L’asso et le support pédagogique de la formation : Bancal
Tout Atout est une association loi 1901 ainsi qu’un organisme de formation certifié QUALIOPI (1). L’association travaille en lien avec des partenaires qui aiguillent vers elle des jeunes entre 16 et 30 ans, majoritairement dans des situations de précarité et de fragilités sociales et/ou professionnelles. Elle leur propose deux formations visant “leur insertion dans le monde du travail par le biais de l’art et de la culture”.
L’une de ces formations, intitulée “Chemin de Fer”, est celle que M. a intégré début 2025 par l’intermédiaire de la Mission Locale. Elle dure six mois et est préqualifiante (2). Elle porte sur les “Métiers de l’Information et de la Communication” et annonce “Contribuer à la professionnalisation des jeunes”. Ses objectifs affichés sont de : “Clarifier un projet professionnel, développer des compétences, être accompagné(e) et créer un projet créatif”. Elle se décrit de la façon suivante :
[...] Nous croyons fermement en la valeur du partage des savoirs et de la collaboration. À travers nos actions, nous défendons des principes d’éducation populaire tels que l’égalité des chances, la mixité et l’inclusion. Nous nous engageons pour l’émancipation et l’ouverture d’esprit, encourageant le partage des idées dans un cadre de respect mutuel et de vivre ensemble. [...] L’ensemble de l’équipe de Tout Atout s’engage à accueillir, accompagner et soutenir chaque stagiaire, tout en prenant compte de son identité, ses besoins et sa situation personnelle. [...] »
La formation prend comme support pédagogique un média nommé Bancal. Il a été élaboré en 2024 pour la première édition de “Chemin de Fer” et se décline en deux formats éponymes :
- Le premier est une émission de radio, filmée et diffusée en live sur internet. Cette année, elle s’est tenue le 22 mars 2025 aux Champs Libres lors de l’édition annuelle de “Nos Futurs”, un festival qui “permet aux jeunes de s’exprimer”.
- Le deuxième format est un magazine imprimé. Il sortira le 26 juin 2025 et sera disponible dans toutes les librairies participatives de Rennes.
Bancal est présenté ainsi :
Salut, moi c’est BANCAL, un média pas comme les autres, un peu décalé, un peu comme toi. Je suis né d’une envie folle : donner la parole à ceux qu’on n’entend pas assez [...]. Mon équipe ? Un collectif de jeunes de 16 à 30 ans qui se lancent avec audace dans l’aventure de l’édition. Ensemble, on imagine, on crée et on réalise des projets qui nous ressemblent. Au cœur de ce que je suis, il y a une émission en live, une édition imprimée, et une démarche collaborative [...]. J’aime explorer, tester de nouvelles choses, me réinventer avec chaque projet [...]. BANCAL, c’est moi, c’est toi, c’est nous.
L’entrée de M. en formation
Après des études universitaires, la question de son avenir professionnel est devenue une source de stress importante pour M.. Il se rend compte que les difficultés qu’il éprouve à trouver puis à garder un emploi sont supérieures à la moyenne. En 2024, il commence un suivi psychiatrique qui a donné lieu à la constitution d’un dossier auprès de la MDPH (3). Il est diagnostiqué d’un Trouble Anxieux Généralisé, d’un Trouble du Spectre Autistique et d’un Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité.
Fin 2024, il commence un suivi auprès de la Mission Locale et intègre le dispositif du Contrat Engagement Jeunes (4). Son conseiller lui propose alors la formation “Chemin de Fer”. Les profils recherchés sont ceux de jeunes militant.es et engagé.es, qui souhaiteraient se professionnaliser dans les domaines artistiques et médiatiques. M. semble donc répondre à tous les critères. Après avoir passé une phase de sélection, il y fait son entrée fin janvier 2025 avec 14 autres jeunes. Rapidement, il se rend compte de la différence entre la manière dont lui a été présentée cette formation et celle dont elle se déroule au quotidien.
