Précision :
Ce récit se base sur mon expérience d’assistant de français en Italie, que je renouvelle cette année et sur les histoires que j’ai pu en avoir de mes collègues assistant·e·s. Ça reste donc non représentatif même si, évidemment, nous ne sommes pas 4 à participer à ce programme, mais bien 96 concernant la seule langue française. Je me colle donc ici à la politisation de ce truc pour faire des émules !
Salut,
Cette année, je renouvelle l’expérience d’assistant en langue française en Italie. Comme je l’ai fait l’année dernière. Il m’a donc semblé important d’écrire un texte qui dépasse la propagande gouvernementale et les blogs au point de vue soi-disant « apolitique » et purement dans l’affect, afin de poser un discours politique sur cette affaire. Ce travail d’assistant·e étant un symptôme de la libéralisation et de l’ubérisation du taf, j’ai pensé que ce témoignage (l’emploi d’assistant·e étant l’antichambre du boulot de prof), pourrait être le point de départ pour une réflexion sur l’état de l’enseignement en général.
Posons les bases
Posons les bases : le programme d’assistanat en langue française s’inscrit dans les projets européens et dans les partenariats du type Erasmus, de la mobilité des professeurs. Mais, plus largement, en lien avec les Instituts et Alliances françaises, de promotion de la langue française, de la Maison France. Nous sommes ainsi qualifié·e·s « d’ambassadeurs de la France » (sans le salaire qui va avec, néanmoins).
C’est quoi les bails ?
Il est possible d’être assistant·e de français dans de nombreux pays, notamment anglophones, hispanophones, germanophones, etc. ; la liste est trouvable sur le site de France éducation internationale (nouvelle mouture du CIEP). J’ai donc choisi l’Italie. Pour ce pays, les prérequis sont d’avoir entre 20 et 30 ans, avoir un bac+2 minimum et de savoir parler un minimum italien. Les heures de taf sont de 12h par semaine pour un salaire de 850€. Plutôt peinard donc. Même si, au final, c’est pas bézef pour vivre. Disons que ce poste me semblait être un bon compromis entre travailler et ne pas travailler, tout en pouvant profiter de ce pays proche politiquement et linguistiquement.
Néanmoins notre condition bénéficie d’un flou artistique bien arrangeant pour nos donneurs d’ordre. Ainsi, notre mission n’est pas considérée comme un travail à part entière, mais comme une formation et le paiement mensuel comme une bourse au même titre qu’une bourse d’étude. Ce qui a pu donner lieu à de nombreux retards dans son paiement, depuis 60 ans que le programme existe, et sans réel moyen de pression pour être payé·e plus vite, hormis les plaintes au secrétariat de l’école ou les mails à l’Institut français. Je m’arrête un instant pour vous expliquer qui sont « les chefs » dans l’histoire, car ça n’est pas clair. Nous sommes missionné·e·s par l’Institut français et le ministère italien de l’Enseignement (MIUR) qui sont ceux qui déterminent dans quel établissement nous exercerons. C’est le ministère qui paye la bourse aux écoles qui sont ensuite chargées de nous payer tous les mois. Quant aux conditions concrètes de travail (horaires, tâches en plus, autorisations de participer aux sorties scolaires, remboursements éventuels des frais de transport, etc.), chaque école fait comme elle l’entend. Donc, en résumé, notre donneur d’ordre est le ministère, mais nos interlocuteurs directs, sur le terrain, restent l’école et les profs avec qui nous travaillons. Les profs obéissant à l’établissement. J’avoue que cette année le ministère de l’Éducation italien (le MIUR) a enfin décidé de foutre la pression aux écoles en leur ordonnant de payer systématiquement avant le 5 du mois suivant, quitte à avancer le paiement (car c’est le MIUR qui fournit les subsides). Il était temps ! Le job ne dure que d’octobre à fin avril et ne fait pas cotiser au chômage (mais est net d’impôts et donne des points pour la retraite, merci pour la charité !). Ceci dans la veine des stages, du volontariat à l’étranger. Missions toujours peu, voire pas payées, ce qui arrange bien les entreprises qui gèrent ça. Toujours sous couvert de découverte pour la jeunesse, de renforcement du « sentiment européen », de l’amélioration de son CV. Mais qui peut se permettre d’avoir un taf peu payé, juste en vivant de l’éblouissement du dépaysement ? Certainement pas les fils et filles de prolos. Tous ces programmes ne sont souvent que du précariat déguisé.
