Il y aurait eu au moins 1175 fest-noz et bals trad en Bretagne en 2024 si l’on se base sur les chiffres de Tamm-Kreiz, agenda en ligne incontournable dédié à la pratique [1]. Volontiers présentés comme une tradition vivante et intergénérationnelle, cet article s’attache à dépasser ces banalités pour faire un tour d’horizon des échanges réguliers et féconds entre monde de la musique et de la danse traditionnelle et luttes sociales en Bretagne. ---- On se souviendra de l’été 2024 comme de montagnes russes : records électoraux de l’extrême droite aux européennes, puis campagne législative surprise pour aboutir à une majorité relative de la gauche à l’Assemblée. Au coeur de ce moment politique, deux tribunes circulent dans le milieu des musiques traditionnelles bretonnes : Folk contre le fascisme et Ne vous abandonnez pas aux sirènes de l’extrême droite !, signées respectivement par la Fédération des acteur·rices des musiques & danses traditionnelles (FAMDT) et par un collectif plus informel gravitant autour du Centre breton d’art populaire de Rostrenen.
La première réaffirme un positionnement antifasciste et antiraciste quand « les traditions populaires se font écho les unes aux autres, d’où qu’elles prennent leurs sources » et la seconde motive son appel au vote contre l’extrême droite par ces deux vers : « ‘benn ‘efet da votiñ, choazit mat ho pilled », « quand vous irez voter, choisissez bien votre billet ». Écrit en 1929 et imprimé par la SFIO [2], le texte du nom de Son ar vot (la chanson du vote) appelle à voter aux élections locales de Poulaouenn contre le pasteur Guilly et sa liste « blanche ».
Grand bien leur fasse, car c’est effectivement la liste « rouge » qui gagnera, tandis que leur chanson est encore chantée cent ans plus tard. Plus proche de nous, Youenn Gwerig chantait La gavotte du joint en référence à la grève victorieuse d’ouvrières et d’ouvriers d’Alcatel à Saint-Brieuc en 1972, pour beaucoup des jeunes quittant la pauvreté des zones rurales bretonnes, alors même que la région n’était pas historiquement un bastion ouvrier. Écrite à moitié en français à moitié en breton, elle explique que les bas salaires ont poussé à la mobilisation, avant que le patron, dans sa détresse, n’appelle les CRS « ‘vit gouzout piv a ren » (pour savoir qui menait la grève).
Ces dernières années, ce sont les luttes contre les méga-bassines qui ont fait l’objet de nombreuses chansons. Parmi les plus notables, on citera Et si l’idée coulait de source (Hamon Martin Quintet), Au mois de mai (Tallec/Noguet) et Mille et Cent (Ciac Boom).
Si l’on entend des chants de luttes en fest-noz ou bal trad, c’est aussi que cette pratique a depuis longtemps été investie par les mouvements sociaux comme un outil pour se rencontrer, faire connaître les luttes, lever des fonds, danser ensemble. Partout, des fest-noz sont annoncés contre l’extrême droite, pour la défense du blocage, du breton ou d’écoles en zone rurale. Il existe au sein même de cette scène des initiatives contre le sexisme quand on sait qu’à l’instar d’autres scènes musicales, 30% des affiches répertoriées sur Tamm-Kreiz n’annoncent aucune femme sur scène. Se créent alors des initiatives invitant à dégenrer les danses et à l’affiche 100% féminine.
Le monde des fest-noz et des bals peut intimider, à nous de nous l’approprier localement pour faire vivre les danses de nos pays, car comme disait Emma Goldman : « Si je ne peux pas y danser, je ne veux pas de votre révolution ».
Louison (sympathisant UCL Kreiz Breizh)
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