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De retour d’Ende Gelände

Hambach
Anti-capitalisme & Multinationale Ecologies - Aménagement du territoire

Parti·es avec un petit groupe de boulanger·ères de l’Internationale Boulangère Mobile, nous avons participé au camp action climat d’Ende Gelände 2018, à Durën, du 25 au 28 octobre.

Un pain dans la mine de Charbon

Un défi : Confectionner du pain pour 5 000 personnes pendant 3 jours
Une méthode : Mettre des pâtons dans les roues de RWE  [1] !

Nous sommes venu·es de l’ouest (France), de l’est (Roumanie/Allemagne), du nord (Islande) et du sud (Suisse), afin de se retrouver à une petite vingtaine de boulangèr·es et confectionner du pain en grande quantité pour nourrir le camp climat Ende Gelände.

A notre arrivée, nous découvrons que le camp le plus proche de la mine (Hambi Camp, pouvant accueillir 1 000 personnes) a tenté de s’étendre sur des terrains de sport de la ville à moitié fantôme pour accueillir les 5 000 activistes. Alors que l’installation du fournil est presque fini, la "polizei" en décide autrement pour l’avenir de ces terrains. Après une demie-journée de face à face timide, les flics évacuent cette extension de camp avant d’utiliser des bulldozers pour retourner les terrains de sport et les rendre impraticables.

Repli stratégique (ou plutôt forcé) : un camp légal à 20km de là, plus loin de la mine, chez des agriculteur-ices. On y installe donc notre grand fournil avec ces 3 fours, notre banderole de l’Internationale Boulangère Mobile (IBM) est accroché au pylone électrique, les 2 700 kilos de farine nous servent de paravent, et la 1re fournée est lancée à minuit. C’est parti pour 3 jours et nuits de boulange non-stop.

La boulange infinie ? C’est la technique d’optimisation extrême que nous avons utilisé pour maximiser notre production de pain.
En résumé, tout s’enchaîne : Après avoir enfournée 90kg de pâte à pain crue, on façonne les 90kg suivants, puis on râbat les 90 encore suivants, et on finit en pétrissant une nouvelle fournée. Et ainsi de suite : enfournement, façonnage, râbat, pétrissage, jusqu’à ce que le pain s’ensuive.

Cette 1re exprimentation de boulange à autant nous a aussi servi de formation express à beaucoup d’entre nous. Ok, jésus multiplie les pains ? Nous, on multiplie aussi les boulanger·es !

Nous avons aussi été suivi par Radio Farine qui nous a fait la lecture du livre "Comment la Non-violence protège l’Etat" de Peter Gelderloss, fort approprié pour ce camp.

Les pains étaient uniquement vendus aux cantines qui s’occupaient de leur consommation. Avec les bénéfices engendrés, nous avons décidé de soutenir quelques collectifs en galère de l’IBM, de payer les usures du week-end, refourguer un peu de sous pour les prochaines rencontres de l’IBM et nous, le collectif de Rennes La Pâte Mobile, sommes reparti avec de l’argent pour soutenir des personnes ayant des frais de justice.

Histoire de la mine de charbon de Hambach

La mine de Hambach est une mine à ciel ouvert de lignite, située en Allemagne. Elle est connue pour être la première source de gaz à effet de serre d’Europe [2]. Elle menace directement une forêt voisine, défendue par une multitude d’écologistes allemand·es.

Située entre Aix-la-Chapelle et Cologne, en Rhénanie du Nord-Westphalie, la mine fonctionne depuis 1978. Fin 2017, elle s’étendait sur 43,8 km² et devrait, à terme, atteindre 85 km². C’est la mine à ciel ouvert la plus profonde par rapport au niveau de la mer : le fond de la fosse se situe à 293 mètres en dessous du niveau de la mer. La progression de la mine a absorbé une grande partie de la forêt de Hambach dont plusieurs villages qui avaient été érigés sur le gisement de lignite. De nouveaux villages ont été érigés, à l’identique pour la plupart (jusqu’au déplacement des cimitières), à proximité pour y reloger les habitant·es.