Un premier constat : contradiction entre discours et réalité
Dans les faits, la formation ne laisse pas aux stagiaires la possibilité “d’imaginer, créer et réaliser ensemble”.
Alors qu’il s’agit seulement de la deuxième édition, la ligne éditoriale du média est prédéfinie, stricte et non-modifiable. Par exemple, seulement trois médiums visuels sont autorisés pour le magazine : crayon de couleurs, stylo bic noir ou gouache.
Le choix des sujets pour l’émission radio, qui sont au cœur des trois premiers mois de la formation, se déroulent lors d’un court “brainstorming” avec un temps de réflexion de vingt minutes, le tout dans des sous-groupes imposés. Ces sous-groupes de travail se composent de cinq jeunes qui travailleront pour réaliser une émission ensemble. Ils ont été constitués en amont par la coordinatrice, qui n’a pas expliqué ses choix ni laissé la possibilité de les discuter.
Lors de cet exercice de “brainstorming”, il n’y a pas de recherche de consensus. La consigne est de trouver au maximum trois idées jugées “intéressantes”. Les sujets sont ensuite sélectionnés par la coordinatrice selon des critères qu’elle n’explicite pas. Ils sont dès lors définitifs et chaque changement doit être validé.
De plus, les intervenant.e.s ne semblent pas avoir été accompagné.es pour s’adapter à un public fragile et leurs cours sont magistraux. Un ton infantilisant est quasi-systématiquement utilisé avec les personnes présentant des troubles cognitifs. Leurs questions, perçues comme “bêtes”, ne trouvent pas de réponse.
De manière générale, les remarques des stagiaires sont mises de côté et ne donnent pas lieu à des discussions, et ce, même si plusieurs d’entre elle.ux sont en difficulté. Par exemple : l’obligation d’interviewer seul.e des inconnu.es dans la rue, sans préparation ni matériel, malgré plusieurs demandes de le faire en groupe.).
A l’inverse, d’autres exercices d’une simplicité enfantine ne suffisent pas pour atteindre les objectifs fixés. Par exemple : la réalisation de structures en spaghetti et en chamallows pour le module “apprendre à travailler en équipe”).
M. remarque aussi dès les premiers jours que les hommes du groupe monopolisent la parole et l’espace, sans qu’il n’y ai de tentative d’équilibrer la dynamique du groupe effectué. C’est même le contraire, la coordinatrice renforce leur légitimité en interagissant principalement avec eux. Le ménage de la salle de formation, qui est un rituel quotidien pour les stagiaires, est principalement effectué par des femmes ou des personnes non cisgenre.
M. ne trouve pas la place pour exprimer ses besoins et ses opinions car aucun outil qui permettrait d’accompagner une réflexion collective n’est mis en place. Il tente alors de créer un espace de dialogue...
Des tentatives de discussions
Pour discuter de ce qu’il a observé et du malaise qui en découle, M. envoie un premier message sur la conversation Whatsapp de la formation, qui réunit à la fois les stagiaires, la coordinatrice et les intervenant.es :
Salut à tous, désolé de vous déranger mais ya que moi que ça chiffonne qu’on ai eu qu’une heure pour réfléchir + choisir le sujet de l’émission, le tout en groupe imposé ?
Certain.es jeunes partagent son avis et un échange à lieu par message. La coordinatrice clos la conversation en répondant que ce temps était sans doute trop court mais le justifie par des questions de planning et d’organisation. Sans prendre en considération que certain.es jeunes connaissent bien le monde du travail précaire, elle rappelle que le milieu professionnel est plein de contraintes et que tout se passe rarement comme on le souhaiterait.
Quelques jours plus tard, alors que M. est en arrêt pour une intervention chirurgicale prévue avant son entrée en formation, la coordinatrice provoque une discussion. La coordinatrice présente le problème comme étant le “message de M.” sans aborder réellement les questionnements soulevés dans la conversation WhatsApp. Elle indique qu’elle aura une discussion avec lui plus tard. L’affaire est évacuée sans débat.
