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Contrairement au contrôle d’identité, à la vérif d’identité, la garde à vue, au procès,… je n’ai trouvé aucune information papier ou internet m’informant sur ce qu’étaient concrètement les TIG (condamnation à des heures de Travail d’Intérêt Général), si je les accepte ou pas, à quoi m’attendre lors de mon rendez-vous SPIP [1] pour en décider. En cherchant les mots-clefs « TIG » sur les principaux mutu [2], on ne trouve que les compte-rendus de procès publiés, sans savoir comment se déroule la suite – et quelques articles sur la dénonciation du processus judiciaire et carcéral, évoquant brièvement les TIG entre autres condamnations pénales. Les informations, peu précises et parfois erronées, passaient surtout en informel. De ce fait, j’ai ressenti le besoin de communiquer mon témoignage sur les TIG, du choix de les accepter à mon procès, au rendez-vous SPIP pour les définir (dates, mission) jusqu’à leur réalisation.
J’espère que ce témoignage pourra donner des billes pour l’acceptation ou le refus des TIG au tribunal, au-delà du fait d’accepter de travailler gratuitement « pour payer sa dette à la société » comme condamnation. Du coup, d’autres témoignages et analyses sur les TIG sont carrément les bienvenues pour compléter et/ou critiquer ce texte.
Au-delà du retour d’expérience individuelle, ce texte lance aussi un appel à réflexion collective sur les TIG pouvant mener à une organisation concrète, en faveur des copaines condamnées ayant accepté les TIG.
Pour commencer, c’est quoi les TIG ?
Pour reprendre Face à la Police, Face à la Justice [3], Le Travail d’Intérêt Général (TIG)
« est un travail (non-rémunéré) qui est censé, selon les parlementaires, « ajouter aux vertus dissuasives de la peine les effets socialisants du travail » : nettoyer des graffitis, jardiner, faire le larbin dans une administration… Les TIG doivent être effectuées dans un délai fixé par le tribunal et qui ne peut dépasser dix-huit mois.
La durée des TIG, fixée par le tribunal, est comprise entre vingt et deux cent quatre-vingt heures. Le type de travail, le lieu et l’emploi du temps des TIG sont décidés par lae JAP (art.R131-23 du CP) au sein d’une association agréée, d’un établissement public ou d’une collectivité. Si lae condamné.e a déjà un emploi, son temps de travail hebdomadaire en comptant les TIG ne peut excéder de douze heures la durée légale du travail (art.R131-25 du CP).
Avant de rendre le jugement, lae juge doit demander à la/au prévenu.e s’iel accepte des TIG. Si lae prévenu.e refuse ou est absent.e à l’audience, iel ne peut être condamné.e à des TIG (art. 131-8 du CP).
C’est une décision à laquelle il est préférable de réfléchir à l’avance. Refuser les TIG ne veut pas forcément dire aller en prison : souvent, mais pas toujours, lae prévenu.e sans antécédents judiciaires qui a refusé les TIG sera condamné.e à du sursis. Cependant, quand on a déjà eu affaire à la police ou à la justice, il peut être préférable de les accepter, même si les TIG équivalent, d’une certaine manière, à reconnaître sa culpabilité. »
Condamnation & choix des TIG
Informations données, enquête de personnalité, et condamnation aux TIG
En fait, après avoir été déferré.e au parquet [4] en sortie de garde-à-vue, et entre un entretien avec l’avocat.e [5] et l’entretien mené (accompagné.e de l’avocat.e) avec lae Juge des Libertés et de la Détention (JLD) pour déterminer si je serais libre ou en taule (détention provisoire) avant ma Comparution Immédiate, j’ai été emmené.e à un.e professionnel.le du SPIP pour déterminer mon type de profil, via l’enquête de personnalité.
Via Face à la police, face à la justice (p.87), on a comme infos qu’
« à la suite du déferrement au parquet après la garde à vue ; la circulaire recommande […] d’effectuer une enquête de personnalité, qui pourra être confiée aux flics, pour déterminer les ressources de la personne, ses charges de famille, etc. : cette requête permet d’évaluer le montant de l’amende ou d’envisager les aménagements de peine que proposera le procureur. »
Alors voilà, après la fatigue de la garde-à-vue et des geôles du tribunal, et après avoir subi tout l’après-midi un chantage selon lequel je passerais sûrement les deux prochaines nuits en taule avant ma comparution immédiate, le réflexe du « Je n’ai rien à déclarer » du comico peut facilement se perdre. Et pourtant, comme son nom l’indique, l’enquête de personnalité va bien plus loin que les éléments d’identité (nom, prénom, date et lieu de naissance) et poursuit le fichage en profondeur : enfance difficile ou pas, nombre de frères et sœurs, leurs âges, âges des parents et professions, études et emplois réalisées, projet professionnel si sans emploi, revenu... Autant de questions qui peuvent se retourner contre toi lors de ton procès (et tes futurs procès !), étayer ta biographie en public au tribunal, réduire les garanties de représentation possibles...