Elle est exploitée par RWE Power, une filiale de RWE. Le site internet de RWE précise qu’environ 1300 salariés travaillent pour cette mine, et qu’on y trouve les plus grandes excavatrices au monde : celles-ci mesurent 220 mètres de long pour 96 mètres de hauteur. Chacune d’entre elles est capable d’extraire 240 000 tonnes de terre ou de lignite chaque jour. La mine de Hambach extrait ainsi environ 40 millions de tonnes de lignite chaque année [3]. Cela en fait la première source de gaz à effet de serre d’Europe, ce qui pour ses opposant·es en fait donc un lieu concret pour lutter contre le réchauffement climatique.

Occupation de la forêt

Aujourd’hui, RWE veut étendre la plus grande mine d’Europe à ciel ouvert d’extraction de lignite en bordure de la forêt. Propriétaire de Hambach depuis une quarantaine d’années, la société en a déjà consommé plus de 90 %. Elle a assuré devoir défricher dès le mois d’octobre 2018, 100 hectares supplémentaires sur les 200 restants afin de sécuriser la production d’électricité pour la région.
Plusieurs centaines de policiers ont été mobilisées par le Land pour évacuer des militant·es écologistes installés dans une soixantaine de cabanes dans la cime d’arbres de cette forêt millénaire. Alors que le Handelsblatt titrait : « RWE se bat pour le charbon au prix d’une image désastreuse », une commission ad hoc a été chargée par la chancelière Angela Merkel de préciser d’ici à la fin de 2018 les modalités, le financement et le calendrier de la fin de l’exploitation du charbon par l’Allemagne [4].

Dès 1977, il s’est formé le Hambach-Gruppe (« groupe de Hambach ») pour protester contre l’expropriation et la destruction de villages entiers pour permettre l’agrandissement de la mine [5]. Des groupes locaux, des organisations environnementales ainsi que des associations religieuses ou de simples militant·es se sont progressivement dressés contre la déforestation au fur et à mesure que la forêt de Hambach se réduisait.

À partir de mi-avril 2012, des militant·es ont commencé·es à camper dans la forêt et à organiser des occupation d’arbres. Le but est d’empêcher la destruction de la forêt, conséquence de l’extension programmée de la mine. C’est aussi une manière de médiatiser les conséquences écologiques de cette mine, première source de gaz à effet de serre de toute l’Europe selon l’ONG 350.org [6].

Décision juridique contre la déforestation

La cour régionale administrative (Oberverwaltungsgericht) de Münster s’est prononcée le 5 octobre contre la poursuite du défrichage de la forêt par l’énergéticien RWE tant que le recours déposé par Les Amis de la Terre Allemagne (BUND) n’aura pas été jugé [7]. Le BUND avait argué que la forêt comportait des espèces protégées par la directive européenne sur la protection de la faune et la flore. D’après RWE, cette décision retarde la possibilité d’effectuer une coupe jusqu’à la toute fin 2020 au mieux [8], et représenterait un manque à gagner estimé à plus de 100 millions d’euros pour l’année 2019 [9]. Le jour de la décision de justice le cours de bourse de RWE dégringole de 8,5% [10].

Le magazine Der Spiegel a rapporté que la production de la mine de Hambach devrait diminuer de 10 à 15 millions de tonnes de lignites par an, ce qui par rapport aux 40 millions de tonnes actuels représente une baisse de production de plus de 25 pourcents par an.

Mort d’un blogueur militant

Le mercredi 19 septembre 2018, lors d’une opération d’évacuation de la "ZAD allemande" par la police, un blogueur militant, Steffen, fait une chute mortelle [11]. Suite à cette mort, le gouvernement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a annoncé la suspension de l’opération de police [12], qui avait déjà détruit 39 des 51 cabanes [13]. Le lendemain, l’ONG Campact organisait une minute de silence devant le parlement de Rhénanie-du-Nord-Westphalie avant de remettre une pétition signée par plus de 500 000 personnes demandant l’arrêt de l’évacuation et de la destruction de la forêt [14]. L’opération de police a repris le 21 septembre, deux jours après le décès [15]. Ce jour-là, des centaines de manifestant·es se sont interposé·es entre la police et les constructions des opposant·es, empêchant de nouvelles expulsions et destructions de cabanes.

