Choquer. Provoquer. Mouais. Mouais. Mouais... Pourquoi pas quand on est aux Césars ou dans une salle arty parisienne ou pourquoi pas devant l’Elysée si on avait un peu plus de courage. Pourquoi pas quand on est chez les bourgeois. Et encore, c’est pas sûr.
Sauf que là, on est à Kozh, festival féministe qu’un collectif de personnes détères organisent tous les 2 ans sur un thème différent, sans subvention, avec l’aide de plein de bénévoles (environ 250 cette année), avec plein d’énergie et surtout plein de bienveillance pour proposer pendant 2 jours un super programme dans une ambiance la plus sécure possible où il existe même une brigade anti-relou au k où. Pendant tout un week-end, la bienveillance, l’attention portée aux autres, bref ce qu’on appelle communément l’empathie, sont au cœur du festival. Dans une attitude prévenante, des avertissements ou mises en garde (je n’aime pas l’anglicisme « trigger warning ») sont utilisés dans toutes les conférences, les ateliers, les concerts pour prévenir les sensibilités de chacun.e. Pour permettre à chacun.e, selon ses traumatismes, ses blessures, sa fragilité, son expérience, son âge, la temporalité de ses traumatismes (il y a 50 ans ou il y a quelques semaines ou quelques jours, ben surprise : c’est pas pareil !) de CHOISIR librement si on a envie d’entendre çà, de se confronter à çà ou... PAS.
Car on a le droit de ne pas vouloir en parler, de pas vouloir en entendre parler ici et maintenant, dans ces conditions. On a aussi le droit d’hurler sa rage, d’en rire si on veut, de partager sur scène et avec d’autres ses sentiments violents et ambigus vis-à-vis de ce qu’on a vécu... Mais pour ça, encore faut-il savoir qu’on va en parler. Ici, à Kozh, on a le droit d’aller mal, d’être triste, blessée, meurtrie car on vient aussi se ressourcer, être ensemble pour s’empouvoirer, s’empuissancer ensemble, on sait qu’on va être entourée, écoutée, entendue.
Suite à une mauvaise nouvelle, je suis arrivée en pleurant sur le site du festival ; tout de suite, on m’a aidé. Une pote qui va mal et qui hésitait à venir s’est retrouvée rapidement à prendre soin d’une autre personne qui allait plus mal. C’est çà Kozh !
En tout k, c’était çà jusqu’à ce concert.
Où sans prévenir, sans un mot, sans rien, sans une pensée pour toutes les victimes potentielles présentes dans la salle, ni même les enfants, débute un concert pour le moins étrange.
Au début d’une chanson, Corinne Masiero tout en expliquant ce qu’elle appelle le « tomato test » à savoir vérifier que la personne avec qui tu es, te kiffe réellement en lui soumettant un cunni pendant que tu as tes règles, fait une parenthèse pour dire « non mais c’est ok pour les enfants ». Les phrases qui suivent ces paroles parlent directement de son pépé qui kiffait bien ça quand elle avait 7 ans (depuis quand les petites filles de 7 ans ont leurs règles ?), mais pas trop son oncle et ses cousins, mais son pépé oui. Ok, le décor est planté : la phrase sur les enfants était donc bien ironique et donc tant pis pour tous les enfants présents dans la salle. Et tou.t.e.s les autres.
Car s’en suit une chanson excessivement longue parlant d’inceste entrecoupée de phrases exigeant un bon cunni, une bonne baise. L’incompréhension et le doute se lit sur une bonne partie des visages. À l’instant même où je me demande quoi en penser, une jeune femme se retourne et me dit la même chose. On commence à en discuter, une autre se joint à la conversation. Elles décident de sortir, c’est trop pour elles. Je décide de rester, de me faire un avis sur plus que quelques minutes. Mais finalement, c’est aussi trop pour moi.
