communisme : un manifeste
Notice préliminaire :
Le texte présenté ci-après est une version abrégée de l’ouvrage Communisme : Un Manifeste, du Collectif pour l’Intervention.
Ce Manifeste ne propose pas une énième analyse du capitalisme. Il s’adresse à ceux qui participent de près ou de loin aux luttes politiques, ou qui se sentent concernés par elles. Il a pour but de contribuer à renouveler les formes de l’organisation politique.
Le Collectif pour l’intervention est constitué de quelques personnes qui ont appartenu, depuis une quinzaine d’années, à des collectifs de lutte « autonome ». Parmi eux, certains ont écrit des livres, d’autres se sont entièrement consacrés à la lutte politique. Tous s’accordent à reconnaître qu’il s’agit, maintenant plus que jamais, de tenir ensemble les exigences de la pensée et celles de l’action.
Ce résumé a été rédigé à partir d’une fiche de lecture réalisée en novembre 2012, à l’occasion d’une rencontre avec le Collectif pour l’Intervention à Marseille, co-organisée par la vie manifeste, les éditions Al Dante, OLS, et la commission médiathèque de l’association Mille Bâbords.
Nous vous invitons à lire et à vous procurer l’ouvrage complet, ainsi qu’à partager ce texte autour de vous, le plus largement possible.
I. Préface
1. Nous ne voulons pas d’un autre État, ni d’un quelconque système d’unification centralisé, mais une composition de mondes.
2. Nous ne voulons pas un meilleur développement économique, mais l’abolition sans reste des pseudo-lois de l’économie qui mènent le monde à sa perte.
3. Si ce manifeste vise quelque chose, c’est une nouvelle organisation des luttes suite à un constat d’épuisement de leurs formes.
II. La politique du capital : l’économie
1. Il n’y a pas de système capitaliste. Il y a des décisions, des interventions, qui ont pour objet de faire respecter les « lois de l’économie ». Pour autant, l’économie n’est rien d’autre qu’une politique et comme toute politique elle trace une frontière amis / ennemis.
2. Le capital ne désigne rien d’autre que l’ensemble des militants de l’économie et le monde du capital, c’est le monde voulu par l’ensemble des militants de l’économie.
3. Sa politique n’est rien d’autre qu’une volonté d’unification qui s’impose à tous et asservit les mondes extérieurs jusqu’à leur extinction. Elle est un ensemble de dispositifs de contraintes visant à tout constituer en séries de marchandises banalisées.
4 . L’économie en ce sens, c’est l’ensemble des conduites sociales qui, en phases les unes avec les autres, entrent en résonance, portées par une croyance partagée en la réalité de ses lois.
5. La victoire du capitalisme aura été une victoire sur l’autonomie. Le capitalisme aura réussi à s’autonomiser de la conflictualité politique et ouvrière, par la stratégie de la financiarisation. Seulement, par cette victoire c’est aussi la finance qui a pris son autonomie. Par conséquent, la crise du capitalisme n’est pas une crise économique, mais une crise politique, une crise de la stratégie de contournement de la guerre de classe.
6. Aujourd’hui, nous constatons le retour du concept de classe en tant que principe de division de la société capitaliste. Cette nouvelle guerre de classe peut-être analysée au travers d’une opposition possédants / dépossédés.
III. La vie mutilée
1. Si auparavant le capitalisme fixait les individus dans des identités (classe / race / genre ), aujourd’hui le capitalisme se nourrit de la relation, arrachant tout élément productif à son milieu.
2. Deux opérations de traductions enchaînées sont à l’œuvre dans le capitalisme : déchiffrement du parcours singulier de chacun comme un ensemble de compétences acquises et mesure des retombées marchandes de ces compétences.
3. Un corps opaque marque l’impossibilité pour le capitalisme d’opérer ces deux traduction. Les corps opaques sont ambivalent pour le capitalisme. Ils demeurent une menace tout autant que des territoires non encore colonisés. La résistance n’est alors que l’expression de cette ambivalence.
4. Ce qui est mutilé dans l’espace du capitalisme c’est une certaine qualité de la relation. La relation comme transformation réciproque de plusieurs êtres qui rends possible l’élargissement de l’expérience sensible.
5. En ce sens il ne peut y avoir de séparation individu / communauté. L’essentiel se joue entre l’individu et la communauté, dans un partage de la langue, de l’imaginaire, d’une sensibilité, d’une amitié, par un effet de résonance.