L’enquête tire profit des éléments de personnalité, pour mieux jouer sur la différence de profils entre les individus jugés dans le même contexte. En effet, ces éléments biographiques peuvent catégoriser plus facilement l’ « erreur de parcours » de la bonne personne à remettre dans le droit chemin ou le profil à punir plus sévèrement. De ce fait, l’enquête peut jouer sur la division dans une défense collective.
Pour toutes ces raisons, il est important de refuser de déclarer ces informations lorsqu’elles te sont demandées, même si elles permettent « faussement » de peser sur les conditions de ta détention avant ton procès (liberté, nuit en taule, contrôle judiciaire,..), car les informations lâchées alimentent ton dossier judiciaire et peuvent, à terme, te diriger vers des sanctions « moralisantes » telles que le stage de citoyenneté, les TIG, visant l’inclusion aux bonnes normes de la société (l’emploi,..). Autant laisser le moins d’infos sur toi, ça fait chier la justice.
Autre info à savoir sur l’enquête de personnalité : les éléments « psychologiques » ou liés à la consommation de drogues peuvent également servir à te mettre des obligations de soin, c’est-à-dire des rendez-vous chez un médecin.
La décision sur le fait d’accepter ou non les TIG avant le délibéré de ton procès ne permet pas de savoir si en cas de refus, les TIG seraient remplacées par la relaxe, une amende, du sursis, du ferme – il dépend évidemment du contexte et des chefs d’inculpation. En fait, on peut supposer que les TIG, machine à travail gratuit de la Justice, peuvent être données aux profils sans emploi, afin de les « occuper » et de participer à un processus de non-exclusion de la société. Dans certains cas, on peut supposer que le refus des TIG peut donner lieu à la relaxe, alors que l’acceptation mènerait à une peine de TIG pour « remettre sur la bonne voie ».
Afin de « rentabiliser l’arrestation à tout prix et donner des gages à l’institution policière », il faut que la « violence policière, industrielle soit systématiquement traduite en peines de prison, en amende, en TIG ou autres stages de citoyenneté. » [6] L’industrie de l’arrestation et de la condamnation à laquelle se mêle le couple police-justice mène à un véritable Pôle Emploi des TIG, qui, en parallèle du développement de la surveillance électronique, étend toujours plus la prison dans la société. [7]
Entre la condamnation et la convocation SPIP
Environ 6 mois après ma condamnation au tribunal, j’ai reçu une convocation au SPIP par courrier, à l’adresse donnée au Juge des Libertés et de la Détention (JLD) – dans mon cas, il n’était pas nécessaire de se rendre au BEX (Bureau d’Exécution des Peines), encore moins le plus vite possible, comme il m’avait été demandé lors de mon délibéré.
Avant ce rendez-vous, et par manque d’informations, j’avais peur de me faire avoir par les structures qui profiteraient de ma condamnation, des missions à effectuer, de ne pas avoir de marge de manœuvre dans le choix. Quitte à faire un travail gratuit, je voulais a minima réaliser ces heures dans la structure qui me conviendrait le plus pour que le temps passe rapidement, que l’expérience m’apporte des compétences / connaissances qui soient utiles dans un avenir proche (bricolage, jardinage, media...), bref que je n’ai ni l’impression d’être en train de purger ma peine, ni celle de travailler gratos pour une structure qui profite de ce genre de statut.
Mais en réalité, ayant pris contact avec plusieurs copaines de Toulouse et d’ailleurs (comme j’aurais pu faire facilement mes TIG dans d’autres villes, il suffisait simplement que je fasse un déménagement administratif), il m’a été difficile de savoir quelles asso étaient conventionnées avec le ministère de la Justice pour y réaliser des TIG. Dans quelques villes, des copaines m’ont listé des asso sympas, qui collaient à peu près avec mes envies, que je devais ensuite contacter pour demander si elles étaient conventionnées. Pour certaines c’était non, d’autres ne répondaient pas à mes mails, et deux-trois asso copaines étaient intéressées de se conventionner et me demandaient en retour la procédure, mais je n’ai fait que les diriger vers le SPIP de leur ville – celui-ci ne me délivrant aucune information sur le conventionnement.
