Pourriez-vous vous présenter s’il vous plait ?
L. : Je m’appelle Lucile, étudiante en sociologie et en sciences politiques à Lyon II, en L3. Je suis aussi syndicaliste à Solidaires étudiant-e-s Lyon.
F. : Je m’appelle Fabienne Portanguen. Je suis professeur en lycée, j’enseigne l’histoire-géographie dans un assez grand lycée de Rennes. Ça fait quinze ans que j’enseigne et je me suis syndiquée assez récemment. Cela doit faire deux-trois ans. Je suis syndiquée par conviction à Sud Education.
Que pensez-vous des liens que peuvent entretenir aujourd’hui les syndicats avec les mouvements féministes et notamment au niveau local ? Est-ce qu’ils en sont proches ou pas du tout ? Est-ce qu’ils agissent ensemble ?
L. : Localement à Lyon, les syndicats, en tout cas la CGT, Solidaires et la CNT sont présents sur les évènements féministes et de manière générale la plupart des évènements féministes sont organisés par le collectif Droit des Femmes qui regroupent on va dire à peu près toutes les organisations féministes et toutes les organisations du mouvement social. Du coup, on fait tous et toutes partie de l’orga.
Je dirais que les liens sont plutôt bons et que les syndicats font partie du mouvement féministe, en tout cas pour les syndicats de lutte tels que la CGT et Solidaires. Pour les autres, c’est un peu moins ça, mais ils doivent moins s’y intéresser j’imagine.
F. : Sur les relations qu’entretiennent les syndicats en général avec les mouvements féministes, c’est compliqué de répondre, parce qu’en fait, je n’ai jamais été dans des organisations spécifiquement féministes, qui ne traitent que de ces questions là, et je n’ai milité que dans un seul syndicat, à savoir Sud Education. Donc je peux parler uniquement de ce que je connais.
Mais quand même, ce que je vois, depuis ces deux trois dernières années, c’est qu’il y a un regain important de mouvements féministes et que les syndicats suivent. Cela dit, les syndicats sont aussi anciens sur la lutte pour les droits des femmes et militent au jour le jour sur ces questions là sur les différents lieux de travail, en tout cas pour ceux que je connais.
Mais la différence que je peux voir entre un syndicat et les mouvements spécifiquement féministes, c’est que les syndicats travaillent vraiment sur le long terme et sont là depuis très longtemps là où, les mouvements féministes, même si je ne suis pas une vieille féministe, ce que je peux voir, c’est qu’il y a eu différents mouvements féministes, différents regains du mouvement féministe et parfois on va avoir une mobilisation très très forte pendant quelques années derrière par exemple un groupe. Je me souviens par exemple de l’époque où on parlait beaucoup d’Osez le féminisme, des Chiennes de garde, puis c’est retombé un petit peu.
Et puis là maintenant, c’est avec surtout le mouvement Nous Toutes et les autres, apparu suite aux mobilisations qu’il y a pu y avoir contre les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes et les mouvements qui ont aussi pu se développer en dehors de la France, en Amérique latine, dans les pays hispanophones, qui ont pu rebooster le mouvement féministe français.
Je ne sais pas qui pousse l’autre. C’est vrai que sur les mobilisations à Rennes, ce sont des associations du mouvement féministe, tels que le mouvement Nous Toutes qui ont un rôle vraiment moteur des mobilisations et ça c’est vrai que ça a une grande influence sur les jeunes. Ce qui est plutôt positif parce que ça booste les organisations traditionnelles. Mais il faut aussi espérer que ce ne soit pas comme les autres mouvements que l’on a pu connaître auparavant, et qu’il y ait un reflux dans deux trois ans.
Est-ce que le féminisme a sa place dans les syndicats en général ? Et à Sud ?