Trois semaines plus tard, M. est de retour dans la formation et des entretiens individuels ont lieu. Lors de ce temps, en présence de la chargée d’insertion - référente handicap et de la coordinatrice, un court résumé de ce qu’il a manqué lui est fait. On lui réitère l’autorisation de manquer quelques jours de formation selon ses besoins. Cela ne pose pas de problèmes et il est même autorisé à rentrer plus tôt chez lui.
Les semaines passent sans que rien ne change, et le 22 mars, a finalement lieu l’émission Bancal. M. vit mal cette expérience et tente une nouvelle fois de susciter un temps d’échange en envoyant un message sur le groupe WhatsApp :
Hello tout le monde, je fais un petit message parce que j’en ai besoin.
Samedi jsuis parti assez vite après avoir fini le cadrage de la 2e émission parce que je me sentais hyper mal, et ce, également pendant plusieurs jours après. J’ai, entre autres choses, un trouble anxieux qui a fait que ce moment a été très difficile à gérer pour moi.
J’avais pas du tout envie de faire ma chronique mais je me suis senti coincé et obligé de le faire, notamment pour ne pas laisser tomber mon groupe. Le fait que l’on doive arriver aussi tôt alors qu’on n’avait pas de place pour aider au montage technique et donc l’attente qui a été générée n’a fait qu’augmenter mon stress. Par contre j’ai l’impression que vous avez tous.tes apprécié le moment et ça c’est trop cool, je suis très content pour vous !! (vous avez de quoi être fier.e.s GG !!).Il m’a paru évident en rentrant chez moi que ma contribution aurait pu prendre d’autres formes qui auraient tout aussi bien répondu aux attentes de la formation (selon les critères de la feuille de formation). Par exemple, j’aurai pu filmer en amont la chronique pour me sentir à l’aise, puis, la diffuser le jour J comme l’ont été des micro-trottoirs et des reportages. Au lieu de ça je me suis forcé à prendre la parole en public, faire une chronique en live et je n’ai pas du tout apprécié le moment. Je me suis senti seul face à mon micro et j’ai perdu tous mes moyens car je n’arrivais pas à me concentrer.Je connaissais mon texte mais je n’ai même pas réussi à finir ma chronique, il me restait juste 2 phrases mais j’étais incapable de dire un mot de plus.
J’ai réfléchi aux causes de cette situation et je crois qu’elle est induite par le fait que la réalisation de cette émission était très cadrée dès le départ. Je n’ai pas trouvé d’espace pour réfléchir à la manière dont j’aurais pu participer tout en me sentant à l’aise. Je n’ai pas non plus l’impression qu’il y a eu une tentative de s’adapter aux différents profils qui participent à la formation. J’ai l’impression que nous sommes plus dans la réalisation de tâches déjà prévues que dans la conception, tout en étant accompagné pour être autonome, et que par conséquent, je (nous) n’avons pas la place pour proposer des alternatives. Tout est pensé en amont, cela laisse des angles morts et c’est normal, personne n’est omniscient mais il y a peu/pas d’espace pour en discuter.
Je sais que je n’ai pas toujours été présent les jours de formation. En février car j’étais en arrêt (duquel j’avais prévenu avant mon entrée en formation) mais aussi lors d’autres fois où j’étais trop stressé pour réussir à venir. Ça je le subis, ça ne vient pas d’un désintérêt vis à vis de la formation mais du stress qu’elle génère. J’ai pas eu l’impression d’avoir été accompagné pour faire face à ça, surtout car, dans ces moments-là, penser à une/des solutions est quasi impossible pour moi et que je reste au point mort. Vu le public visé par la formation, des jeunes parfois en difficultés socioprofessionnelles (dont je fais partie) je ne comprends pas pourquoi j’ai ce ressenti [...].
