Pourtant, c’était pas gagné d’avance : on n’avait jamais vu autant de moyens de répression déployés sur un rassemblement contre l’A69. Pour l’État, tolérer l’opposition, ce serait reconnaître qu’il n’a aucune légitimité à construire des gros machins inutiles sans nous demander notre avis. Du coup, il a déployé tous ses nouveaux jouets pour nous empêcher de nous mobiliser : 14 drones, des hélicoptères, 6 blindés centaures, 1500 flics, des camions militaires et des canons à eau. On a aussi eu droit à plein d’arrêtés prefectoraux, dont un contre les bivouacs. Bravo pour le désenclavement : le Tarn était entièrement verrouillé !
Mais cette fois-ci, la machine à criminaliser grinçait un peu. La préfecture et les journalistes ont pourtant travaillé main dans la main pour tordre la réalité. Le préfet a menti dans toute la presse en disant que se rendre au rassemblement était interdit, sans que personne ne vienne le contredire. Sur place et au téléphone, les médias n’avaient qu’une seule obsession : trouver des "violences" à filmer. Mais où sont-elles ? Au match de foot populaire, au ventriglisse ou à l’atelier chorale ? Même les contrôles systématiques ont donné une maigre récolte : quelques réchauds de camping, des boules de pétanque oubliées dans un coffre, une poubelle (???), pas assez pour faire l’actualité. Mais c’était bien assez pour Retailleau, expert en post-vérité option déshumanisation, pour qui des fêtard·es sont des "barbares" et les gens qui protègent leur identité des séditieux·ses d’"ultra-gauche". C’est désormais certain : l’État est l’ennemi du fun.
L’objectif du weekend de la Turboteuf était de prendre soin de nous, et des liens existants ou à construire pour continuer la lutte. Le choix avait donc été fait d’ouvrir le plus possible le déroulé et le fonctionnement. L’assemblée du vendredi a permis de concevoir rapidement, ensemble, un programme complet, et les tableaux de tâches étaient quasiment toujours pleins grâce à la volonté de toutes de s’impliquer dans le fonctionnement du camp. Toutes les personnes sur le camp ont pu librement participer aux balades naturalistes en auto-formation, entonner un chant à la chorale auto-gérée, ou dansé à la fanfare improvisée avant de jouer au foot devant le chateau. En plus des ateliers et actions organisées par les participant·es, des moments de discussion ont donné un nouveau souffle à la lutte contre l’A69 et les projets inutiles.
Parmi les temps forts auto-organisés : un "Carnaval des possibles" pour danser sur la nationale et le chantier. Cette sortie festive pensée la veille lors de l’assemblée était forcément complexe à réaliser : face à un dispositif policier ridiculement surdimensionné et une instrumentalisation médiatique et politique intense quelque soit nos actions, toute stratégie était incertaine. L’essentiel était de réussir à mettre en œuvre une tactique issue d’un processus collectif tout en maintenant la solidarité entre nos différentes sensibilités, ainsi que notre capacité à en débattre. Et la fête et la riposte sont même allées au-delà : le carnaval est la première mobilisation de cette ampleur à mettre le pied sur le chantier ! Aux abords de la forêt, certain·es ont lancé des "No Macadam Tourbillon" pour se mettre en jambes. Accompagnés par les fanfares, d’autres inventaient des jeux pour tenter d’approcher le chantier, comme "1-2-3 Police". À la fin, d’énormes nuages de gaz lacrymo ont fait office de machine à fumée pour les teufeur·ses, qui anticipaient déjà les concerts du soir.
Alors on a fêté et re-fêté jusque tard dans la nuit, entre concerts et rituel d’inflammation de l’A69. Une pelleteuse en carton, puis un "A69" géant ont été brûlés par la foule, au milieu des feux d’artifice et de "No macadam tourbillons".
Dimanche, l’assemblée de clôture nous a permis d’y voir plus clair sur ce qu’on venait de vivre. Tout le monde y était invité·e à dire ce qu’iel avait pensé du weekend et comment on pourrait faire mieux la prochaine fois. Un compte-rendu sera publié bientôt, mais on peut déjà dire que les retours étaient enthousiastes : ça fait du bien de voir qu’on peut organiser d’aussi gros évènements en se reposant sur l’énergie de chacun·e. Le pari du soin a aussi fonctionné : plusieurs personnes ont insisté sur la qualité des dispositifs anti-racistes, anti-VSS, antivalidistes, d’écoute. Il a également été souligné que l’auto-gestion était encore partielle, et que bien que l’existence d’un groupe d’orga qui se connait et qui travaille intensément en amont semble difficilement évitable pour un événement de cette ampleur, il est souhaitable pour tout le monde de donner encore davantage de puissance d’agir aux personnes venant seulement le week-end.
Alors que le démontage est terminé, les autres retours sont très positifs : on repart fatigué.es mais turbo-renforcé.e ! La Turboteuf fera date dans la lutte contre l’A69 mais aussi pour les luttes cousines et à venir parce qu’elle montre à nouveau de manière éclatante la puissance radicale du soin, de la fête et de la riposte, d’autant plus lorsqu’elles naissent de l’auto-organisation. Elle ravive notre détermination à lutter contre l’autoroute et son monde, et resserre les liens entre les différentes composantes du mouvement. Les rumeurs d’un été animé jusqu’au point culminant de l’automne nous parviennent aux oreilles et nous rendent turbo-impatient.es et déterminé.es pour la suite.
Pour soutenir la lutte jusqu’a l’abandon de l’A69, vous pouvez faire un don sur : https://tinyurl.com/turboDON
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