Il m’était impossible, aussi, d’obtenir la liste des structures où je pourrais réaliser mes TIG directement auprès du SPIP, avant ma convocation. Pour la justice, je devais garder cette posture passive de condamné.e qui attend sagement son rendez-vous et fait le « choix » de sa structure en deux minutes, le jour de la convoc – bref, ne pas prendre les devants de ce rendez-vous ni me renseigner par anticipation.
Enfin, j’avais contacté la CAJ [8] , la caisse d’autodefense juridique de Toulouse, afin d’avoir des infos sur le rdv SPIP que je pourrais avoir, les structures connues qui me seraient proposées – toujours dans l’optique d’avoir un maximum d’infos en amont pour avoir plus de choix et limiter le poids ressenti de ma condamnation. Mais à nouveau, les informations communiquées par la CAJ n’étaient pas à jour.
Si tu connais une asso chouette qui est conventionnée pour les TIG, où il est possible de passer ses heures à apprendre / réaliser autre chose que repeindre des murs de graff ou bosser comme travailleureuse non-rémunéré.e qui remplace un.e salarié.e, fais-le savoir ! L’info peut passer via les legal team, les collectifs qui touchent l’autodéfense juridique, l’antirep, et toujours, les condamné.e.s aux TIG, elleux-mêmes. Que ces infos quittent l’informel arbitraire, les structures conventionnées et les seules conseillères SPIP. Et sinon, n’hésite pas à faire les démarches pour conventionner ton asso si elle peut se justifier d’ « intérêt général » pour rendre moins pénibles les TIG des copaines, et passe l’info autour de toi !
Dans mon cas, même pendant mes TIG, où j’expliquais aux copaines ce que je faisais à ce moment-là, on me proposait encore d’autres asso conventionnées TIG où il aurait été sympa que j’aille – et ces asso ne m’avaient pas été proposées lors de mon rendez-vous SPIP. Autant dire qu’il ne faut pas trop attendre sur le SPIP pour avoir le choix de ta structure.
Convocation SPIP
Du coup, comment s’est passé mon entretien SPIP et quelles structures m’ont été proposées ? Seule personne assignée meuf dans la salle d’attente, après avoir ressenti la froideur de la personne de l’accueil pouvant évoquer les conditions carcérales, feuilleté les magasines d’automobile, dans le même registre, on m’a automatiquement appelé.e « Monsieur » avant de rectifier le tir en me voyant arriver.
Sur le fond, l’entretien cerne les questions de mes ressources financières, si je travaille ou pas, mes disponibilités, si j’ai le permis de conduire et mes possibilités de déplacements, ma domiciliation, avant de juger l’ensemble de mes réponses par « Est-ce que vous êtes heureuse dans votre vie ? ». Pour cibler les missions qu’on pourrait me donner, on n’oublie pas de me demander mon niveau d’études et mes expériences professionnelles, avant de réduire, il était temps, par la question plus concrète que toutes les cases sociales : « Qu’est-ce que vous faites / aimez faire, dans la vie ? ». C’est bon, t’as assez cerné qui je suis ? On peut passer aux structures où j’peux passer mes heures, maintenant ?
Je comprends que je suis orienté.e arbitrairement par lae conseiller.e SPIP selon mon profil, comme je l’aurais été à Pôle Emploi, et qu’on ne me présentera pas une liste des structures / missions dans lesquelles je pourrais entièrement choisir où effectuer ma peine : on décide presque pour moi où je passerai mes heures. D’où l’importance de savoir d’avance dans quelles asso copaines / chouettes il est possible de faire ses TIG pour avoir quelques billes sur l’entretien et ne pas dépendre entièrement des infos du / de la conseiller.e SPIP – même si, globalement, on peut supposer que c’est ellui qui aura le dernier mot.
Dans mon cas, mon profil m’orientait ainsi : « Bon, vous avez peu de possibilités, on a surtout des postes masculins pour les TIG », sous-entendu de la manutention (nettoyer les rues dans le service voirie, nettoyer les véhicules de Tisseo [9] maintenance du bâtiment vétuste d’un centre d’hébergement d’urgence, ménage d’une cité universitaire au centre ville,..). Les personnes catégorisées meufs, comme moi, sont quant à elles dirigées vers des missions dans le social : on me propose directement les Restos du Cœur, la Croix Rouge (accueil SDF, distribution, écoute), la banque alimentaire, un centre d’hébergement d’urgence (préparation à l’installation des repas), distribution de colis repas aux personnes en difficulté pour une asso (la mission comprenant une collecte en supermarché).