Assistant·e assisté·e ?
En quoi ça consiste ? Notre rôle est de faire un cours avec un·e prof de français, en collège ou lycée, et de faire des activités plus ludiques. D’éviter la grammaire. La valeur ajoutée (pour reprendre les termes du ministère) de l’assistant·e étant son jeune âge (plus proche des élèves), son statut de locuteur·rice natif·ive et donc sa bonne connaissance de la langue. Certain·e·s profs sont notamment très friand·e·s de l’apprentissage de l’argot et du verlan ainsi que des différents accents de la France. C’est donc plutôt agréable de pouvoir parler de ce qui nous intéresse, de faire bosser les élèves sur des musiques de rap, de leur parler d’Adama Traoré ou des gilets jaunes à côté de la géographie et de la gastronomie. Mais tout dépend de la liberté que vous laisse le prof avec qui vous bossez.
Certaines interdictions sont stipulées dans notre contrat comme celle de gérer une classe entière seul·e ou de corriger des copies. Seulement, si une de ces clauses n’est pas respectée, il est difficile de contester ou d’avoir un moyen de pression. Même si je comprends tout à fait qu’un·e prof soit tellement chargé de taf qu’il ou elle veuille en refiler un peu à l’assistant·e qui est aussi là pour apprendre. Il faut donc savoir défendre ses droits seul·e face au prof, en lui précisant que ce n’est pas de notre faute s’il ou elle est assailli·e de travail : pas toujours évident.
Détour vers le système italien
Avant d’aller plus loin, faisons une déviation. Précisons que le système scolaire italien fonctionne ainsi : les écoles ont la quasi-autonomie, comme les universités en France. Il y a une carte scolaire, mais les parents peuvent passer outre ses injonctions, ce qui fait qu’ils et elles choisissent l’école (collège et lycée). Plus une école a d’élèves, plus elle a de financements. Les écoles sont donc comme des entreprises qui font beaucoup de portes ouvertes dans l’année et envoient leurs profs de langue jusqu’aux écoles primaires pour faire de la pub pour le français ou autre. Donc ajout d’heures, une fois de plus. Le collège dure 3 ans et le lycée 5, les élèves passent donc le bac à 18-19 ans.
Ici les cours n’ont lieu que le matin (de 8h à 13 ou 14h, selon les écoles), avec 10-15 minutes de pause pour les élèves. Les élèves gardent (dans la plupart des écoles) la même salle, ceci s’apparente donc presque à de la contention. Je comprends ainsi que les élèves soient parfois excité·e·s, à trépigner. Pendant la récréation, les profs doivent rester dans leur salle pour surveiller les élèves ! Il n’y a pas de self, les cours finissant à 14h max. Il y a juste un bar avec des sandwichs. Seulement, de nombreux·euses collègues m’ont raconté qu’elles ne rentraient chez elles qu’à 18h avec une pause déjeuner de 30 minutes, car l’après-midi était consacré au conseil de classe (1 par mois !) ou à une réunion. Un contrôle est exercé sur les profs qui doivent signer un registre (papier ou électronique) pour chaque heure faite et y inscrire l’activité effectuée. Ce qui donne un droit de regard au proviseur, ainsi qu’aux parents qui peuvent contrôler la tenue du cours.
La plupart des profs en Italie étant assez âgé·e·s, le programme d’assistanat en langue correspond parfois à un certain jeunisme à la sauce start-up nation. J’ai ainsi pu entendre que « nous, les assistant·e·s, on fait des choses moins ennuyeuses que les profs ». Le mépris est clair, et cela arrange bien le ministère qui a un moyen de pression sur les profs en leur mettant sous les yeux des assistants jeunes, flexibles, prêt·e·s à tout accepter, à se plier à l’injonction au numérique et à les corriger en français. Ceci étant totalement dépolitisé, il n’est ainsi pas remis en question le manque de moyens qui est alloué à l’enseignement. Peut être que dans un avenir pas si lointain les profs seront évalué·e·s et leur niveau de langue rejugé par un assistant·e dont c’est la langue maternelle ?
Revenons à notre mission d’assistanat. Le problème principal réside dans les incitations de l’Institut français et du ministère plus que dans les cas particuliers face à nos profs référent·e·s. Le séminaire des assistant·e·s de langue en Italie auquel j’ai assisté deux années de suite a donc été très intéressant à ce niveau. Il a eu lieu à Rome et y étaient invité·e·s tou·te·s les assistant·e·s du pays : d’allemand, d’anglais, de français et d’espagnol. Les Français·e·s étant les plus nombreux·euses (99 environ). Comme la plupart des gens, j’y suis surtout allé pour capter d’autres personnes plus que pour les cours. Ceci étant la seule occasion de se voir tou·te·s ensemble et de discuter, en dehors des groupes Facebook.