J’envoie ce message maintenant car comme vous l’avez vu il est très long (deso pour le temps de lecture) et il serait difficile pour moi de parler de tout ça clairement et sans rien oublier en présentiel. J’espère qu’il sera perçu comme ce qu’il se veut être, une démarche constructive. Je préfèrerai qu’on en parle en groupe mardi ou plutôt mercredi (vu comment est organisée la semaine) plutôt qu’en entretien individuel, ou éventuellement ici sur le groupe si certaines personnes sont plus à l’aise à l’écrit.
Bref bonne fin de semaine de vac’ à tous.tes profitez bien d’un peu de repos bien mérité, et à la semaine pro :)
Des réactions disproportionnées
Ce message a suscité parmi les jeunes des avis différents, certain.es étaient en accord avec M., tandis que d’autres étaient plus mitigé.es. Tout le monde était néanmoins d’avis qu’une conversation collective devait se tenir. La coordinatrice rassure les stagiaires : un bilan collectif en présentiel a toujours été prévu. Ce qu’elle n’a pas dit, c’est qu’elle ne sera elle-même pas présente. Ce bilan aura lieu quelques jours plus tard sur la pause déjeuner et sera animé, en autonomie, par la volontaire en service civique de l’association.
A partir de ce moment-là, la situation sera systématiquement ramenée à un supposé problème personnel de M. . Tout sera traité à l’échelle interpersonnelle afin d’éviter tout désaccord au sein du groupe.
Il y a des jeunes qui n’ont pas besoin d’avoir ce message là. Il y en a d’autres qui vont après se poser pleins de questions qui se posaient pas forcément avant.”- Membre encadrant lors d’un entretien individuel avec M.
C’est dans ce contexte que M. manque deux appels téléphoniques de la coordinatrice. Celle-ci lui laisse donc deux messages vocaux.
Le premier date du même jour que l’envoi du message. La coordinatrice, sur un ton irrité, l’invite à la rappeler pour discuter de vive voix plutôt que sur le groupe WhatsApp. Elle lui propose également un rendez-vous pour parler ensemble, juste avant la reprise de la formation (une semaine de vacances faisait suite à l’émission).
Dans le second message vocal, le lendemain matin, elle le convoque désormais d’un rendez-vous obligatoire. Elle a déjà organisé celui-ci, qui se fera en la présence du conseiller Mission Locale de M. ainsi que celle de la chargée d’insertion - référente handicap. L’objectif est désormais de décider de la pertinence pour lui de continuer la formation. Elle termine son message en indiquant que si elle n’a pas rapidement une réponse :
Ça ne sert pas à grand chose que tu viennes lundi, ni mardi, ni de continuer la formation.
Deux entretiens en l’espace de deux jours pour un départ de formation forcé : extérioriser le problème à tout prix
Un premier entretien imposé
Lors de cet entretien, que M. a enregistré avec son téléphone, il réitère son point de vue et met en cause le cadre qui, pour lui, est en partie la cause des problèmes qu’il a rencontrés. Il exprime également son stress par rapport à cet entretien très soudain.
L’équipe de Tout Atout rejette la responsabilité sur ses absences et sur son supposé “manque de souplesse cognitive”. Ses tentatives de susciter des discussions afin de trouver sa place, sont réduites à un manque d’intérêt pour la formation.
M. n’a exprimé à aucun moment le souhait d’arrêter la formation mais la question de son éventuel départ est constamment remise au centre des échanges. Plusieurs fois, les difficultés qu’il rencontre, liées à son état de santé mentale, sont minimisées, voire niées. M. n’obtient aucune réponse, seulement le sentiment de ne plus être le bienvenu.