6. Le commun qui est en jeu dans le communisme est la configuration singulière des relations.
7. La visée du capitalisme est de mettre à son service les relations trans-individuelles, par ses opérations de traductions. Ainsi le monde du capital n’a de cesse de faire en sorte que l’expérience trans-individuelle soit réservée et qu’elle n’existe que de façon éphémère ou bien localisé dans l’espace et le temps. Le capitalisme a pour visée la maîtrise des collectifs trans-individuels afin qu’ils soient toujours provisoires, intermittents ou assignés à un lieu.
8. Cette stratégie, fait que chacun est alors pris dans un activisme relationnel précarisé et anxiogène. Ce régime est le régime d’insécurité généralisé du capitalisme.
9. La localisation et la capture de l’expérience trans-individuelle par le capital est ce que refuse activement un groupe révolutionnaire.
10. La condition et la visée de la politique révolutionnaire c’est la mise en résonance d’expérience de collectifs trans-individuels dont la durée est proprement illimitée et la localisation inassignable.
IV. La politique du communisme : L’autonomie
1. Une politique révolutionnaire ne peut séparer le combat pour la libération du temps de la vie et le combat de classe, mais doit s’efforcer de dépasser cette dualité.
2. Pour ce que nous en savons, le capitalisme se heurte aujourd’hui à trois limites : la ré-émergence du conflit de classe, l’extrême fragilité des écosystème, son incapacité structurelle à tenir ses promesses.
3. C’est la conjonction et la synchronisation de ces trois limites qui créent aujourd’hui une situation particulièrement instable.
4. Le capitalisme s’est rendu maître du temps. Il y a urgence à interrompre le temps du capital.
5. Dans l’idéologie du progrès, l’accélération et le développement vont de pair avec la promotion de formes d’autonomies existentielles.
6. Délivrer la conception moderniste de l’autonomie (esprit critique & délibération) de son entente humaniste, pour envisager une autonomie des mondes.
7. Une communauté, c’est avant tout une relation où une part essentielle revient au non-humain. La communauté contient toujours quelque chose qui excède la somme des humains qui la composent. C’est en même temps que l’individu n’est pas laissé à ses limites individuelles et que l’humain n’est pas réduit à son humanité.
8. En réalité l’autonomie, c’est l’interdépendance. Plus nous déployons les relations d’interdépendance là où elles méritent de l’être, plus nous devenons capables d’autonomie.
9. Le capitalisme est une politique qui dissocie les êtres de leurs milieux de vie pour assurer ses prises et créer ses dépendances, pour devenir celui par qui il faut nécessairement en passer pour vivre et assurer sa subsistance.
10. Ce que nous recherchons, c’est une politique de l’association avec les milieux de vie sans les médiations du capital.
11. L’autonomie des mondes est le refus des médiations du capital. Elle suppose la capacité à libérer des lieux et à construire des espaces où les lois de l’économie sont révoquées.
12. Corps opaques et collectifs transindividuels peuplent des lieux d’autonomie.
13. Donner naissance à une culture de l’autonomie, c’est le terreau de la politique révolutionnaire. Il nous incombe alors de fabriquer nous-même les termes des problèmes qui nous importent et l’espace-temps de nos solutions.
14. Pour autant, les lieux de l’autonomie ne suffisent pas. Si l’on peut parler d’une autonomie, c’est dans la mesure où elle assume une visée offensive contre les machines techniques et institutionnelles du capital, dans la mesure où elle cherche à bloquer l’économie.
15. Si l’économie est la politique du capital, l’autonomie est la politique du communisme.
16. La véritable limite du capitalisme, ce n’est rien d’autre que l’autonomisation du communisme. Elle ne s’envisage qu’à partir d’une triple interdépendance : celle des luttes, des vivants et de leurs milieux, de l’épanouissement mutuel individu et collectif.
17. Il faut au moins ces trois dimensions pour que toute proposition d’organisation révolutionnaire, désormais, ait le moindre sens.
V. Organisation
1. Là où la politique du capital prétend instaurer un espace d’intégration universel pacifié par les polices de l’économie, le communisme veut faire exister et rendre visible qu’il existe une division, au principe même de la politique.
2. Mais l’histoire de la politique révolutionnaire est aussi l’histoire de la manière dont cette division initiale est venue repartager le camp des camarades et des amis.
3. La fin des années 1970 marque un tournant dans la mesure où ce qui avait été jusque-là, le plus souvent, une division au sein du mouvement ouvrier devient de plus en plus explicitement une alternative politique aux visées dudit mouvement.
