En pleine pandémie mondiale, EDF relance la « consultation » du projet Gunaa Sicaru (qui signifie "jolie femme" en langue zapotèque) au sein de la communauté d’Union Hidalgo, située dans l’isthme de Tehuantepec, au Mexique. Il s’agit du quatrième projet de parc éolien industriel de l’entreprise dans la région, qui occuperait plus de 4500 hectares de terres. Les terres en question sont pourtant reconnues comme communales [1], et un jugement du tribunal collégial de Oaxaca a ordonné en septembre dernier la suspension de tout projet sur les terres communales de la région, y compris la convocation, l’organisation et la réalisation de consultation indigène, tant que les autorités agraires n’y sont pas rétablies. [2]
Au mépris de ce jugement et en connivence avec l’entreprise multinationale, le maire d’Union Hidalgo, vient d’annoncer la reprise de la consultation en convoquant une assemblée pour en terminer avec l’étape délibérative du projet le samedi 22 janvier à 10 heures (17h, heure en France) et donc pouvoir commencer les travaux. [3]
Nous dénonçons ce passage en force.
Pour être valide, le vote doit réunir la moitié de la population électrice plus une personne. Si le processus légal était respecté, cela signifierait qu’en pleine pandémie, et alors même que les cas de COVID-19 ont bondi de plus de 200% dernièrement dans la région [4], une entreprise étrangère demande à environ 4500 personnes (la commune compte environ 15000 habitant.e.s, dont environ 9000 électeurs) de se regrouper pour se prononcer sur un projet qu’elle vient imposer sur des terres à usage collectif !
Or, ici comme là-bas, au-delà de l’illégalité de cette consultation –compte tenu des dernières décisions de justice locale et du défaut de compétence du maire pour la convoquer [5] –, nous savons que ces consultations ne sont en réalité que de gigantesques mascarades, visant à légitimer la présence de l’entreprise et créer l’illusion d’une acceptabilité sociale de son projet, en détournant des processus légaux à son avantage.
C’est ce dont plusieurs membres du collectif ont pu être témoin, après avoir assisté à la deuxième étape de la consultation du projet en mars 2020. L’entreprise avait, comme aujourd’hui, placardé la des affiches dans la commune, appelant à une assemblée pour valider la suite du processus de consultation qui se déroule en trois étapes. Des habitant.es nous avaient alors prévenu que tout cela n’était « que du cinéma, que l’assemblée n’aurait pas lieu, car il faut réunir plus de 4000 personnes, et que pour plusieurs raisons c’est impossible et qu’EDF le sait très bien ». Le jour J, comme prévu, malgré la venue du représentant d’EDF dans la région, du syndicat d’énergie du Mexique, des représentants de différentes organisations des droits humains, le maire (tous des hommes assis à la même table), l’assemblée est déclarée nulle : on y compte une centaine de personnes tout au plus. Arrive alors le tour de passe-passe... EDF reconvoque une assemblée, extra-ordinaire, 15 jours plus tard : cette fois-ci, il n’est plus nécessaire que la moitié des électeurs et électrices plus une personne vote pour que celui-ci soit valide. On enregistre les personnes qui viennent et la majorité l’emporte ! Pratique.
« Vous allez voir, au moment du vote, tout le monde va lever la main, l’entreprise les a achetés ».
Quinze jours plus tard, plus de 400 personnes sont présentes, et nous notons un véritable changement d’atmosphère. La fois précédente, nous étions sous une grande bâche fouettée par le vent. Cette fois-ci, c’est un véritable barnum en dur, de plusieurs centaines de mètres carrés, des grillages et la police tout autour. « Vous nous croyez maintenant, ils savaient que ça allait se passer comme ça ». EDF fournit des plateaux repas et distribue sans cesse des bouteilles d’eau....Nestlé ! Pendant plusieurs
heures dignes d’une pièce de théâtre, les intervenants « expliquent » les bienfaits du projet. Seul.es quelques habitant.es opposé.es ont le courage de prendre la parole malgré les menaces qu’elles subissent. Vient le moment du vote, et là, à la demande du maire, la quasi-totalité des mains se lèvent en même temps. Vision d’horreur. Vision de ces entreprises qui usent des lois qu’elles détournent pour assurer le bon déroulé de la mise en exploitation de la nature.
Nous savons qu’il n’y a pas de véritable consultation des peuples. Nous savons que ces dernières ne sont que parties intégrantes des mégaprojets industriels. Nous savons qu’il est illusoire d’appeler au respect du droit international dans ce contexte. Lorsqu’on se concentre sur le droit à la « consultation » ou le recours en justice basé sur la loi sur le devoir de vigilance des multinationales françaises, il manque au tableau le fond du problème : la question du colonialisme énergétique global auquel prend part EDF, et celle de la privatisation que l’entreprise contribue à accélérer en prétendant installer son projet sur des terres communales.
Alors que l’entreprise et les politiques qui lui sont favorables brandissent l’argument du développement et de l’écologie, de la transition énergétique et autres bonnes intentions, les peuples demandent : énergie pour quoi et pour qui ? Car quelle est la réalité de terrain ? Une multinationale leader sur le marché mondial de l’énergie, qui fait son commerce autant avec du nucléaire qu’avec ce qu’elle appelle du « renouvelable », qui souhaite s’accaparer de nouveaux territoires pour accroître ses profits. L’électricité que produit EDF avec ses trois parcs éoliens déjà existants dans l’isthme ne bénéficie pas aux populations et est notamment distribuée à d’autres multinationales comme le géant des chaînes industrielles de supermarché Walmart [6]. Une multinationale qui vient piller les ressources de communautés et démanteler ses formes de vie et d’organisation politiques traditionnelles - assembléistes [7] , non capitalistes, et qui ont depuis tout temps su prendre soin de leur environnement-, en osant expliquer à ces dernières que c’est pour leur bien, pour « sauver la planète » et qu’il faut participer « à l’effort collectif » contre le changement climatique, alors même que ces communautés sont celles qui y ont le moins contribué. Le cynisme d’un système à son paroxysme.
Nous dénonçons les procédés de l’entreprise EDF au Mexique et demandons l’abandon total du projet Gunaa Sicaru.
Nous appelons les différentes personnes, collectifs, associations, journalistes, étudiant.es, syndicats que nous avons rencontrés en septembre dernier lors de la tournée en France « des luttes dignes contre le colonialisme énergétique » accompagnée de trois camarades de la région, à faire preuve de solidarité en diffusant ce communiqué, en dénonçant les agissements d’EDF, et en envoyant des messages de soutien aux habitant.es de l’isthme de Tehuantepec sous la forme qui leur conviendra. Vous pouvez
nous écrire, et nous leur transmettrons !
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