Nous n’aurons que ce que nous saurons prendre.
Le gouvernement a parlé, et nous voilà condamnés à deux ans ferme. Si le projet de loi qui nous menace est adopté, l’âge minimum de départ à la retraite passera de 62 à 64 ans, et l’augmentation de la durée de cotisation, déjà prévue, sera mise en place plus rapidement qu’initialement envisagé.
64 ans, c’est aussi, à la naissance, l’espérance de vie en bonne santé. Chaque année, en France, 15 000 personnes meurent entre 62 et 64 ans. Autant de personnes qui ne connaîtront pas la retraite, autant d’économies envisagées par le gouvernement. La réforme aura aussi pour conséquence de plonger un peu plus dans la pauvreté les personnes qui arrêtent toute activité salariée avant l’âge fatidique. C’est déjà un ouvrier du bâtiment sur deux, un salarié de l’agro-alimentaire sur trois, et une aide à domicile sur cinq, qui ne sont ni en emploi ni en retraite entre 50 et 64 ans. Aujourd’hui, 25 % des retraités (et 40 % des femmes) perçoivent déjà une pension mensuelle inférieure à 1 200 euros. Le montant de leurs revenus risque de baisser, sous les effets conjugués de la réforme des retraites et de celles de l’assurance chômage.
Le déficit dérisoire des caisses de retraite, qui sert de prétexte au gouvernement, s’élève actuellement à 0,1 % du PIB, et il risque d’atteindre 0,8 % en 2050. Son montant : 12 milliards d’euros. À titre de comparaison, les cadeaux octroyés aux entreprises en baisse de cotisation (CICE) se chiffrent à 15 milliards, tout comme l’augmentation annuelle des budgets militaires. En 2021, la fortune des milliardaires (pour la grande majorité, des héritiers, dont le principal mérite est d’être né dans la bonne famille) a, quant à elle, augmenté de 38 milliards d’euros. Cette même année, 259 milliards de la richesse produite par les travailleurs ont été versés aux actionnaires. Comme l’écrivait Bernanos : « Le réalisme est la bonne conscience des salauds. »
La « science économique » qui tient lieu de religion d’état cache mal la visée du gouvernement : mettre le travail encore un peu plus au centre de l’existence, et imposer la précarité à une part importante de la population. La part des richesses allant aux revenus du plus grand nombre baisse, au moment même où le montant des dividendes des actionnaires bat des records. Les salaires augmentent moins que les prix, et les revenus du travail, comme l’accès aux services publics, ne sont plus envisagés comme des droits, mais comme des faveurs octroyées par un pouvoir central, au gré d’un chèque énergie ou d’une aide exceptionnelle.
La transformation d’un droit collectif en une faveur accordée par le pouvoir est aussi décelable dans les discours sur les retraites et sur les « carrières longues », comme dans la façon dont est mis en avant le suivi médical des travailleurs qui exercent un métier douloureux. Il y a cinq ans, l’une des premières mesures prises par Macron en arrivant au pouvoir a consisté à supprimer quatre des plus importants critères pris en compte pour établir la pénibilité d’un emploi. Être exposé à des vibrations mécaniques (comme celles d’un marteau-piqueur), travailler dans des postures pénibles, porter des poids excessifs et respirer des produits chimiques ne sont plus considérés comme des critères de pénibilité. Le gouvernement nous le dit, la nouvelle réforme des retraites permettra des départs anticipés à ceux qui arriveront à prouver leurs pathologies auprès d’un médecin. Dans cette individualisation, la pénibilité du travail, le fait de subir la douleur et l’angoisse du risque (imposée aux salariés comme à leur entourage), ne sont plus pris en compte. Il faudra attendre d’être cassé par l’exercice d’un emploi pour cesser de l’exercer.
Si l’exercice d’un travail est parfois à l’origine d’un sentiment de participation, voire de fierté relative à son métier, la plupart des emplois ont moins de sens que jamais. Des libraires passionnés par la littérature vendent des ouvrages de développement personnel, et des passionnés d’Histoire qui ont opté pour l’enseignement par intérêt pour la transmission des connaissance voient leur mission réduite à la surveillance des enfants d’ouvriers dans des classes surchargées. Dans le même temps, des soignants démissionnent, et ils déclarent que les conditions d’accueil des patients dans ce qu’il reste d’hôpital public relèvent de la maltraitance.