Des impasses dans la politique radicale.
Au travers de ces années, se dessinent nombre d’impasses.
1. Impasse de la spécialisation militante.
La spécialisation trouve deux façon de se justifier :
• a. Le deuil dans les années 1970 de l’idée d’un conflit central, soit l’ypothèse des luttes spécifiques
• b. L’idée selon laquelle la spécialisation est nécessaire pour pouvoir développer un point de vue global.
Ainsi par exemple de l’analyse de la précarité, entendue comme nouveau mode de gestion du marché
du travail. Dans cette seconde version, nous sommes dans un relais de la figure prolétarienne, à laquelle
se substituerait celle du précaire.
Dans ces deux version se trouve validé le découpage de l’espace militant en champs ou en terrains
prioritaires.
2. Impasse du mouvementisme dans son incapacité à trouver une continuité intercalaire entre les moments
d’émergence des mouvements sociaux.
3. Impasse de l’évènementisme, dans son rapport notamment avec les médias. Haine des médias et nécessité,
pourtant, d’y être reconnu.
Comment ce qui existe dans les moments de luttes peuvent trouver à se prolonger et ne pas s’arrêter ?
1. Il s’agit alors de maintenir autant que possible la communauté de lutte telle qu’elle s’est constituée, et de
densifier les liens qui la composent.
2. Ce qui est retenu du moment politique, c’est la disposition à la lutte elle-même, disposition qui peut
prendre la forme d’une organisation collective.
3. Si des philosophes ne cessent de nous rappeler aujourd’hui ce que peut être l’Idée du communisme, et
en quoi l’horizon qu’elle convoque redevient plus que jamais pertinent, cette élaboration, quelles que soient
ses fécondités ou ses limites intrinsèques, laisse de côté la question du support vivant de cette idée.
4. Nous voyons bien que le geste politique radical, qu’il pèche par excès d’intellectualisme ou par pragmatisme
à courte vue, se caractérise aujourd’hui par la confiance qu’il accorde à l’émergence et à l’absence de
volontarisme.
5. Tout le problème est que, si l’on n’ajoute rien de façon volontariste à ce qui est là, rien n’aura jamais lieu
que ce qui a déjà lieu, à savoir précisément : des émergences et leurs retombées.
6. Là où il y a ambition révolutionnaire, il y a la nécessité d’assumer un saut, c’est-à-dire de prendre le risque d’ajouter quelque chose à ce qui est déjà là pour pouvoir faire qu’advienne autre chose que ce qui est prévu, autre chose que ce qui est censé nous attendre — c’est-à-dire au bout du compte, l’écrasement des forces révolutionnaires par le parti du capital.
7. L’idée est l’inscription dans la réalité des exigences qui en permettent la transformation. Il est vrai que l’idée du communisme est indissociable d’un horizon d’attente, mais il n’y a pas d’idée là où on ne fait qu’attendre, là où l’on se contente de cultiver l’impression qu’ « un autre monde est possible ». Il y a une idée vivante là où l’horizon d’attente devient un facteur de la transformation de l’état de chose présent.
8. Nous avons besoin d’une invention politique à même de jeter un pont entre l’ampleur des mouvements de masse et le caractère offensif des mouvements radicaux.
Comités
1. Ce que nous voulons créer est une forme d’organisation – que nous appellerons ici des « comités » – où se concrétise ce choix de la politique, le choix du primat de l’intervention : là où des amitiés et des camaraderies font support pour se mettre en action.
2. Ce qui suppose de trouver les voies pour ne pas s’enfermer dans l’ethos et les codes d’un groupe.
3. Il est essentiel en ce sens qu’une expression publique des idées des comités ait lieu, pour qu’elles soient à la fois relayées et confrontées à l’épreuve du réel et des critiques.
4. Un comité peut s’envisager d’être assez stable et pérenne pour dépasser la seule défense de quelques droits lors des mouvements sociaux et être porteur de manière durable d’une idée politique élaborée.
5. Nous voulons une forme d’organisation susceptible d’être réappropriée par tous, qui correspond à ce que nous pouvons mettre en œuvre dès maintenant, par nos propres forces.
6. Si des comités tels que nous les concevons peuvent exister, ils s’enracineront sur des luttes en cours.
7. Un comité réunirait des personnes participant à des luttes différentes souhaitant exprimer une position politique qui leur serait commune, en plus des « intérêts » spécifiques à chacune des luttes et collectivités où ils se trouvent.
