Évacuation en plein confinement
Mercredi 08 avril 2020, on nous a expulsé·es de la ZAD de la Dune à Brétignolles-sur-mer. C’était pas une « vraie » expulsion comme ça a pu être relayé dans certains médias [1], mais une opportunité à saisir pour les opposant·es à la lutte, la municipalité et les services exécutifs et répressifs. Une opportunité à ne pas laisser passer pour récupérer le terrain.
Dans la matinée, une altercation a eu lieu entre une voiture de civils et des habitant·es de la ZAD : un chiot meurt écrasé, le ton monte et les gendarmes arrivent rapidement sur les lieux. Un copaine a été embarqué après avoir été tabassé et tasé plusieurs fois et les voitures sont retirées de la route des chicanes.
Aux alentours de 19h30, on s’est retrouvé·es face à un grand déploiement de forces de l’ordre : enquêteurs, escadrons du PSIG, hélicoptère, drone. Très vite on est nassé·es, puis, prétextant un contrôle d’identité général, emmené·es dans différentes gendarmeries du département, y compris celleux déjà en possession de leurs papiers. Nous sommes conscient·es que « posséder des papiers » est un privilège qui n’est pas donné à tout le monde, ce qui n’empêche pas d’affirmer que nous continuerons de dénoncer tous les contrôles d’identités, abusifs par nature, et ici en particulier. Quel besoin y avait-il d’emmener celleux qui étaient en possession de leurs titres d’identité au moment de cette prétendue vérification effectuée sur la ZAD ? Aucun sinon celui de faciliter son démantèlement, en laissant le champ libre à la milice du maire.
Les personnes interpellées sont relâchées le soir même ou le lendemain, certaines à plus d’une heure en voiture de Brétignolles-sur-mer sans document d’attestation dérogatoire. Chacun·e a entrepris de revenir le plus vite possible à la ZAD pour constater sur place la destruction des lieux, la disparition des camions et celle de nos potes non-humain·es.
« Profitant de notre absence », des « bénévoles » en soutien au projet de port et à Chabot, se sont réunis, ont vandalisé nos affaires, brûlé nos cabanes, traumatisé nos potes non-humain·es, sous l’autorité bienveillante des gendarmes et des services policiers et techniques de la municipalité.
Aucun moyen d’avoir la moindre information fiable des gendarmes, on nous interdit de retourner sur la ZAD, de nous rassembler, parce que « c’est le confinement », on nous amende.
En 48h le verdict tombe : la ZAD est « nettoyée » de ses habitant·es. Plus de cabanes, les bâtiments murés, nos potes chien·nes en fourrière, les camions vandalisés, les affaires personnelles portées disparues. Deux potes passent en comparution immédiate et au placard dans la foulée. Sur 13 poules et canard, 10 sont porté·es disparu·es. On pleure la mort d’une pote chienne écrasée le matin de l’évacuation et celle de Elizadeth, copine sauvée d’un élevage porcin qui n’a pas survécu aux événements.
La milice « citoyenne » et les dérives autoritaires
C’est une véritable milice « citoyenne » appelée par le maire qui a procédé à ce qu’on peut qualifier d’autodafé en brûlant toute trace d’opposition. Ce n’est pas la première fois que des ZAD et autres lieux contestataires sont attaqués par de tels groupes.
À Zap la vague, l’été dernier, des menaces et violences de la part d’habitant·es avaient pu se faire à l’encontre des opposant-es sous l’œil des gendarmes immobiles ! Des faits similaires avaient eu lieu dans le cadre de la lutte contre le barrage du Testet à Sivens de 2013 à 2015, inspirant aux occupant·es la brochure « L’époque est-elle fasciste ? » dans laquelle on peut lire :
« Dans les mouvements sociaux qui fleurissent autour des ZAD où l’on voit des opposants au progrès de la destruction du monde occuper pacifiquement des parcelles de territoire promis à l’aménagement marchand, il n’est pas facile pour un gouvernement de préserver son électorat tout en satisfaisant les affairistes qui tirent profit de ces chantiers de destruction. C’est alors qu’il peut être utile de sous-traiter quelques coups de main à ceux qui savent s’y prendre et n’ont pas besoin de gants ni de discrétion pour agir. »
Plus récemment, la préfecture de Seine-et-Marne a voulu réquisitionner les chasseurs pour aider les forces de l’ordre à faire respecter le confinement [2] puis y a renoncé [3]. Demander à des citoyen·nes de surveiller d’autres citoyen·nes représente une grave dérive autoritaire. On assiste également en ce moment à des vagues de délation, d’expulsions, de harcèlement policier et militaire…
Depuis le début de l’occupation de la ZAD de la Dune à Brétignolles-sur-mer, des menaces de mort et une pression constante sont exercées sur les habitant·es et les commerçant·es qui affichent leur opposition au port et à la municipalité. Loin de toute sanction judiciaire (comme a pu le montrer la destruction de la ZAD et la reprise des travaux préparatoires), les pro-port et le maire jouissent d’une impunité obscène et ne reculent devant rien pour instaurer un climat de terreur au sein de la commune de Brétignolles.
Face à des organisations fascistes aux méthodes mafieuses et à l’inaction d’un État complice, la nécessité de s’organiser et de se défendre s’impose avec violence.
Le confinement comme stratégie anti-contestataire
Évacuer une ZAD alors que le mot d’ordre du gouvernement est « Restez chez vous » semble contradictoire. A première vue seulement car l’intérêt stratégique que cela représente est évident. Les soutiens ne peuvent pas se déplacer. L’aide matérielle, juridique et psychologique est plus compliquée à mettre en place.