Cette situation d’atomisation des assistant·e·s fait qu’il est impossible de s’organiser pour revendiquer quoi que ce soit. Tou·te·s dans différents endroits du pays, main d’œuvre interchangeable d’une année sur l’autre. Ceci profite bien au ministère qui nous gère ainsi comme des intérimaires. Loin de moi l’idée de comparer notre situation à l’intérim qui est bien plus difficile ; j’ai quand même des conditions de taf plutôt à l’aise, mais il faut parfois les imposer. En effet, combien de fois ai-je entendu d’autres assistant·e·s me dire qu’ils changeaient d’emploi du temps toutes les semaines ou bien qu’ils faisaient des heures gratos en plus ? Bien sûr, il ne tient qu’à eux et elles de gueuler, seulement peu le font et finalement nous n’avons pas de moyen de pression, car notre statut est un peu bâtard : ni prof ni étudiant·e. Il n’y a donc aucun syndicat pour nous défendre.
Démerdez-vous !
À ce séminaire, qui est un « séminaire de formation », nous étaient proposés des workshops pour nous former pour l’année à venir. Notons déjà que l’organisation est telle que ce séminaire a eu lieu mi-novembre, soit un mois et demi après le début du taf. Nous avons donc dû nous débrouiller seul.es pour pailler aux problèmes inhérents à notre arrivée (démarches administratives, difficultés pour savoir proposer des cours, etc.). Malgré la promptitude de l’Institut français pour répondre à nos questions. Face à ces reproches faits en direct au séminaire il nous a été répondu qu’il nous fallait « être patient·e·s ». Ceci se place donc dans un à l’arrache certain. D’autant plus énervant que nous sommes engagé·e·s par un Institut et un ministère qui sont supposés avoir des moyens. À titre d’exemple, l’année dernière nous avons dû avancer les frais de transport pour venir au séminaire non sans problèmes dans le remboursement. Cette année, face à la protestation des assistant·e·s de français, les frais ont été entièrement avancés par le ministère.
Soyez souples !
Les cours du séminaire ont été très révélateurs. Je ne pourrai parler que de ceux délivrés aux assistant·e·s de français. Nous avons eu 3 profs, qui ont fait exactement les mêmes interventions que l’année dernière. Une concernait le programme CLIL (EMILE en français : « enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère ») qui, selon moi, est un des symptômes du changement du système éducatif sous le prisme du libéralisme. En effet, cela consiste à enseigner une matière non linguistique en langue étrangère : par exemple de l’histoire en français ou des maths en anglais. La prof qui nous présentait ce programme n’était pas prof de français à la base, mais de philosophie et elle a dû faire une formation pour pouvoir enseigner la philo dans cette langue. On est donc incité·e·s à être sans cesse flexibles, à devoir se former en pleine carrière. Ce qui permet de faire des gens interchangeables et de ne pas engager de prof supplémentaire. On nous a donc dit, sourire aux lèvres (toujours), qu’on pouvait être amené·e à faire par exemple des cours d’histoire ou de sport en français, même si ça n’est pas notre formation de base. Je connais ainsi une assistante qui doit faire un cours d’histoire avec une prof qui parle basiquement français et alors qu’elle n’a pas fait d’études d’histoire ! Sa prof lui demande donc de se former sur le tas. C’est non seulement grave pour nous assistant·e, mais d’autant plus pour les profs titulaires. Grave par rapport au fait que cette interdisciplinarité tant vantée dans les ministères n’est en fait qu’un moyen bien pratique pour ne pas engager de profs supplémentaires et pour augmenter la charge de travail. À travers ce séminaire, il nous est donc mis dans la tête le futur (et déjà présent) rôle d’un·e prof. L’assistanat semble donc être le laboratoire de l’école de demain, celle qu’ils nous préparent en haut lieu.
Langue certifiée.