L. : Oui, évidemment qu’il a sa place dans nos syndicats ! Après, nos syndicats sont à l’image de la société et ils ne sont pas tous composés de supers militant-e-s super formé-e-s à 100 % sur ces sujets, il y a aussi des gens moins formés, et les mêmes problématiques qui se retrouvent dans la société peuvent se retrouver dans nos syndicats. Mais contrairement à dans la société, on essaye de mettre en place des choses pour améliorer la situation. En tout cas, dans le syndicat de Lyon, on est très au fait de ces questions.
F. : Ah bah oui, oui ça a sa place ! Parce qu’on peut dire que les femmes font partie des salarié-e-s qui sont parmi les plus précarisées, les plus en proie à être victimes parfois de la hiérarchie, des collègues, des usager-e-s, etc.
Est-ce que le féminisme a sa place en particulier à Solidaires ? Oui ! Parce que Solidaires est d’abord très fortement présent dans la fonction publique, et il se trouve que dans beaucoup de secteurs de la fonction publique, on a une très forte féminisation, donc c’est important de traiter de ces questions là parce que c’est elles qui ont besoin et qui font partie des « travai... », des salariées, j’allais dire des « travailleurs ». (rires), des salariées qui ont probablement le plus besoin des syndicats.
Quelle place a le féminisme au sein du syndicalisme de Solidaires ?
L. : Déjà de manière théorique, on est pour l’émancipation en général, ce qui implique évidemment l’émancipation de la classe sociale, de s’émanciper du capitalisme. Mais ça implique aussi de s’émanciper du patriarcat et du racisme. Ça fait donc partie de nos valeurs et des combats sur lesquels il est important d’en être.
Sur un aspect pratique, déjà un certain nombre de camarades sont aussi des militantes féministes, donc on essaye forcément de faire en sorte que ces problématiques soient portées par le syndicat. Aussi, les problématiques féministes font partie des problématiques que l’on a à traiter : il y a des personnes qui ont été victimes de sexisme, d’agressions sexuelles, etc qui viennent nous demander de l’aide. Donc ça fait partie des sujets sur lesquels, par la force des choses, on serait dans tous les cas obligé-e-s de se positionner.
Quelles sont les problématiques les plus courantes que vous rencontrez sur vos lieux d’études et vos lieux de travail ?
L. : Il y a différents niveaux. Il y a le sexisme ambiant qu’il peut y avoir dans certains secteurs du milieu étudiant, comme par exemple les soirées des BDE ou ce genre de choses. Je ne dis pas qu’on ne peut pas faire de soirées BDE non-sexistes mais ce sont souvent des endroits où il y a des ambiances sexistes et éventuellement des activités sexistes, voire des agressions ou des viols, donc ce sont des choses qui sont importantes dans le sexisme à l’université.
Il va aussi y avoir le sexisme de la part de profs, ce qui est le niveau où il est plus difficile d’avoir des réactions vu qu’en tant qu’étudiantes face aux profs, on a pas de poids. Quand c’est des problématiques de remarques sexistes en cours, on peut lui dire d’arrêter mais il peut en avoir rien à foutre et il ne sera jamais inquiété.
Dans les cas où il y a du harcèlement sexuel et des agressions, à Lyon II, on avait été en avance, vu que c’est l’une des premières facs qui avaient fait condamné en section disciplinaire un prof qui avait fait du harcèlement sexuel envers une doctorante dont il dirigeait la thèse. Situation classique quoi. Il avait fait appel. Ça avait été remonté jusqu’au CNESER et au CNESER il avait été acquitté. Donc voilà l’état de choses. Un de nos chantiers, c’est de mettre la pression pour faire en sorte que de réels moyens soient mis en œuvre et que ce ne soit pas juste cosmétique.
F. : Les problématiques les plus courantes, ça va être des conseils juridiques de base, sur les barèmes, sur les promotions, sur les difficultés avec la hiérarchie, chefs d’établissement, avec les inspecteurs, etc. On peut ensuite avoir des questions spécifiques sur les femmes parce que justement il y a des différences entre hommes et femmes en ce qui concerne les promotions et les barèmes, en ce qui concerne les salaires aussi. Et donc ça, on essaye de défendre les femmes au niveau des instances du rectorat.