Si c’est pour toujours remettre en question ce qui va se passer [...] ça va être vraiment compliqué pour nous, ça va être compliqué pour les intervenants, puis ça peut mettre vraiment en péril le projet aussi. Parce qu’on a pas d’énergie à mettre là-dedans en fait. » - La coordinatrice
« Que t’ai conscience même si voilà, nous on est pas “diagnostiqué” sur le trouble anxieux (quoique, peut-être, j’en sais rien, j’ai jamais fait la démarche), ça nous prend aussi de l’énergie et ce n’est pas forcément facile non plus pour accepter ça. » - La coordinatrice« Pour le coup t’es en entretien individuel, donc c’est très bien. »
« Bah oui mais [pour moi] c’est encore pire. »
« Mais non c’est pas pire là M., on discute. » - La coordinatrice
« La créativité c’est trouver des solutions dans les contraintes. [...] Et je pense que si on fait preuve, des fois, d’agilité intellectuelle, on est capable de se faire plaisir. »- La coordinatrice« C’est pour ça aussi que je dis que c’est le cadre le problème. Parce que [...] moi je n’ai jamais trouvé la place de me sentir légitime pour demander quelque chose. Parce que c’est tellement sur des rails que ça ne peut pas marcher à l’adaptation. »
« Ça c’est pas juste toi qui projette ton vécu ? » - La référente handicap
Un second entretien non prévu
Le lendemain, le bilan collectif prévu doit se tenir sur l’heure du midi. En parallèle, tout au long de la journée, prennent place des entretiens individuels consacrés à l’évaluation de l’émission. Ceux-ci doivent être menés par la coordinatrice ainsi que par la chargée d’insertion - référente handicap. Celui de M. est prévu à 14h. L’heure tourne, mais rien ne se passe : le bilan collectif démarre sans lui, quelques minutes après son départ en entretien individuel.
M. arrive dans la salle où se déroulent les entretiens. La chargée d’insertion - référente handicap est présente, mais finalement, pas la coordinatrice. A sa place est présent le directeur de l’association, que M. n’a vu que quelques fois et avec qui il n’a jamais échangé. Dès les premières secondes, M. comprend que cet entretien ne sera pas ce qu’il devait être mais plutôt une sorte de conseil de discipline.
Immédiatement, deux fautes “graves” lui sont reprochées : avoir critiqué le fonctionnement de l’association et avoir supposément remis en question les compétences de la volontaire en service civique, ayant seulement exprimé son étonnement à ce qu’elle anime seule le bilan. Le règlement intérieur de la formation est pourtant clair sur le droit des stagiaires à “s’exprimer librement, que ce soit au sujet de la formation ou du fonctionnement de l’organisme”. Également présent dans les critères de la certification QUALIOPI, ce droit s’accompagne du “ recueil et la prise en compte des appréciations et des réclamations” des participant.es.
M. demande des clarifications quant à ces accusations mais il ne trouve que de l’intimidation. On lui dit que son besoin de plus d’espace d’expression a bien été entendu mais que le cadre ne peut pas changer. Son projet professionnel, qui lui a pourtant permis d’intégrer la formation, est également pointé comme une des raisons qui explique les difficultés qu’il rencontre.
Une “seconde chance” lui est offerte. Il peut rester à condition de ne plus “enfreindre” le règlement intérieur. Le directeur lui donne un ultimatum : il a jusqu’à 18h au soir pour dire s’il souhaite revenir et non s’il souhaite partir, présumant qu’il était déjà exclu. Si aucune réponse n’est reçue avant cette heure-là, il sera automatiquement considéré que M. ne reviendra pas. M. demande un temps de réflexion plus long mais celui-ci lui est refusé car, selon les mots du directeur, “ il a déjà la réponse en lui, et [si ce n’est pas le cas] tant pis “.