En intro du séminaire, on nous a longuement parlé des certifications en langue : le fameux DELF pour le français ou bien le CLES pour l’anglais qui commencent à apparaître en France, mais sont déjà très répandues en Italie ! Nos intervenantes justifiant cela en disant que : « les élèves et leurs parents adooooorent les certifications ! ». Comme si c’était eux et elles qui choisissaient comment est organisé l’enseignement. Alors que ce sont les ministères qui en décident et notamment le fait que de plus en plus d’écoles et de facultés demandent ces fameuses certifications. Il me semble important de préciser qu’il faut payer pour passer une certification (environ 200€ et sans garantie de réussite) et qu’on la passe pour un niveau déterminé (selon le barème européen, de A1 à C2). Par exemple, si vous en avez eu une en B1 et que votre futur employeur en demande une en B2, il faudra la repasser, donc repayer. Alors que le fait d’avoir eu son bac avec une ou des langues étrangères devrait suffire à justifier d’un niveau en langue. L’école est censée être gratuite ! Le privé s’instille donc dans le public. En Italie, les profs de langue sont donc amené·e·s à conseiller les élèves sur ces certifications, à en donner des cours et faire passer les examens. Il existe même un DELF pour les élèves de primaires baptisés « DELF prim », ils ne reculent devant rien pour faire du bif ! Ou comment habituer les enfants dès leur plus jeune âge à s’inscrire dans un système concurrentiel basé sur la multiplication des certifications en tout genre (informatique, etc.). La rapine des parents se faisant évidemment toujours sous le prétexte de : « c’est pour le bien de votre enfant ».
Réseauter en servant Google au passage
Les deux autres cours du séminaire ont consisté en une présentation de liens internet vers des activités en ligne allant dans le sens d’un enseignement numérique. La technophilie béate fonctionne ici à plein. Une des profs nous a ainsi avancé qu’elle était « formatrice certifiée Google » ! Google s’immisce donc dans l’enseignement. J’aimerais bien savoir combien celui-ci la paye pour inciter les profs et les élèves à lui donner leurs données gratos. Elle a commencé par le constat qu’aujourd’hui les livres étaient dépassés, que les élèves ne savaient pas se concentrer plus de 5 minutes, et que donc il fallait s’y adapter en montrant qu’apprendre le français pouvait être fun. Mais pourquoi les gens (et pas seulement les jeunes) n’arrivent plus à se concentrer longtemps ? N’est-ce pas dû aux heures de cours à la suite à avaler du programme ? Aux écrans omniprésents ? Aux chaînes d’info en continu ?
Non c’est intrinsèque, hors de toute société ?
Face à ça, elle propose de rajouter de l’écran. D’utiliser le numérique pour créer une community. Ceci jusqu’à l’absurde : avoir besoin d’un logiciel pour créer quelque chose à partir de mots lâchés en l’air (pour créer une carte mentale, selon leur terme consacré), en avoir besoin pour créer des jeux, des quiz. Avec cette illusion que nous créons en utilisant ces logiciels alors que ce sont les algorithmes qui le font. Cette injonction au numérique à l’école est pour moi un exemple parmi tant d’autres de la délégation de nos capacités qui est mise en œuvre dans de plus en plus de pans de nos vies ; le fait de se repérer dans l’espace, de parler une autre langue, de trouver une information dans notre cerveau. À ce sujet, la conférence d’Alain Damasio à TedX est géniale.
La « possibilité » la plus extrême que l’intervenante nous a citée est celle de créer un avatar (pour prof et élèves) pour se présenter en français ! Donc maintenant on ne peut plus se présenter soi-même ? Ceci dans une économie du temps toute différente. Ainsi le temps du cours se distend. Le prof prépare en amont (comme toujours), mais poste ceci sur internet (des plateformes de discussion) puis les élèves mettent leur taf en ligne. L’heure du cours n’est plus que celle de la correction. Et, si jamais vous n’avez pas eu le temps de tout dire en cours, vous n’avez qu’à poster votre cours sur le net [1]. Donc, heures gratuites en plus pour le prof, contrôle sur son cours, visible de quasi tou·te·s. L’élève est aussi amené à se gérer tout·e seul·e, à tout chercher sur le net. Toujours sous couvert « d’autonomie » c’est bien d’auto-exploitation dont il s’agit.
L’illusion de l’open spacer dans l’enseignement
J’y vois donc aussi une rupture des liens sociaux. On ajoute des écrans entre le prof et les élèves. Les élèves sont incité·e·s à ne plus se rencontrer pour travailler en groupe, mais à discuter sur des plateformes. Ils et elles n’ont plus l’opportunité de mieux s’accepter, ils créent un avatar à la place pour cacher leur réelle apparence. Au lieu d’essayer de dépasser ensemble les contraintes matérielles qui font qu’on ne peut pas se déplacer chez un·e camarade pour bosser, on les accepte et les perpétue en restant devant son écran.