En partant, je croise une copaine tétanisée, aux bords des larmes, on sort et là, on se rend compte qu’une très grande partie de la salle est sortie, beaucoup pleurent, d’autres sont choqué.e.s, énervé.e.s, perdu.e.s, interloqué.e.s. Sous prétexte de catharsis et de retournement de la violence, vous, mesdames les vaginites, avez reproduit les violences patriarcales car là, ce n’est pas les violeurs que vous avez blessés, ce n’est pas les « mecs » à qui vous avez fait peur, vous n’avez pas renversé le système patriarcal, vous n’avez pas retourné la violence contre les agresseurs, vous n’avez fait que blesser à nouveau des victimes. Ne savez-vous donc pas que nous ne vivons pas les choses tou.t.e.s de la même façon ? Vous avez fait passer les personnes qui étaient sorties pour des chochottes trop sensibles, même pas cap’ de faire face à leur trauma, des personnes pas prêtes pour vos concerts avant-gardistes, des personnes choquées trop facilement. Dans ce lieu magique où toutes les discussions sont basées sur le respect et l’empathie, vous avez créé de la division, mais pas de celle productive, créatrice d’une réflexion riche et intelligente, non, juste de la division bête et méchante. Et blessante.
Il a fallu panser les blessures, prendre soin, rassurer, câliner, beaucoup trop de personnes pour un concert... féministe. Il a fallu penser les blessures. Il a fallu passer beaucoup trop de temps à parler, discuter, débattre, réfléchir à des solutions d’urgence, avoir des discussions houleuses et difficiles nerveusement à vivre, encore une fois, après un super festival rempli de bienveillance. On m’a dit « tu sais où tu viens : si t’aimes pas, t’as qu’à sortir ».
D’abord, on est pas obligé.e de toujours savoir où on va et en général, c’est ce qu’on fait dans un festival : on fait des découvertes, des rencontres. Ensuite, il ne s’agit en aucun k d’aimer ou de ne pas aimer. Et quand on sort, ben c’est que c’est trop tard. En agissant comme vous l’avez fait, vous avez mis en détresse trop de personnes. Ça ne vous fait rien de voir des gentes pleurer en sortant de votre concert ? Vous ne vous dites pas que c’est de votre faute, votre responsabilité ?
Cela m’est déjà arrivé une seule et unique fois à un de mes vernissages, je me sentie si mal d’avoir pu blesser quelqu’un, je me suis confondue en excuses, ai laissé de la place à la personne en lui proposant de monter sur scène. Cela ne m’arrivera plus jamais. Mais quand j’ai parlé de ça, on m’a rétorqué : « ce n’est pas aux artistes de penser à çà, c’est à l’orga, les artistes n’ont à penser qu’à leur création ». Ah bon ? Depuis quand les artistes n’ont aucune responsabilité concernant leur œuvre et leurs conséquences ? Et même si c’est effectivement bien le cas dans le système patriarcal, n’est-ce pas exactement le contraire de ce qu’on tente de construire dans ces lieux et événements alternatifs ? C’est bien dans cette perspective de construction d’un autre monde de bienveillance généralisée, que dans le concert de la veille, la chanteuse a prévenu pour une de ses chansons, qu’elle contenait des propos sur les violences sexuelles ; c’est bien dans cette attitude prévenante, que les personnes qui ont réalisé le Kino-pores porno ont fait plusieurs avertissements concernant certaines scènes...
En conclusion, pour que le reproche qui vous est fait soit bien clair, il ne s’agit en aucun k de continuer à faire des violences patriarcales un tabou ou de censurer la manière dont vous avez envie d’en parler, ni la violence et la rage que vous utilisez sur scène, il s’agit de le faire en prenant soin des autres sensibilités que les vôtres et donc de protéger celleux qui seraient + fragiles, blessé.e.s, démuni.e.s, et de ne pas leur infliger de nouvelles blessures. Et c’est très facile à faire car cela existe dans tous les lieux et événements féministes où à l’évidence vous n’aviez jamais mis les pieds avant : prévenir et avertir les gentes avant le spectacle. Cela évitera que la moitié de la salle se barre en pleurant ! J’espère que cela vous servira de leçon mais au vu de vos propres commentaires valorisant le côté « punk » de cette soirée trop mouvementée, ça m’étonnerait...
D’ailleurs, pour info et précision, la pote « qui [vous] a arraché le micro en disant que c’était trop violent » parlait bien de la violence non pas de vos paroles, mais bien de celle de ne pas avoir prévenu le public et de ne pas vous sentir concernées par les personnes qui allaient mal à cause de votre concert. Et dire que votre prochain concert est après la projection d’un film sur « nous les femmes, l’art qui répare »...
Heureusement, le festival ne s’est pas terminé sur cet échec et la fête a continué grâce à de fabuleuses autres artistes.
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