D’autres lieux ont aussi été expulsés récemment : 247 demandeur·ses d’asile vivant dans le plus grand squat de Bordeaux, à Bègles, ont été mis·es à la rue le 25 février en pleine trêve hivernale [4]. À Lyon, le mercredi 18 mars au début du confinement, des personnes SDF ont été expulsées d’un squat, sans solution de relogement [5]. Début avril à Marseille, un homme qui occupait un appartement vide depuis deux mois a été délogé, il a pu trouver une solution temporaire d’hébergement grâce à la solidarité des gens, les pouvoirs publics se désintéressant complètement de lui une fois expulsé [6]. Confinement ou pas, nous dénoncerons toujours les expulsions qui représentent une face de la domination d’un système injuste sur des personnes en grandes difficultés !
Aussi, depuis le 8 avril, au moins cinq personnes ont été tuées par la police, d’autres blessées grièvement, toujours dans le cadre de contrôles abusifs en lien avec les mesures de confinement, la plupart des affaires concernant des personnes racisées et/ou des personnes des banlieues [7]. Les personnes sans abri et sans papiers sont aussi particulièrement vulnérables durant cette période où les contrôles sont très intenses [8].
Le confinement représente une aubaine pour les forces de l’ordre laissées en roue libre : moins ou pas de témoins de leurs abus, leur parole aura toujours plus de poids que la nôtre.
En parallèle, le Ministère de l’Intérieur a récemment lancé appels d’offres et commandes à hauteur de 7 millions d’euros pour du matériel de surveillance et de répression de masses (3,6 millions en mars pour les stocks de gaz lacrymogène et 3,5 millions en avril pour des drones) [9].
Dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, le gouvernement et les institutions dépositaires de l’autorité publique appliquent une politique répressive dangereuse et témoignent d’une volonté d’écraser toute forme de contestation.
Rage, solidarité, organisation…
On a la rage parce qu’on a aucune confiance en cet État fasciste qui génère, sans les gérer, des crises sanitaires, écologiques et sociales. La crise du coronavirus est bien due à « la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées qui ont offert aux microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter » [10].
On a la rage, parce que sous couvert d’un état d’urgence sanitaire, des mesures liberticides sont mises en place et leur application arbitraire et autoritaire ne sert qu’à maintenir le pouvoir en place et à détruire les classes dissidentes, à écraser les plus précaires et les plus démuni·es [11].
Alors on appelle à s’organiser et à souder nos réseaux dans la solidarité. À inclure dans nos luttes pour le vivant les luttes contre toute forme de fascisation et d’autoritarisme.
On appelle donc à une solidarité absolue et à la plus grande vigilance. À ne pas oublier les personnes et les groupes les plus ciblés par la politique autoritaire de l’État, les personnes sans paps, les copaines en zonz, et en CRA, les potes non-humain·es, les personnes précaires, les personnes racisées, les travailleureuses du sexe, les groupes dissidents… La liste est longue. Face à un étau qui se resserre et étouffe peu à peu toute flamme de révolte, il nous faut nous organiser, resserrer nos liens, amplifier nos réseaux et leurs capacités, lutter contre les mesures de fichage [12], de surveillance, contre les oppressions systémiques et toutes les violences institutionnelles et gouvernementales.
Le collectif Laisse Béton s’était créé en début d’année pour amplifier la solidarité entre les luttes, entre les ZAD avec une rencontre par mois. Le confinement nous empêche certes de nous retrouver physiquement mais il ne nous empêche pas de nous organiser ! Ce collectif regroupe de nombreuses personnes déterminées à détruire ce monde capitaliste et oppressif. Si se retrouver physiquement est compliqué en ce moment, s’organiser et s’apporter du soutien matériel et affectif est toujours possible.
Nous avons créé une cagnotte en ligne qui a déjà permis de payer les réparations des camions. Elle servira aussi à venir en aide aux copaines en prison et à celleux qui ont perdu toutes leurs affaires, ainsi que pour les frais d’avocats [13].
S’attaquer à la ZAD de la Dune, c’est s’attaquer à tout notre réseau et on ne laissera pas passer ça. D’ailleurs, ce réseau maintient les liens à distance et réfléchit à une sortie concrète du capitalisme après le confinement ! Ce réseau, c’est vous, c’est nous, c’est tout un tas de personnes dégoûtées par ce système qui rédigent des brochures et se fédèrent en ces temps qui cloisonnent nos corps mais pas nos esprits ! On pense à l’après, à combiner Zones A Défendre et Zones d’Autonomie Définitive pour qu’on soit plus fort·es dans les batailles à venir !
Lutter contre les projets d’artificialisation des terres aura d’autant plus de sens que les risques de pandémie augmenteront dus à « la cocotte-minute évolutive » de l’agriculture et de l’urbanisation capitalistes [14]. Préparons-nous à pulvériser le plan de relance économique qui ouvrirait la voie à toujours plus de béton ! On n’est pas seul·es, on est déterminé·es. Nous expulser ne suffira pas. On ne se taira pas. On ne s’arrêtera pas.
Puisque nous refusons la construction de ce port infâme et élitiste [15], ainsi que tous les projets industriels et capitalistes.
Puisque nous refusons le coup d’état pandémique qui suivra la crise du coronavirus.
Puisque le monde qu’ils dessinent est à vomir.
Puisque la voie de la révolte rugit et anéantira toute forme fasciste.
Organisons-nous !
La cendre de votre haine sera le terreau fertile de nos graines.
Comme le printemps, nos rages en germe n’auront de cesse de s’agréger.Le capitalisme se fissure déjà par la force de nos racines !
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