Un contrôle s’instille de façon subtile. Les questions à l’intervenante étaient souvent : « Et c’est gratuit ce site ? » Oui, mais pas vraiment en fait ; il ne nous est pas dit qu’ainsi nous filons nos données, nos goûts et nos affinités gratuitement à Google, Facebook et autres pour qu’ils fassent des publicités ciblées, du big data. Certaines applis permettent aussi aux parents de veiller sur le cours, pour voir si tout se passe bien. À quand la note envers le prof ?
Nous y sommes déjà à ce jugement permanent, sans demi-mesures. Les travaux sont ainsi notés sur les plateformes avec des smileys et des notes. La prof parlait carrément de « produit ». On voit donc que l’école devient un produit, l’apprentissage d’une langue est modifié sous le prisme de la productivité, d’un niveau à atteindre. Et ce notamment grâce à Google qui permet de mieux mesurer, surveiller, contrôler toutes nos activités.
L’enseignement numérique radicalement En Marche
Il me semble également capital de remettre en cause l’idée selon laquelle l’enseignement numérique serait obligatoire. Autant du fait des envies des élèves que, de manière plus englobante et qui nous impuissante [2] : du fait de la société de demain qui serait comme cela. On n’aurait donc pas le choix. Or, de nombreux élèves que j’ai interrogé·e·s m’ont dit qu’ils et elles ne désiraient pas particulièrement ce mode d’enseignement, qu’ils et elles privilégiaient toujours les manuels pour étudier ainsi que le lien direct avec leurs potes pour travailler en groupe. Je vois aussi cela comme un productivisme forcené. Ainsi, les intervenantes du séminaire disaient qu’il fallait montrer aux élèves qu’on pouvait apprendre avec le smartphone. Donc le travail envahit leur espace personnel (de plus en plus de gens mettent toute leur vie dans leur téléphone, ce qui est à critiquer, certes) ainsi que leur temps de repos. Les limites entre temps de travail et temps de repos sont supprimées (soi-disant, car elles réapparaissent sans cesse, insidieusement). Si votre prof, vos parents ou les autres élèves peuvent regarder ce que vous mettez sur la plateforme de la community ne pensez-vous pas que bientôt ils pourront voir combien de temps vous avez passé à travailler plutôt qu’à regarder une vidéo de foot, un clip de PNL ou à tchatcher avec vos amis ?
Concernant cette soi-disant obligation d’utiliser le numérique car « cela sera comme ça ». Il me paraît évident que ça se place dans une passivité feinte. Comme si nous ne pouvions pas être des acteur·rice·s de l’enseignement que nous voulons. Je dis « passivité feinte », car, en réalité, il s’agit bien de participer à ce processus donc de le créer. C’est donc une boucle, comme l’enseignement sera numérique, on l’utilise de plus en plus et donc cela devient un impératif.
Nous ne sommes pas des assistant·e·s ou des profs d’informatique, mais de langue, ça n’est pas à nous d’éduquer les jeunes au numérique ! D’autant plus que ce prétendu apport de « bonnes pratiques » du numérique qui est censé répondre à son omniprésence chez les jeunes est bien faible. On n’apprend pas aux élèves à refuser les systèmes de surveillance compris dans les sites et les moteurs de recherche (cookies, etc.), on ne leur apprend pas ce que fait Google avec nos données (Google Chrome, notamment, que beaucoup utilisent alors que Firefox est aussi facile à utiliser), on ne leur apprend pas à aller sur Tor ou Tails ni à installer des modules anti-traçage. Tout ceci serait souhaitable, mais fait par des profs compétent·e·s en la matière, dont c’est la formation, par opposition à une technophilie béate qui dévore tous les pans de nos vies et nos capacités à être humain.es.
En conclusion
L’assistanat en langue reste un taf pépère à prendre si on ne veut pas trop en faire et si on veut avoir du temps pour voyager. Aussi utile pour se former à l’enseignement, de façon moins intense qu’à l’INSPE (nouvel ESPE). Mais il est important de ne pas se laisser marcher sur les pieds, défendre ses maigres droits. Ça reste pour moi un labo de l’enseignement à venir, libéralisé, flexible, interchangeable. Il faut donc ne pas se laisser berner par les autour du fun, le clinquant de l’écran et les sourires du ministère, car en ces temps d’offensive ultra libérale, il s’agira de défendre nos droits, ensemble, en gardant la réflexion nécessaire à l’action.