Les gens qui sont légitimes et qui ont le dernier mot à la suite de cette formation, ce sont les formateurs. Pas les gens qui sont les apprenants » - Le directeur
« [A propos des infractions au règlement supposément commises par M.] C’est ce qui fait que je suis là aujourd’hui, que je suis là aujourd’hui pour toi. Pour parler avec toi, avec aucune des autres personnes qui sont dans la formation. » - Le directeur
« Si ça n’a pas marché c’est peut-être que c’est pas le bon endroit pour toi » - Le directeur
« On est professionnel quand on est payé. Quand on est pas payé, on est amateur » - Le directeur
« Donc on veut bien te donner une dernière chance. Ce qui veut dire en fait que si tu décides de revenir, de rester dans la formation, on te donne jusqu’à ce soir un délai de réponse » - Le directeur
« Si tu nous dis que tu veux continuer OK très bien. Au moindre souci, à la moindre incartade, au moindre problème ça s’arrête directement. Y’aura aucune discussion. »
« En gros je dis plus rien si je continue. »
« Non c’est pas ca [...] Tu peux ne pas être d’accord avec qui tu veux, sur je sais pas moi, la couleur qu’il faut mettre sur un dessin » - Le directeur
Quelques éléments pour analyser les méthodes de Tout Atout
L’éducation populaire : une définition
Tout Atout, dans les différentes présentations qu’elle fait de ses actions, se revendique explicitement de “l’éducation populaire”. Ce terme n’a pas de définition instituée exacte, de part son histoire et ses objectifs. Cependant il ne peut être utilisé, et encore moins appliqué, sans s’inscrire dans une démarche claire :
“L’éducation populaire, c’est avant tout l’ambition de ne pas séparer l’action et l’analyse, de ne pas séparer celleux qui font, celleux qui réfléchissent, et celleux qui décident. C’est en cela que l’éducation populaire est directement liée aux pratiques ”d’autogestion“(5)
Une participation des jeunes mise en scène
La participation, et plus spécifiquement celle des jeunes, est au cœur des politiques des collectivités qui financent les projets associatifs. Cette question de la place et du pouvoir laissé aux individus ne peut donc pas être ignorée, encore moins par des associations d’éducation populaire.
Un outil simple permet d’analyser pourquoi les méthodes de Tout Atout ne sont pas en accord avec ses objectifs : l’échelle de participation de Roger Hart (6). Celle-ci aide à évaluer le niveau de participation des personnes dans un projet. On y définit la participation par plusieurs niveaux allant de l’absence de participation jusqu’à l’autogestion.

Dans le cas de la formation “Chemin de Fer” la place des stagiaires varie tout au plus entre la présence et la consultation. Pourtant, Tout Atout utilise à plusieurs reprises le terme de “démarche collaborative” qui renvoie explicitement aux plus hauts niveaux de participation. Elle appuie également sur l’idée que ses projets seraient “imaginés, créés et réalisés par les jeunes”. Hors, décréter la participation ne suffit pas à la faire exister : il faut l’animer. C’est précisément le rôle des salarié.es des associations d’éducation populaire, et celui qui n’a pas été assumé par les professionnel.les de Tout Atout. Au contraire, tout semble avoir été mis en place pour éviter le dialogue et faire taire M., quitte à le pousser vers la sortie.
Dans la réalité, il y a toujours des écarts entre les réalisations “pratiques” et les projets rédigés “théoriques”. Ce sont justement ces écarts qui constituent l’identité d’un collectif, auquel les personnes participent et au travers duquel elles peuvent se construire. En essayant de tout prévoir et d’appliquer un plan prévu de A à Z, on écarte tout simplement les possibilités d’adaptation, voire on dévalorise ces dernières en les considérant simplement comme des écarts irrespectueux à un projet déjà écrit et validé. Ainsi, on empêche la participation et par conséquent l’éducation populaire elle-même.
Un des exemples les plus parlants est le média Bancal. Ce n’est pas un support pédagogique que les stagiaires pourraient redéfinir en apportant leur contribution. C’est un projet qui a déjà des intentions, des aspirations et des valeurs qui structurent la quasi-totalité du déroulement de la formation. Derrière la planification de cette dernière, présentée comme neutre et justifiée par des “deadlines”, se cache la volonté de maîtriser et contrôler.
