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Contresens et procès d’intention

Féminismes - Genres - Sexualités

Mise au point après une "réponse critique" à un article de Harz-labour.

Une lectrice n’a pas apprécié "Pour une nouvelle éducation sentimentale", article paru dans le numéro 20 de Harz-labour, et a écrit une "réponse critique" publiée sur expansive. Comme elle l’explique, cette militante a participé à la création de groupes non-mixtes dans les années 90, pour s’opposer au fait que les femmes n’étaient pas entendues dans les milieux anarchistes. Nous comprenons la méfiance que peut susciter une réflexion élaborée en mixité sur les rapports de genre, et nous n’obligeons personne à en faire de même. Pour autant, cette "réponse critique" comprenant plusieurs contresens et de nombreux procès d’intention, nous tenons à faire une mise au point.

Le premier contresens concerne la première ligne de notre article. Nous sommes accusés de déprécier la vague que fut Metoo, en la désignant comme une "certaine parole". Nous n’avons pourtant pas écrit cela. Quiconque relit notre article verra que nous avons en réalité écrit "une certaine libération de la parole", et non "la libération d’une certaine parole". La libération de la parole est "certaine", dans les deux sens du terme : évidente, et relative. Et ce n’est pas déprécier la parole qui se libère que de dire que nous ne connaissons pas, dans le contexte actuel, de libération ou de liberté totale.

Second contresens, lorsque nous abordons la question de la signature de contrats via des applis sur smartphone, nous voilà rapprochés de "la droite réactionnaire" et accusés d’affirmer "oui mais bientôt les féministes elles vont nous faire signer un contrat". Puis, la rédactrice de la "réponse critique" observe que "ce ne sont pas les féministes qui demandent cela, mais bien les administrations ou entreprises qui cherchent à se couvrir, et tous les agresseurs qui souhaitent se dédouaner, et ne pas être dénoncés." Quiconque relit notre article sans préjugés verra que nous disons exactement la même chose. Nous écrivons que la signature de contrats certifiant du consentement à des pratiques sexuelles est proposée par les administrations (et non par "les féministes"), qu’elle dispense de faire preuve d’éthique, de penser la question du sexisme, et que la négociation d’un contrat n’empêche aucunement des formes de pression et de manipulation pour parvenir à ses fins. Puis nous concluons sur une inquiétude : comment faire reconnaître la possibilité de changer d’avis lorsqu’on doit signer un contrat signifiant son consentement à certaines pratiques sexuelles ... Contrairement au procès d’intention qui nous est fait, nous ne critiquons pas cette vision contractualiste dans une perspective masculiniste, en redoutant une supposée perte de pouvoir de la part des hommes, mais au contraire parceque nous savons que le contrat est, en régime libéral, ce par quoi les inégalités sont entérinées.

Par ailleurs, notre propos n’est pas de dire "très clairement que les féministes ne font pas ce qu’il faut.  ". La genèse de ce texte est explicitée dès le premier paragraphe de l’article, où nous expliquons qu’une certaine libération de la parole peut donner l’espoir d’un changement dans les rapports hommes-femmes, mais que certaines réactions, tant médiatiques que militantes, semblent poursuivre un autre but, à savoir individualiser toutes les réflexions pour ne pas remettre en cause la domination masculine et les structures qui la produisent.

Nous n’avons pas écrit que les femmes agressées avaient tort de dénoncer leurs agresseurs. Nous n’avons pas non plus critiqué les réunions non-mixtes entre femmes, auxquelles certaines d’entre nous participent. Nous disons simplement qu’une analyse politique qui se veut révolutionnaire ne doit pas en rester à la seule responsabilité individuelle. Comme l’écrivait l’une des rédactrices de Harz-labour, dans le numéro 18, "s’il est une chose que les hashtags #metoo et #balancetonporc ont bien mis en avant, c’est que les agressions sexuelles interviennent pour beaucoup dans des rapports hiérarchiques (producteur – actrice, employeur – employée … ) et qu’elles ne sont finalement pas tant une question de sexualité que de rapports de pouvoir. " Il nous paraît donc essentiel d’ancrer notre analyse dans une critique plus large des rapports de pouvoir. On ne peut penser les rapports de genre sans penser le cadre qui les façonne.