P.S. : Ajout en temps de coronavirus
Au vu de la situation actuelle (épidémie de Covid-19 en Italie et en France et confinement généralisé), il y aurait beaucoup à dire sur ce didactisme en ligne. L’Italie étant le premier pays européen à avoir été particulièrement touché par le virus, il a été le premier à décréter la fermeture des écoles, d’abord en Lombardie (semaine du 24 février) puis rapidement dans le reste du territoire. Puis à décréter un confinement. Face à cela, le ministère de l’Éducation a bien joué son jeu pour nous inciter à travailler en ligne, sans information aucune sur nos droits. Suite à la fermeture des écoles, certain·e·s assistant·e·s de français sont rentré·e·s en France. S’en est suivi un « sondage » du ministère demandant où nous nous trouvions, si nous participions aux activités en ligne et si nous voulions démissionner. Précisons d’abord qu’un mail nous avait été envoyé avant pour nous préciser que, quoi qu’il arrive, notre bourse serait maintenue jusqu’à fin avril, comme prévu ; mais sans qu’il soit fait mention de l’école en ligne ni de quelconques modalités. Seulement, j’ai appris bien plus tard que certain·e·s assistant·e·s, face à leur impossibilité ou non-envie de faire des cours en ligne, avaient purement et simplement démissionné. Ce qui n’est pas de leur faute, mais de celle du ministère de ne pas leur avoir précisé que, didactisme en ligne ou non, nous devions être payé·e·s jusqu’à la fin. Au final, il s’accommode bien de ces démissions. En effet, faire des cours en ligne ne correspond nullement à notre contrat ni à notre mission d’assistant·e.
Après des sollicitations de certain·e·s au ministère et à l’Institut français pour savoir si nous étions tenu.es, légalement, de faire des activités en ligne, rien n’a été répondu à un niveau juridique, mais a seulement été invoqué une solidarité à avoir envers les professeurs et les élèves. Puis, pour parachever le tout, d’une obligation d’obéir à nos donneurs d’ordre (du ministère au professeur tuteur). De quelle solidarité parlons nous ? Bien sûr, il nous semble souhaitable de filer un coup de pouce à des professeurs déjà harassé·e·s de travail. Mais, premièrement, la solidarité ne se commande pas, surtout de la part de ministères qui n’ont eu de cesse de contribuer à la destruction du système public (de santé, de l’enseignement, etc.) ; et deuxièmement, cela nous questionne d’ajouter du travail aux élèves en cette période sombre. Nombreux sont les articles qui actuellement pointent le renforcement des inégalités créé par les cours en ligne (absence d’ordinateur personnel, de connexion, d’espace de travail adéquat, le fait que tous les élèves n’y participent pas…). La situation donne-t-elle la tête à cela ? Même si cela peut permettre aussi de penser à autre chose et de continuer à avoir des liens sociaux, tout numériques soient-ils. Seulement, ce ne sont pas ces questions que se pose le ministère (en France comme en Italie), tout ce qui compte pour lui est la continuité pédagogique, le fameux « ce ne sont pas des vacances ». Productivisme encore et toujours.
Finalement, le ministère italien a bien profité de notre situation précaire pour nous imposer des choses. Notre marge de négociation étant quasiment nulle. Des questions se sont posées pour la suite, le mois de mai, quand nous n’aurons plus d’emploi et aucune possibilité de chômage du fait de notre statut « d’en formation » alors que la pratique de cours en ligne nous a laissé·e·s seul·e·s, sans tuteur. Il nous a semblé compliqué de retrouver un taf avec le confinement encore d’actualité. Nos donneurs d’ordre auraient pu s’arranger pour nous arroger un droit supplémentaire en ces temps de précarité augmentée. Finalement, le ministère et l’Institut français nous ont informé·e·s que, comme nous connaissions les règles de notre mission, notre statut ne changera pas.
En clair, nous n’avons pu postuler au chômage malgré la situation et notre adaptation à des cours en ligne.
Arrogance du pouvoir…
Notes
[1] D’ailleurs, après le séminaire, les PowerPoint (outil qui fonctionne désormais comme un impératif) de tou·te·s les intervenant·e·s nous ont été envoyés par mail. Alors quelle est l’utilité de venir et de prendre des notes dans ce cas ?
[2] terme de Damasio
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