Il aura fallu insister et inventer des arguments bidons de refus pour avoir accès à d’autres missions. On propose également de l’animation et de l’accompagnement scolaire pour les 6-12 ans via une régie de quartier, ou encore faire l’accueil de 9h à 12h et de 14h à 18h dans un Centre Socio Culturel – autrement dit, faire le taf d’un.e salarié.e. J’ai aussi dû nommer deux asso : une radio associative et militante pour entendre qu’il n’est plus possible d’y faire ses TIG (contrat terminé), et une asso de réparation de vélo, dans laquelle il n’est pas non plus possible d’aller, car ce travail est réservé uniquement aux condamné.e.s à 35h maximum de TIG [10], les plus petits délits, en somme.
Il me sera demandé de faire le « choix » rapidement entre ces propositions données de mémoire par lae conseiller.e SPIP, entre plusieurs structures, temps pleins et temps partiels, et différentes localisations dans la ville. Le choix de l’asso doit être vite bouclé, les dates de missions posées, et le rendez-vous de « présentation à la structure » arrêté. Dossier suivant.*
Le statut de TIG
Se retrouver à faire du travail gratuit pour la justice dans une structure agréée, ça a pour conséquences une belle confusion entre les différents statuts de travailleureuses, que ce soit lae salarié.e (que l’on complète – remplace), le service civique (autre statut fourre-tout, pour sa part mal payé), le bénévole (qui choisit son travail gratuit), le stagiaire (qui travaille gratuitement aussi, dans le cadre de ses études), etc. Un simple statut professionnel et on en oublie que les TIG sont une condamnation pénale.
À titre d’exemple, lae conseiller.e SPIP qui se croit tout permis et décide que je fasse les TIG pendant 10 jours sans fractionnement (sans journée de repos), car « comme ça, vous serez tranquille, ce sera fini plus vite », et à mon besoin de faire une pause au milieu, de me répondre « vous êtes jeune, vous êtes en forme, non ? ». De m’imposer ça, sans prendre en compte mon opposition, avant de s’apercevoir que ce n’est pas légal.
Lors du rendez-vous de présentation de la structure avec lae directeurice, dans le discours, nous sommes appelées « candidat.e.s » afin de « compléter et renforcer les salarié.e.s dans leurs tâches ». En effet, il nous est dit que cette structure pourrait très bien tourner sans les personnes y faisant des TIG, que nous ne remplaçons en aucun cas les salarié.e.s, « contrairement à d’autres prestataires » (dixit lae conseiller.e SPIP). Les tâches à réaliser étant celles qui sont moins quotidiennes (ménage, etc), cela permettrait d’alléger les salarié.e.s qui n’ont pas toujours le temps de les faire.
Dans les faits, il était clairement soulageant que je sois là à réaliser les tâches quotidiennes, d’autant plus que des salarié.e.s n’étaient pas toujours à leur poste (arrêt maladie, grève d’une partie du personnel). En fait, du point de vue de structures (les Restos du Coeur, la Croix Rouge, la Banque Alimentaire...), on remarque que les TIG sont surtout là pour renforcer les effectifs, là où l’État ne donne pas assez de moyens financiers, aux côtés des services civiques, stagiaires et appels à bénévoles. Lae directeurice de la structure fera aussi un beau lapsus en disant de nous, « candidat.e.s » au poste, que nous étions service civique, et non pas en TIG. Ça en dit long sur les statuts fourre-tout qui servent ces structures. Et c’est principalement vers ces structures où l’État met peut de moyens que lae conseiller.e SPIP va t’orienter, étant au courant des besoins « humains » de ces structures, et jouant le jeu de l’État, afin que lae condamné.e « paie sa dette à la société ».
En guise de conclusion
Je n’irai pas plus loin sur l’expérience TIG en tant que telle parce qu’il n’y a pas de réel intérêt à la relater. Ce témoignage avait ainsi pour but d’éclairer sur ce que sont les TIG, à partir de mon expérience personnelle, avec les limites qu’elle comporte (ressenti subjectif, profil et assignation vis-à-vis de mes interlocuteurices, personnels rencontrés ayant influé sur ce non-choix, etc). D’avoir échangé avec plusieurs personnes ayant également été condamnées à des TIG, les expériences ont été très différentes : plusieurs rendez-vous SPIP jusqu’à trouver la structure qui convienne le mieux, lae conseiller.e SPIP plus conciliant.e donnant plus de choix dans les TIG (maraîchage, etc), les TIG qui n’ont pas été réalisées jusqu’au bout,.. Mais à mon sens, laisser une large part de ce choix dans les mains de la/du conseiller.e SPIP concernant le cadre où seront réalisées plusieurs dizaines d’heures de condamnation a quelque chose de déroutant, et, il me paraît ainsi pertinent de réfléchir collectivement à des stratégies TIG (recensement de structures, conventionnement d’asso de copaines, retours d’expériences) afin de ne pas laisser lae condamné.e seul.e dans la réalisation de cette peine.
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