8. Les comités sont à envisager comme des collectifs d’intervention, qui s’attaquent explicitement à la politique du capital à travers des cibles qui mettent en évidence sa cohérence globale.
9. Cette initiative pourrait avoir la forme de séries d’actions coordonnées et simultanées dans plusieurs lieux à la fois ; actions aux cibles multiples mais liées par des énoncées communs aux différents comités, visant à dessiner une géographie explicite du pouvoir.
Assemblées
1. Nous pensons ces actions accompagnées d’appels à la formation d’assemblées.
2. Les assemblées et les comités sont liés par une dépendance réciproque : c’est la condition de leur dynamisme.
3. L’assemblé est le lieu de la confrontation, du rapport de force, de la mise à l’épreuve des positions politiques : c’est par la création d’une culture du dissensus que peut exister un réel partage de la politique.
4. Il y a un conflit interne à l’assemblée, qui cherche à se traiter par la parole ; et il y a un conflit avec le monde du capital, qui requiert des actions.
Conseils
1. Multiplier la formation de conseils de quartier, de village, d’université ou d’usine.
2. Il s’agit de se constituer en contre-pouvoir capable de prendre en charge collectivement une production particulière, la vie d’un lieu.
Communes
1. Quand ces formes d’auto-organisation propres à une profession, un quartier, un territoire, convergent dans une volonté commune de se coordonner, dans la capacité conquise dans la lutte à se constituer en contre-pouvoir réel à une échelle géographique et administrative de quelque ampleur, on peut parler de communes.
2. Penser l’instauration de communes exige de se situer dans une visée à long terme et d’élaborer les moyens de leur ancrage dans le temps.
3. La commune est la prise en charge collective des moyens d’existence.
4. La seule façon pour qu’une règle, une institution ou un mode d’organisation ne nous échappe pas, c’est qu’ils soient explicitement reconnus comme tels, c’est-à-dire comme des créations collectives, qui appartiennent à tous, qui ont une histoire, qu’ont peut expérimenter, critiquer dans des espaces conçus à cet effet.
5. Ce n’est pas l’absence de médiation qui rend possible la recherche d’autonomie, mais la pleine reconnaissance que celles-ci sont des choix collectifs et explicites.
Conjurations de la guerre
1. La politique post-capitaliste ne sera plus la « continuation de la guerre par d’autres moyens » mais la prise de parole en vue de sa conjuration, c’est à dire en vue d’éliminer les antagonismes qui rendent la guerre inévitable.
2. Le pacifiste tel que nous aimerions le voir exister ne peut se soustraire à la guerre si celle-ci lui est imposée comme une lutte à mort pour ou contre le maintien de l’ordre existant.
3. Il n’y a pas à idéaliser la violence, fut-elle révolutionnaire, mais il n’y a pas non plus à accepter la stigmatisation de toute lutte épinglée comme « violente » — comme s’il n’y avait pas de violence dans le fonctionnement le plus quotidien des banques, des centres de rétention et des abattoirs.
VI. Conclusion
1. Nous vivons désormais à l’ère des catastrophes.
2. La catastrophe présente consiste peut-être essentiellement dans notre rapport d’abritement à l’égard du passé et de l’avenir.
3. Ce que nous voulons partager, c’est aussi une confiance, mais qui n’aurait plus à esquisser le passé et le futur pour s’immerger dans un présentisme aveugle.
4. Le communisme ne peut plus être « la lutte pour la ré-appropriation du commun », si on entend par-là ré-appropriation des richesses sociales volées par la classe du capital.
5. Le commun produit par la société et volé par le capital est essentiellement le commun propre au monde du capital.
6. La question est avant tout celle de la nécessité de prendre en charge les infrastructures techniques et scientifiques du monde du capital, comme seule voie praticable pour organiser le démantèlement de celui-ci.
7. Qu’il s’agisse d’énergie, de transports, de communication, ou même de production au sens le plus matériel du terme, on ne peut éviter d’occuper les réseaux que le capitalisme a façonnés si l’on veut mettre un terme à son existence.
8. Le capitalisme rend chacun responsable de ne pas parvenir individuellement à atteindre ce que seul le communisme peut apporter.
9. En définitive, le partage de la parole politique doit trouver une place dans chaque vie, afin que jamais la politique ne puisse redevenir une profession dont certains auraient la garde.
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