Et ce qu’on voit c’est qu’il y a des différences entre hommes et femmes : pour des personnes qui ont commencé à peu près dans les mêmes années, on a des différences assez notables dans les échelons par exemple, parce que la progression n’est pas la même, en raison des grossesses, des congés parentaux qui ont été pris, etc. Ça a des conséquences et on essaye d’intervenir à chaque fois pour qu’il y ait des corrections.
Quels sont les modes d’action privilégiés que vous avez dans le syndicat pour lutter contre le sexisme ? Et est-ce que et comment le syndicalisme vous semble être un outil pertinent pour traiter de ces problématiques ?
L. : Je n’irais pas à me risquer de parler du syndicalisme en général, mais en ce qui concerne les étudiant-e-s et le syndicalisme étudiant, on peut déjà remarquer qu’on est un certain nombre de femmes à être très impliquée dans le syndicat et pour un certain nombre d’entre nous, c’est un espace dans lequel on a pu s’émanciper un peu, en étant un espace où on se retrouve, où l’on a des espaces de non-mixité pour parler de ce genre de choses, de la solidarité féministe entre nous. J’ai pu voir de nombreuses camarades arrivées en osant pas prendre la parole, en étant très timide, en osant pas s’affirmer et qui, au travers du syndicalisme, ont pu s’affirmer, prendre la parole beaucoup plus facilement. Vu qu’on est beaucoup de meufs, on s’entraide aussi beaucoup pour accompagner les nouvelles, plus timides ou non, et c’est que j’ai quelque chose que j’apprécie vraiment dans mon syndicat, c’est qu’il y a entre les meufs du syndicat une certaine solidarité et on se pousse en avant mutuellement. Et rien que ça, c’est déjà pas mal, parce qu’entre femmes, on n’a pas forcément l’occasion de gagner en confiance et en pouvoir d’agir.
Ne serait-ce aussi que pour le sexisme à la fac, les gens peuvent s’adresser à nous, ça fait quelqu’un à qui parler, on peut en parler entre meufs et voir qu’elles ne sont pas les seules à vivre cela, que ce ne sont pas elles le problème, qu’elles n’exagèrent pas. Des gens qui te croient et qui peuvent t’aider. C’est ça qui est important au final, l’élément commun : ne pas rester seules et pouvoir s’organiser entre nous !
F. : On fait pas mal de sensibilisations. La fédération Sud Éducation diffuse pas mal d’informations à ses adhérent-e-s pour qu’il y ait une prise de conscience de la différence salariale. Il y a aussi des brochures de sensibilisation et d’information sur les questions de genre, tout ce qui va concerner l’homosexualité, la transidentité, ça fait partie aussi des préoccupations du syndicat Sud Éducation, pour qu’il y ait une sensibilisation vis à vis des discriminations spécifiques dont sont victimes les personnes LGBTIQ+.
A la fois pour les personnels mais aussi pour les élèves, parce qu’on travaille quand même avec des jeunes, premier degré, second degré, et on a un rôle dans l’éducation qu’on assume pleinement au sein de notre syndicat. Et c’est vrai qu’on veut en faire en sorte que l’école soit un moyen d’émancipation pour ces jeunes.
Sur les actions, il y a aussi des formations syndicales. Au niveau de Solidaires 35, on a une commission : la commission Femmes avec laquelle on est en train de monter une formation sur les VSST (Violences Sexistes et Sexuelles au Travail). On participe aussi chaque année à la grève du 8 mars. On fait aussi d’autres actions : on défend les salariées victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail, par exemple.
D’après toi est-ce que le féminisme est assez pris en compte dans les syndicats et dans l’action syndicale en général ?
L. : Je dirais qu’il n’est jamais assez pris en compte ! Mais il l’est de plus en plus, et ça c’est bien, c’est plutôt positif. Et notamment, ces dernières années, j’ai vraiment l’impression qu’il y a des choses qui ont bougées. Sur les viols et les agressions, il y a des positions claires qui ont été prises quand-même. Et c’est pas mal.