Le dimanche 23 septembre a eu lieu une grande manifestation : malgré la pluie les organisateur·ices comptent 7000 participant·es. Pour la troisième journée consécutive depuis le début des opérations (hors trêve suite à la mort du blogueur), aucune cabane n’est détruite, seulement quelques barricades [16].

C’est dans ce contexte politique que le camp "Ende Gelände" a été organisé cette année.

Ende Gelände

L’arrivée au nouveau camp, dans la ville de Düren, 20 km plus loin s’est fait très facilement, le camp était situé à un ou deux champs d’une des routes principales de la péripherie de la ville. Sur place, très peu de voitures, des allées en rubalises avec des chemins bien droits pour délimiter les différentes zones de camping. Des belles allées de chiottes bleues, un chapiteau, quelque tentes, une cantine à ciel ouvert assez impressionante. Il y avait un peu quelque chose du festival ecolo.

Jeudi plutôt tranquille, pas encore grand chose à faire. Encore gonflées de l’excitation de l’arrivée et de l’idée que l’on se fait de l’organisation de l’action, on ne déplore pas encore le manque d’information sur l’historique de la lutte contre la mine.

Vendredi : entraînement au déplacement en "fingers", la technique est expliquée au groupe, puis l’entrainement à la pratique se fait avec les autres manifestant·es, certain·es dans le rôle des policiers, d’autres dans celui des militant·es écologistes courant pour les éviter. C’est ludique, on blague un peu et si on se fait attraper, ce n’est pas grave. Puis vient la constitution des groupes affinitaires. Chacun·e discute bien de ses limites en terme d’exposition à l’action aux policiers et on assure à tout le monde qu’il ne devrait vraiment pas y avoir de problèmes. Les risques légaux sur de telles actions sont minimes, on nous conseille de ne pas emmener nos papiers d’identité comme il est très difficile de contrôler un si grand nombre.

Samedi matin, au camp, 5000 personnes se lèvent à peu près simultanèment aux alentours de 7h du matin, il fait nuit et on peut voir les ombres des centaines de tentes dans les lumières des frontales, l’énergie présente dans le camp est palpable.
Le départ à pied vers l’action se precise vers 8h30, on sait qu’on va partir, mais on ne sait pas vers où ni de quelle manière. Mais tout le monde est content·e d’y aller avec son sac de paille, son drapeau et sa feuille de chants.

Cependant, il y a un réel manque de transparence dans la stratégie de l’action de masse, c’est compréhensible pour des questions de sécurité mais a posteriori, pas moyen de savoir quel était l’objectif du finger auquel on participait.

6500 participant·es, plus grosse action depuis le début de la mobilisation

La marche de 3h s’est déroulé joyeusement, les riverain·es nous faisaient de grands signes, on était heureuses d’entendre d’occasionels slogans anticapicalistes. C’est après plusieurs heures de marche que le groupe fatigué se fait arrêter par la polizei au niveau du pont enjambant la voie ferrée, les organisteur·ices ont négocié avec la police de rejoindre la manifestation légale, déclarée par les associations. Nous sommes reparti·es mais très vite, nous avons vu les premiers fingers bifurqués soudainement dans un champ afin de rejoindre et couper l’autoroute. Surpris, les flics sont alors partis à leur trousse.
Du haut du pont où nous nous trouvions, c’était vraiment impressionant de voir toute la manif, plusieurs milliers de personnes partir en courant dans un champ. Malheureusement, le temps que nous arrivions à notre tour dans le champ, les flics avaient eu le temps de reprendre leur esprit et de commencer à couper la cortège en deux.

Et c’est là que la technique du "spread out" n’a pas fonctionné, nous avons tou·te·s essayé de monter au même endroit sur l’autoroute, il a été facile de couper notre route pour la polizei. Nous avons alors fait demi-tour, mais trop tard, les flics ont alors coupé notre retraite. Avec l’inertie de groupe, nous n’avons pas réussi à être assez réactif·ve, et nous nous sommes alors fait nasser assez lamentablement.

