Les prises de vue et le montage lui ont pris 7 ans, fruit d’une longue élaboration qui a fait évoluer le projet. À l’arrivée, un beau document d’une heure et demie où l’on suit, de manière entremêlée, une immersion dans le monde des armes de répression et le parcours de deux militantes.
En effet, Mathieu Rigouste a réussi à s’infiltrer à plusieurs reprises au salon MILIPOL, cet immense salon mondial du maintien de l’ordre qui se tient sous haute protection à Paris. Sous l’égide du Ministère de l’Intérieur français, des dizaines d’entreprises du monde entier viennent y exposer leurs dernières trouvailles en matière de répression, de terreur et de torture, sous l’œil gourmand de milliers de représentants de tous les régimes, avides de nouvelles armes pour mater leurs populations.
Mathieu Rigouste se filme, enfilant un costume et réussissant avec une facilité déconcertante à entrer dans le salon, puis à interroger différents représentants de firmes d’armement dans les couloirs et devant les stands. Ces vendeurs de peur sont trop contents de promouvoir leurs produits et espèrent visiblement une attention médiatique. Ils ne se doutent pas de la personne à qui ils ont affaire.
Parmi les personnes questionnées, on croise la route d’un représentant du GICAT – le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres – méconnu mais puissant lobby de l’armement. Avec d’autres, il se félicite d’un marché « en plein essor ». Et tous confirment avec un cynisme obscène que le fait que leurs armes aient été « testées » en conditions réelles par la police française permet qu’elles se vendent mieux à l’étranger. Elles ont pu faire leurs preuves sur le terrain. Elles ont été « valorisées » sur le corps des minorités, des colonisés et des contestataires donc.
On assiste aussi à une séance d’auto-congratulation d’une représentante de la firme Taser. Ces pistolets à impulsions électriques ont tué un homme l’an dernier à Montreuil. Il avait reçu 10 décharges. Nos corps ne sont pas que des champs de bataille, mais aussi des terrains d’expérimentation.
En parallèle, Mathieu Rigouste suit et échange avec deux camarades et amies : Fatou Dieng et Fahima Laidoudi. La première se bat depuis 2007 contre l’impunité policière. Cette année-là, son frère Lamine Dieng, 25 ans, était mort étouffé par des policiers à Paris. Le combat héroïque des sœurs Dieng a contribué à mettre en lumière les techniques d’étranglement utilisées par la police. Des méthodes qui ont causé de nombreux autres décès depuis la mort de Lamine. La deuxième, Fahima, milite au sein de cantines populaires, pour le droit au logement, et revient sur la manière dont elle a vécu le racisme et la violence d’État dans sa chair.
Les deux femmes sont invitées à réagir, souvent avec une ironie cinglante, aux images captées par l’auteur dans le salon de l’armement. Le tout est accompagné d’images captées sur le terrain et sans sensationnalisme, de petits moments de lutte, de rassemblements et de manifestations.
Car ce film ne se contente pas d’un constat déprimant, mais il apporte aussi de la joie et de l’humanité dans la lutte contre les violences d’État et les injustices en général. Une joie dont nous avons besoin par les temps qui courent.
« Nous sommes des champs de bataille » est à voir, à faire voir et à faire vivre comme support de discussions.
Le film est disponible à prix libre sur le site de Mathieu Rigouste.
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