Travailler sur une charte éditoriale, choisir les thèmes de manière éclairée collectivement, sélectionner des médiums en fonction des compétences que l’on souhaite développer, composer des groupes de travail en prenant en compte les capacités de chacun.es auraient pu et dû être des opportunités d’apprentissage et d’autonomisation.
Certaines journées théoriques sont bien sûr indispensables pour acquérir des compétences techniques. Mais au regard des valeurs affichées par Tout Atout, une marge de manœuvre plus grande pour les stagiaires aurait dû être mise en place par les encadrant.es.
Postures professionnelles et manque de méthode
Le role d’un.e coordinatrice
La fonction principale d’un.e coordinateur.ice doit être de tendre le plus possible vers une pratique de l’éducation populaire, telle que définie plus haut. Ielle doit permettre aux personnes d’apprendre à se connaître soi-même, à connaître les autres, et également à exprimer ses besoins, ses envies et ses objectifs individuels. Ce sont des étapes indispensables pour que chacun.es puisse trouver sa place au sein d’un collectif. Ielle doit également guider le groupe vers un fonctionnement démocratique et aider à ce qu’il ne reproduise pas les rapports de dominations inhérents à notre société. Il existe de nombreux outils pour y parvenir mais ielle doit surtout continuellement analyser ses méthodes et sa posture, s’adapter aux personnes et aux contextes.
A de nombreuses reprises la coordinatrice de Tout Atout a affirmé ne pas être une figure d’autorité et ne pas avoir d’influence sur les stagiaires. Elle insistait sur le fait que les stagiaires n’étaient pas de simples “élèves” mais des “apprenant.es” (7), comme si cela attestait de son absence de pouvoir. M. a tenté de résoudre la dissonance cognitive engendrée en s’exprimant sur le groupe WhatsApp, en partie car il ne faisait plus confiance aux professionnel.les de l’association mais aussi parce qu’il considérait que chacun.e des stagiaires était dans le droit de savoir. Cela a été accueilli par une forte répression de la part de toute l’équipe encadrante.
Régulièrement la coordinatrice a adopté des rôles affectifs tel que celui de l’amie, de la maman, allant parfois jusqu’à l’allusion à caractère sexuel. Deux exemples nous semblent particulièrement parlant :
[Un document devait impérativement être envoyé avant 16h à la coordinatrice. Cet échange a eu lieu sur le groupe Whatsapp ou sont présent.es les stagiaires, la coordinatrice et les intervenant.es] :
Tout Atout : @T. je n’ai rien reçu te concernant. Normal ?
T. : Je viens juste de l’envoyer.
Tout Atout : Oui c’est bon.
T. : 16h03… il y a des intérêts de retard ?
Tout Atout : Pourquoi ? Tu veux être puni ?
T. : Non…
Tout Atout : Sinon + urgent et + important que la fessée de T. ; S. demande à L. si elle a pu exporter son micro trottoir ?
[En arrivant un jour dans les locaux, pour saluer tout le monde] : “Maman est là !”
Une question d’influence
L’influence, sous toutes ses formes, est parfois jugée selon un prisme moral comme une pratique “malhonnête”. Or, au quotidien et dans toutes les sphères, nous sommes tous.tes constamment en train d’influencer ou d’être influencé.es. Ici il ne s’agira donc pas de dénoncer l’influence en tant que telle, mais bien de la manière problématique dont elle est exercée par l’asso Tout Atout, particulièrement par le biais de sa coordinatrice.
Jean-Marie Lange (8)dans son ouvrage “ Autoformation et développement personnel ”, distingue 4 modes d’action de l’influence :
- L’influence-force : pratiquée par cell.eux qui, par la force et la contrainte, obligent et oppriment leurs semblables. Il ne s’agit pas uniquement de l’emploi de la force physique mais de tous les facteurs pouvant porter préjudice à autrui (par exemple : le chantage, la coercition etc.)