Il nous paraît aussi important de réfléchir à comment sont créées les masculinités dominantes, à savoir comment l’école, le travail, l’hôpital, la prison, développent un rapport destructeur à son propre corps et à ceux des autres. Et il faut aussi, si nous aspirons à d’autres formes de relations, voir ce que les représentations et discours dominants sur la sexualité hétérosexuelle ont de problématique. Il ne s’agit pas de penser l’hétérosexualité comme une orientation sexuelle parmi d’autres, mais bien comme un régime politique, producteur de normes, de valeurs et d’affects spécifiques, façonnant masculinités et féminités. Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à l’observer. Virgnie Despentes et Angela Davis expliquent très bien que, dans nos sociétés, exister c’est exister virilement. Paul B. Preziado démontre clairement en quoi penser le consentement sans penser préalablement la norme dans laquelle il s’inscrit est au mieux une impasse, au pire une dangereuse illusion. Par ailleurs, nous ne voyons pas comment il serait possible de penser les violences sexuelles en s’extrayant du réel, en ne nommant pas précisément quelles sont les pratiques engendrées pas le régime politique hétérosexuel, comment elles se diffusent et s’imposent comme des normes. L’euphémisation pour ne pas blesser conduit bien trop vite, soit à ne pas nommer les choses, soit à les labelliser sous le vague fourre-tout des "agressions" qui désincarne plus qu’il ne précise, qui affaiblit plus qu’il ne permet d’agir. Nous pensons au contraire que c’est dans la précision du langage, dans le fait de décrire précisément les actes plus que les personnes, que s’opère la juste description permettant d’avoir une prise sur le réel.

Enfin, il est écrit dans cette "réponse critique" que lorsque nous affirmons la nécessité d’élaborer une nouvelle éducation sentimentale, nous nous extrayons "sans problème de ce système, en vivant des expériences qui échappent à toute oppression ". Nous n’avons jamais écrit ni même sous-entendu cela. Cet appel se situe après la citation d’une femme qui considère qu’il y a un rapport de cause à effet entre une vision du sexy où l’homme est le seul à exercer un pouvoir, et les viols. La dernière phrase du texte appelle simplement, en opposition à ces représentations, à "imaginer les diverses possibilités et situations désirables, pour certaines déjà vécues". Nous n’avons jamais considéré que l’on pouvait "sortir du jour au lendemain des problèmes de consentement et d’agression.". Pour autant, comme lorsque nous écrivons sur d’autres sujets, nous ne nous bornons pas à faire la liste des oppressions et des discriminations, mais nous tentons d’abord d’analyser ce qu’il se passe dans des interactions, le cadre qui les façonne, les manières dont le pouvoir circule, ensuite de réfléchir aux formes de la lutte, et enfin de penser ce que l’on peut porter et imaginer ici et maintenant.

La question du désaccord à propos de la possibilité de créer des rapports qui soient une base pour l’émancipation avant que la révolution n’advienne a polarisé l’histoire des luttes depuis au moins un siècle et demi. Nous pouvons mentionner, il y a plus d’un siècle, la critique des "socialistes utopiques" par Marx et Engels, mais aussi les débats sur le rôle des syndicats, entre ceux qui pensaient qu’ils étaient les prémisses de la société future, et ceux qui ne les voyaient que comme un outil pour mener la lutte de classe, ou enfin, plus récemment, les discours de marxistes orthodoxes ne comprenant pas la priorité donnée par des camarades au fait de défendre la Zad. Nous considérons quant à nous que les luttes seront moins faibles quand les personnes qui y participent ne s’interdiront pas de s’exprimer à propos de ce à quoi elles aspirent. C’est ce que nous affirmons en citant Deleuze, à propos du fait qu’un désir, une aspiration, renvoie à un agencement ; le désir est autant produit par le contexte qu’il peut, parfois, quand il est désir d’autre chose, être une force pour penser l’émancipation. Cela ne signifie évidemment pas que tenter de développer des imaginaires et des relations en opposition à l’ordre existant est simple, ni que, comme cela est trop souvent sous-entendu dans des milieux militants dits "radicaux", nous serions dès maintenant à égalité entre-nous, et au delà des clivages de classe, de race et de genre. Il nous paraît cependant important de baser notre critique des relations existantes et du monde qui les fait advenir sur une aspiration à autre chose. Nous comprenons que cela ne soit pas le choix de tout le monde, mais cela ne justifie pas de spéculer sur nos intentions, ni de nous qualifier de masculinistes après avoir lu notre texte de travers.

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