Des débats ont alors eu lieu quant à la négociation avec la police qui voulait nous faire repartir et nous raccompagner vers le camp.
Une partie de la nasse a voulu répondre aux injonctions de la police, une autre a voulu résisté passivement en s’asseyant face aux lignes de keufs.
Après quelques dizaines de minutes, on apprend que la police refuse de laisser partir le premier groupe de volontaires si celui-ci n’est pas suivi des derniers réfractaires.

Un mouvement s’élance, les mauvais élèves en queue de file alors qu’en tête on lance des grandes ola qui traversent le cortège alors qu’on est tranquillement escorté par la police jusqu’au train qui va nous ramener tranquillement au camp.
Après quelques centaines de mètres, on voit bien que le cortège de queue n’est vraiment pas décidé à bouger, des personnes se rassoient, rebroussent chemin alors que l’avant disparait, probablement vers son train. Il y a quelque mouvements de police, quelques annonces en allemand de leur part mais l’ambiance est relativement tranquille. Ce ralentissement commence à agir hors des limites des concensus inter groupes affinitaires.

Nous décidons finalement de quitter le lieu à notre tour. Une rangée de Polizei court en direction du quai de la gare. L’offre était depassée pour les manifestant·es trop lent·es, ceux-ci sont évacués de la gare. On apprend une heure plus tard qu’il aura fallu très peu de temps à la police pour pousser ces derniers manifestant·es qui commencent à rejoindre la ville de Merzenich afin de prendre des bus pour retourner au camp.

La plénière du samedi soir se déroule comme toutes les autres plénières en anglais ou allemand, peu de traducteurs notamment pour les français·es "débrouillez-vous avec votre voisin·e". Le chapiteau est plein à craquer, le micro s’échange entre les trois personnes présentes sur l’estrade racontant le succès de cette journée. Nous étions 6500, 1500 personnes ont réussi à bloquer les rails de train, les retours des médias sont très positifs, tout cela entrecoupé par de grandes explosions d’applaudissements et de cris de joie des personnes présentes.

Heureuses d’avoir partagé cette action de masse, envie de réutiliser pas mal des outils présentés ici, mais avec un léger arrière-goût de rainbow qui passe mal...

Des boulanger·es de la Pâte Mobile

P.-S.

De très belles photos de la mobilisation à Hambach ici

Notes

[1l’entreprise qui exploite la gigantesque mine de charbon à ciel ouvert

[2350.org (article signé Amélie Canonne et Clémence Dubois, membres de 350.org France), « La France est complice de l’exploitation du charbon allemand à Hambach », sur Reporterre.net, 20 septembre 2018

[3RWE, « Hambach mine site », sur www.group.rwe

[4La forêt de Hambach, symbole de la lutte contre l’extraction de charbon, Les Échos, 14 septembre 2018.

[5Christian Werthschulte, « 40 Jahre Braunkohlewiderstand : „Besetzer sind ein idealer Hingucker“ », sur Die Tageszeitung, 2 mai 2018

[6« La France est complice de l’exploitation du charbon allemand à Hambach », Reporterre, 20 septembre 2018

[7« La justice allemande interdit le déboisement de la forêt de Hambach », sur Reporterre, 5 octobre 2018

[8« RWE Une décision de justice pèsera sur l’Ebitda 2019, le titre chute », sur Les Echos, 5 octobre 2018

[9« RWE La production de Hambach baissera après la décision de justice », sur Les Echos, 9 octobre 2018

[10« RWE Une décision de justice sur une forêt pèsera sur les profits », sur Les Echos, 5 octobre 2018

[11Violette Bonnebas, « Il s’appelait Steffen. À Hambach, un blogueur militant chute mortellement lors de l’opération policière », sur Reporterre, 19 septembre 2018

[12« German police halt forest eviction after journalist dies », sur Associated Press, 19 septembre 2018

[13Katharina Wecker, « Hambacher Forst : Ein Wald in Schockstarre », sur Deutsche Welle, 20 septembre 2018

[14Violette Bonnebas, « Steffen M., mort à Hambach pour « informer les gens de ce qu’il se passe » », sur Reporterre, 21 septembre 2018

[15« Fil d’info depuis 18 septembre – Forêt de Hambach », sur foretdehambach.org

[16« Ticker ab 18. September – Hambacher Forst », sur hambacherforst.org

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