- L’influence-autorité : pratiquée par cell.eux qui disposent d’un pouvoir perçu comme légitime par une majorité. C’est une influence psychologique qui permet d’éviter le recours à la force et repose sur la hiérarchie. Par exemple faire intervenir une personne placée plus haut dans la hiérarchie d’une organisation pour trancher lors d’un conflit etc.
- L’influence-séduction : par le biais de la quête sexuelle, elle s’applique également à la fascination qui est portée à une forte personnalité. C’est par la douceur de la séduction que l’influence se cache le mieux. Par exemple en tant que formateur.rice, chercher à être perçu.e comme “cool”, peut être un moyen de séduire les stagiaires et ainsi limiter d’éventuelles critiques négatives.
- L’influence-négociation : pratiquée par des acteur.ices différent.es et souvent en conflit. Ielles vont assumer ce conflit et le dépasser en négociant entre ell.eux un contrat. Ce type d’influence est la plus transparente possible et sera dite démocratique. Par exemple si des personnes sont en désaccord, qu’ielles s’expriment et s’écoutent, chacun.es verra son opinion influencée jusqu’à l’obtention d’un consensus qui permettra au groupe d’avancer.
Durant la formation, la coordinatrice a fait usage de son influence principalement dans le registre de la séduction. Le directeur de l’association, lui a pris le relais lors du deuxième entretien pour exercer une pression sur M. faisant une démonstration de l’influence-autorité. Le chantage au silence comme condition au retour de M. nous donne un exemple d’influence-force.
Les stagiaires n’ont pas été accompagné.es à conscientiser ni à exprimer leurs besoins, leurs envies et leurs objectifs personnels. Il n’y a pas eu de définition d’objectifs collectifs qui auraient permis à chacun.es de trouver sa place. La répartition des tâches ne s’est pas faite en autonomie en fonction des aspirations et des limites des chacun.es. Aucune règle de vie collective permettant d’éviter le sexisme, le validisme ou tout autre forme de domination, n’a été abordée et encore moins travaillée collectivement. Les professionnel.les de Tout Atout n’ont pas envisagé la possibilité d’une responsabilité partagée dans les problématiques soulevées par M. . Le conflit a été traité à l’échelle interindividuelle, ne laissant pas la possibilité aux autres stagiaires d’en comprendre les enjeux et de se positionner, en prenant en compte les avis de chacun.es, dans une démarche d’ influence-négociation.
Tous ces éléments montrent que les postures professionnelles adoptées par l’équipe de Tout Atout ainsi que l’absence de méthodes au sein de la formation ne permettent pas, voire empêchent, une réelle participation des personnes.
Pour conclure
M. a finalement mis fin à sa formation après son second entretien. Il a fait part de son expérience sur un autre groupe WhatsApp où sont uniquement présent.es les stagiaires. Il a de nouveau dû faire face à des minimisations et des jeunes soutenant les membres encadrants lui ont demandé d’apporter les preuves des violences qu’il a subi, doutant de sa parole. L’animation du groupe a créé un antagonisme entre les stagiaires qui sont resté.es fidèles à la coordinatrice et celleux qui trouvaient pertinents les questionnements soulevés par M. Ielles se sont positionné.es pour ou contre M. et cela a rendu la situation d’autant plus difficile pour lui, qui a dû faire face à cette violence seul.
Il a depuis pris des nouvelles de la formation et rien n’a changé à l’exception d’une “Boîte à Idées” qui a été installée dans la salle de formation. Une des personnes du groupe lui a également dit s’auto-censurer par peur d’être au mieux ignoré.e, au pire traité.e comme lui. Il a également pris contact avec un.e stagiaire de la promotion précédente, qui l’a informé avoir rencontré des problématiques similaires. Ces pratiques seraient fermement critiquables si elles étaient appliquées auprès d’un public jugé “sans problèmes” mais elles sont d’autant plus graves qu’elles ont lieu dans une structure qui a l’obligation d’être inclusive et qui est dédiée à des jeunes qui rencontrent des difficultés socioprofessionnelles.
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