- Pendant au moins quinze ans, la production d’engrais azotés de la Timac à Saint-Malo est passée sous les radars des autorités.
- Les seuils maximaux autorisés d’émissions d’ammoniac ont été plusieurs fois dépassés par la Timac entre 2017 et 2020.
- La pollution de l’air malouin inquiète associations citoyennes, environnementales et médecins locaux.
Plantée au cœur de Saint-Malo, l’usine Timac trône dans le port de commerce depuis soixante ans. Son quai laisse défiler, sur 500 mètres de long et 250 mètres de large, des hangars aux fenêtres en trompe-l’œil, coiffés de silos et de cheminées. D’épaisses fumées grises rejoignent les nuages, et des milliers de sacs d’engrais, blanc et bleu, colorent cette scène industrielle. À cinq cents mètres seulement à vol d’oiseau, les remparts et la plage dessinent une carte postale familière. Saint-Malo est la première destination touristique de Bretagne, où affluent chaque année un million de personnes. Où transitent, aussi, 416 210 tonnes d’engrais et de produits chimiques. De fait, un fabricant d’engrais, Roullier, assure à lui seul la moitié de l’activité commerciale du port à travers les usines de sa filiale Timac.
Depuis sa création en 1959 par Daniel Roullier, le groupe et sa filiale ont prospéré grâce au broyage du maërl, algue corallifère permettant d’amender les terres agricoles acides. Soixante ans plus tard, le premier employeur de la cité corsaire commercialise 4,6 millions de tonnes d’engrais dans le monde. Près de 340 000 fabriqués à Saint-Malo, dans deux usines du port et une autre en zone industrielle.
Pourtant, depuis 2006, l’usine portuaire, qui frôle parfois, selon ses stocks de matières dangereuses, le classement Seveso, est réglementée pour broyer des matières minérales, mais pas pour fabriquer des fertilisants azotés… qui constituent 45 % de sa production. Par cette incohérence, ses rejets en ammoniac, gaz causant une pollution de l’air via des particules très fines, sont passés sous les radars des autorités durant 15 ans.
La Timac explose les seuils autorisés en rejets d’ammoniac
« Là en ce moment, vous ne vous en rendez pas compte, mais quand on est habitué on la sent tout de suite, cette odeur de patate pourrie. Avec elle, viennent des manifestations irritantes : ça prend les muqueuses, la gorge, le nez, les yeux, comme un phénomène allergique », décrit une riveraine, Pascale Nowicki, en humant l’air depuis une terrasse de la gare, toute proche du port de commerce. Près de la zone industrielle où elle habite, Caroline Ruffault, précise : « L’odeur est telle que parfois, on ne peut pas sortir dans notre jardin. Nos voitures, nos vitres sont recouvertes d’un voile de pollution. » Leurs inquiétudes ne sont pas isolées. Douze habitants et l’association citoyenne Osons ! ont assigné la Timac en référé, en mai 2020, pour « troubles anormaux de voisinage ». Deux mois plus tard, le tribunal de Saint-Malo ouvre une expertise judiciaire visant les activités de l’entreprise. Le rapport est attendu pour novembre 2021.
La décision fait suite à des infractions massives de l’entreprise. Entre 2017 et avril 2020, ses cheminées ont émis des doses d’ammoniac bien supérieures au seuil réglementaire, fixé à 50 mg/m³ par arrêté ministériel. Selon un rapport que nous nous sommes procurés de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) du 28 janvier 2020, des pics sont atteints en 2019, avec seize jours d’infractions en octobre et 24 jours en novembre. Les 26, 30, 31 octobre, et le 1er et le 2 novembre, les concentrations ont atteint plus de douze fois la norme.
Or, dans ce même rapport, on apprend que « lors d’une réunion le 11 décembre 2019, l’exploitant a indiqué avoir conscience du fort potentiel émissif des produits fabriqués. S’agissant d’un produit phare de sa gamme, l’exploitant a tout de même maintenu sa production. »
Quinze ans de production azotée non déclarée
L’engrais azoté, à base de sulfate d’ammoniaque, est ce produit phare. Or, en l’espace de quarante ans, la demande française a augmenté d’un tiers. « Si dans les années 2000, Roullier ne s’était pas mis à l’azote, il n’y aurait plus d’usines à Saint-Malo, explique un ancien cadre de la Timac. Mais il y a eu une mauvaise gestion des procédés de fabrication. »
Lire la suite sur Splann
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info