Dans l’industrie comme dans les services, les gains de productivité dont on se gargarise ont une origine matérielle, ils se nomment augmentation des cadences et accroissement de la surveillance numérique. Les conséquences de l’exploitation sur les corps sont le principal « coût du travail ». En 1984, 12 % des salariés subissaient trois contraintes physiques, se baisser régulièrement, porter des charges lourdes, rester dans des postures pénibles. Ils sont aujourd’hui plus du tiers. En 1984, 6 % des salariés étaient exposés à des contraintes psychiques fortes, telles que l’obligation de rendre un travail dans l’heure. Ils représentent aujourd’hui près de la moitié des travailleurs, et la souffrance psychique est la cause d’un tiers des arrêts de travail.
Les militants de l’économie ont toujours souhaité augmenter la productivité et intensifier la mise au travail. Ils défendent l’augmentation du temps hebdomadaire passé au sein de l’entreprise, comme le recul de l’âge de départ en retraite. Aussi, pour accroître la place occupée par l’économie dans nos vies, ce qui était hier gratuit est devenu marchandise. Blablacar a remplacé l’auto-stop, une chambre d‘amis est maintenant envisagée comme un manque à gagner, et les conseils donnés aux voisins sont l’occasion de devenir auto-entrepreneur.
Face à ces évolutions, nous devons être à l’offensive et défendre nos existences La lutte contre le projet de réforme des retraites est l’affirmation d’une vie non réductible au travail, la défense des plaisirs de l’existence, des instants passés avec les personnes que l’on aime. C’est aussi la défense de la retraite comme occasion de la transmission de son expérience dans un cadre non-professionnel et dénué d’exploitation, ou d’un engagement associatif. Ou comme l’affirmation du droit à ne rien faire, aussi.
La CGT propose le retour à un âge de départ en retraite à 60 ans, et la réduction du temps de travail à 32 heures hebdomadaires. Évidemment, nous n’aurons que ce que nous saurons prendre. Si la lutte s’en donnait les moyens, nous pourrions dans quelque temps considérer ces mots d’ordre comme autant modérés que nous regardons la revendication des 40 heures hebdomadaires formulée il y a un siècle.
Les dernières manifestations furent massives, mais elles n’ont, pour l’heure, pas permis de faire céder le gouvernement. Cependant, pour la première fois depuis des décennies, une intersyndicale nationale, regroupant la totalité des syndicats, aborde la question du blocage de l’économie. Il aura lieu le 7 mars. Nous appelons chacun(e) à s’y joindre, par la grève et l’action, pour peser dans le rapport de force face au patronat et au gouvernement. Il est urgent de se retrouver entre collègues, amis, voisins, pour discuter des perspectives d’action et faire en sorte que les difficultés face au travail ou à l’augmentation des prix deviennent des enjeux collectifs.
Malgré son importance, la journée du 7 mars ne suffira pas à faire céder le gouvernement. Le lendemain, le 8 mars, aura lieu, comme chaque année, la journée internationale du droit des femmes. Elle fut instituée il y a un siècle pour commémorer une manifestation de femmes en Russie, qui, en 1917, réclamaient du pain et le retour de leurs maris partis au front. Cette journée prend évidemment un sens particulier cette année. Une coalition d’organisations féministes et de syndicats appelle aussi à la grève ce 8 mars 2023.
Macron et ses ministres ont plusieurs fois affirmé que l’égalité entre les hommes et les femmes était « une grande cause nationale ». Le gouvernement et ses complices peuvent, au nom d’un féminisme envisagé sous le seul prisme des comportements individuels, flatter les pulsions sécuritaires, créer de nouvelles infractions, promouvoir l’alourdissement des peines prononcées par la justice pénale, ou mettre en avant la réussite économique de telle femme au sein de la bourgeoisie. Pour autant, la politique du gouvernement est en tout point incompatible avec la lutte collective pour une égalité réelle entre hommes et femmes. Pire, cette politique aggrave les inégalités. La carrière des femmes étant encore plus souvent « incomplète » que celle des hommes, du fait des temps partiels et des périodes d’arrêt liés à la maternité, elles seront les premières pénalisées par le projet de réforme des retraites. Aujourd’hui, les pensions des femmes sont déjà inférieures en moyenne de 40 % à celles des hommes.
Dans plusieurs secteurs, la reconduction de la grève à partir des 7 et 8 mars est à l’ordre du jour pour faire céder le gouvernement, et les organisations lycéennes et étudiantes appellent déjà les jeunes à poursuivre la mobilisation le 9 mars. Il s’agit de penser l’élargissement du mouvement, mais aussi son approfondissement autant que son débordement. Le blocage de l’économie s’impose. Pour gagner, ensemble.
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