Mais évidemment, on n’est pas extérieur à la société, donc ça peut mener au fait que ce soit pas assez pris en compte en interne mais aussi éventuellement que de l’extérieur, ces problématiques ne soient pas assez prises en compte dans l’action. Mais cela va beaucoup dépendre des situations, des syndicats, de leur composition, d’à quel point les gens du syndicat sont réceptifs et formés sur cette question. Jamais assez pris en compte, mais de plus en plus, et c’est sur le bon chemin !
F. : C’est pris en compte dans les syndicats. Mais c’est vrai que lorsqu’on est une syndiquée, une femme syndiquée, on aimerait que ça le soit davantage. Parce que quand-même, la grève du 8 mars, la grève pour les droits des femmes, n’est pas forcément la grève la plus massive que l’on connaisse. Et c’est assez paradoxal parce que c’est une préoccupation, mais c’est assez difficile de faire en sorte que les salarié-e-s soient effectivement en grève le 8 mars, et ce n’est pas quelque chose de simple à mener. C’est pour ça que c’est important de travailler avec les mouvements féministes, parce que ces mouvements nous montrent qu’on peut mobiliser plus efficacement. Ce n’est pas qu’ils mettent des gens en grève, mais qu’ils peuvent mobiliser des gens qui n’ont pas besoin d’être en grève, tout simplement. C’est vrai que c’est quelque chose qui préoccupe les syndicats mais dans les faits, on a beaucoup de mal à mettre les salarié-e-s, hommes ou femmes, en grève ce jour-là.
Cela dit, la place des femmes, elle fait partie des préoccupations de mon syndicat. C’est-à-dire que lorsqu’on fait des assemblées générales, on fait un décompte : combien d’hommes présents, combien de femmes présentes, de décompter la prise de parole, de façon à ce que ce soit mis dans le compte-rendu et de permettre aux militants et militantes de se rendre compte qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour l’égalité entre hommes et femmes dans nos syndicats aussi.
Au moment où se déroule l’entretien, on est la veille du 8 mars, comment est-ce que votre syndicat conçoit cette journée ? Quelle est la signification pour vous ? Et comment vous l’avez préparé en général ?
L. : Comme je le disais, il y a un collectif inter-orga très large à Lyon, le collectif Droits des femmes, dont Solidaires étudiant-e-s est membre. Il y a des camarades qui faisaient partie du service d’ordre lors de la manifestation du 7 [manifestation féministe locale]. C’est principalement par ce collectif qu’on s’implique sur ce genre d’évènements, pas sur la fac et pas spécifiquement étudiant. Le 8 mars c’est principalement un moyen pour visibiliser les problématiques féministes et antipatriarcales. C’est l’occasion de publiciser ces questions encore plus que d’habitude et de faire une démonstration de force féministe en mettant plein de gens dans la rue, en montrant que l’on peut être nombreuses.
De manière générale, on parle tout le temps des questions féministes, donc même lorsque ce n’est pas le 8 mars, on en parle. Là par exemple, ces derniers temps, il y a une vague de dénonciations de viols dans l’enseignement supérieur. On a une section de Solidaires étudiant-e-s Lyon à l’IEP et là justement il y avait tout un tas de trucs sur les IEP, donc les camarades étaient actives sur ces questions même avant le 8 mars.
C’est l’occasion de marquer le coup, de montrer qu’on est là !
L. : Voilà !
Au cours de cet entretien, nous avons pu montré l’importance du féminisme à Solidaires et dans sa globalité ainsi que l’importance que peut avoir le syndicalisme dans les luttes antipatriarcales. En formant, sensibilisant et permettant l’organisation collective par la grève notamment, nous luttons quotidiennement contre le patriarcat, sous toutes ces formes, sur nos lieux d’étude, de travail et dans la rue.
N’hésitez pas à contacter les syndicats qui se trouvent sur vos lieux de travail et d’études ou alors à contacter directement la fédération Solidaires étudiant-e-s ou l’Union Syndicale Solidaires afin de participer à nos luttes !
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