bien. On s’étonne qu’une personne encore vraiment mal en point il y a quelques jours est aujourd’hui debout (il s’était pris huit coups de couteau dans la jambe). Les bénévoles sont surpris·es de le voir en train de marcher voir même de courrir, une bonne nouvelle. Il y a des sourires échangés, du soutien. Arrive un chat, "Salam", qui s’approche du camion, cherche quelques caresses et nourriture. Nous ne verrons pas le deuxième chat du campement, le fameux "Rasta". C’est l’heure, nous rangeons le camion et repartons pour la distribution suivante.

Zone 3 - The Young Lads -

Appelée comme ça car les hommes du campements sont très jeunes, la zone ressemble a un gros parking en sable, a proximité d’une ligne de voie ferré. Il y a peu, un jeune s’est suicidé sur la voie devant les yeux d’une partie de l’équipe de Salam, un moment difficile. On nous raconte cette histoire avec beaucoup d’émotions. Il y a toujours beaucoup de vent. Les camions établissent une stratégie pour se garer en faisant barrière. La distribution se déroule toujours dans le même ordre. F. chouchoute chaque personne qui passe, elle semble connaître une grande partie de ces jeunes. Certains prennent à manger pour leurs amis, certains sont plutôt mayo et d’autres confiture. Un utilitaire bleu d’une autre asso vient d’arriver sur le parking et s’est embourbé dans le sable / boue. Il a 2 tonnes à eau dans le coffre, il est bien lourd. On est plusieurs à filer la main pour pousser le camion et trouver des stratégies pour le sortir de là. Mission impossible, nous sommes obligés de le laisser là pour terminer la distribution sur le dernier lieu. On espère qu’il arrivera à sortir de là...

4e et dernière distribution - Le centre ville

Sur un grand parking, vide, à proximité de l’eau et des mouettes. Sous les ponts de Calais des barbelés ont été placés par la mairie pour éviter tout abris possible. Et toujours ce vent. On se gare en plein milieu en essayant de s’en protéger, et de protéger la table, les fruits et les gens. Un homme s’occupe de gérer la poubelle, il ramasse tous les déchets de la distrib. Il fait ça chaque fois. Le pain au levain a moins de succès lors de cette dernière distrib où le pain blanc reste le privilégié. Tu m’étonnes, nous les naans ou nonis, les batbouts, les pitas, les chapatis, on sait pas faire...

Le retour au Channel marque un changement d’ambiance. Le fournil est bien actif, 4 fournées prévues pour la journée. C’est comme si une deuxième journée commençait pour nous ! Les farines sont variables en fonction de leur provenance, on teste, on essaie de voir ce que ça donne. Pâte trop hydratée ? Pas assez ? Pleins d’ajustements à faire ! Dans tous les cas, merci à tous les dons de farines et autres, pour les distributions, c’est top !

En parallèle, l’atelier pain

En livrant notre 1re fournée au Secours Catholique [1], on a vite rencontré Robel, bénévole au Secours cath. On s’amuse bien en coupant le pain et en préparant le chaï (thé), on comprend que Robel a obtenu son statut de réfugié il y a 3 mois, c’était la grosse fête au Secours Cath !, et on discute forcément de notre activité boulangère. Robel est hyper motivé pour venir tâter de la pâte, et il y a aussi Mohammed, qui vit dans le squat "Frédéric Sauvage" qui voudrait venir. Petite négociation sur l’horaire de début. On propose 9h, Robel nous dit 11h, on tombe d’accord sur 10h/10h30, mais finalement c’est pas très clair... On passe à autre chose, et on verra bien !

Le lendemain, une équipe commence dès 8h pour lancer la journée et les 4 fournées qui nous attendent.
Bonne surprise, à 9h30 les voilà tous les 2. Trop content qu’ils sont d’être là avec nous, les mains dans le pétrain pour le pétrissage.
Boulage, façonnage, on traduit comme on peut en anglais. "Now, you have to form the dough. To give a shape". On rigole, on arrive à peu près à se comprendre, et surtout Robel parle vraiment bien français.

A l’enfournement, on vit un petit moment mémorable. On montre comment ça se déroule, les différentes étapes, mais on oublie le plus important : le petit geste pour faire glisser le pain de la pelle vers l’avant. Forcément, Robel tente d’enfourner en le faisant glisser sur le côté, mais se retrouve avec la pelle tout à fait bloquée entre les parois du four et le pain. On rigole encore, et il finit par réussir à la sortir.

C’est le midi, l’heure de la livraison du pain pour le Secours Cath. On emmène aussi Robel et Mohammed qui vont continuer en faisant la distribution là-bas. Ils tentent de nous dire "à mardi prochain pour faire du pain !". Mais entre temps, il y a déjà plein d’autres exilé·es qui souhaitent venir boulanger au fournil. Alors on va faire tourner !

Notes

[1Le Secours Catholique est le seul lieu d’accueil de jours de tout Calais, notamment parce que la mairie de Calais, de droite, empêche tout autre tentative d’ouvrir des lieux d’accueil de jours. Ping pong, recharge de téléphone, espace réservé aux femmes et enfants, bouffe, jeux de dominos en équipe (avec une méga ambiance !), plusieurs centaines d’exilé·es savent qu’iels peuvent trouver repos, chaleur et endroit sec. On a entendu vraiment que du bien du Secours Catholique de Calais depuis notre arrivée.

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