Et encore un texte qui prétend enterrer la zad de NDDL. Cette fois-ci c’est la tendance dite « communisatrice » qui s’y colle, en profitant de sa position extérieure aux conflits qui ont déchiré le mouvement pour jouer les juges de paix. Mais derrière un propos qui se présente comme modéré (l’auteur, sous le pseudo tomat0ketchup, semble accorder un certain crédit à la lutte et annonce passer encore aujourd’hui régulièrement à la zad), on retrouve le même genre de caricatures, distorsions factuelles et procès d’intention que dans la quasi-totalité de la littérature radicale anti-zad depuis 2018.
À un point tel que la calomnie ne peut plus être simplement ignorée et mérite des réponses. En voici une, argumentée, d’une personne qui comme tomat0ketchup vient régulièrement sur la zad, mais certainement avec moins d’hypocrisie...
« Le mouvement est mort » ?
Le fond du texte partage le mythe d’une zad vidée de toute sa substance par la « fin de la lutte » (« Il faut d’emblée distinguer ici la zad en lutte de l’ex-zad en cours de légalisation » [1]).
D’une part il est difficile de démêler « zad en lutte » (avant l’abandon de l’aéroport) et « ex-zad en cours de légalisation » (maintenant), puisque comme le reconnaît pourtant ce même texte, la zad actuelle « lutte encore » contre les processus d’accaparement des terres par l’agro-industrie ou pour l’habitat collectif et hors normes.
D’autre part le texte cherche à faire passer l’idée que ce qui reste du mouvement de lutte n’est qu’une portion congrue de ce qu’il a été. Avec l’abandon de l’aéroport et les conflits, il se serait resserré sur un noyau homogène (mais tout de même pétri de contradiction et fragmenté) (« De fait, dès l’abandon du projet (...), une bonne partie de la communauté de lutte s’est volatilisée subitement » « Les conflits du printemps 2018 ont donc permis de faire le tri et de constituer (au sein même du monde de l’aéroport !) une communauté de semblables : les usager·e·s.
[...] Aujourd’hui, la normalisation fait des ravages et la communauté se fragmente progressivement en groupes encore plus réduits. »)
S’il est juste de souligner que le mouvement a surjoué l’unité pour mettre ses divisions sous le tapis et faire face aux tentatives constantes de division de la part de l’État (préalable politique à une nouvelle opération militaire et à un démarrage des travaux de l’aéroport), la communauté de lutte à NDDL n’en reste pas moins presque aussi soudée et hétérogène qu’elle ne l’a été effectivement au moment de la lutte contre l’aéroport. D’un côté ceux qui ont quitté le mouvement avec fracas en 2018 se considéraient bien souvent déjà depuis longtemps comme en dehors de la communauté de lutte. D’un autre côté la diversité sociologique, démographique et politique qui a constitué un des faits marquant de la zad est toujours bien représentée au sein de l’Assemblée des usages. Celle-ci rassemble encore des paysan.es traditionnel.es, des membres de collectifs citoyens, des aspirant.es révolutionnaires, des anti-autoritaires, des dits « arraché.s », des paysan.s expérimentaux, des deserteur.ices du salariat ou de l’école, etc. etc.
10 000 manifestant.es avaient à nouveau débordé le dispositif policier lors de la manif du 14 avril 2018 à Nantes en soutien à la zad, sous le mot d’ordre « enracinons l’avenir ». Il reste aujourd’hui près de 200 personnes qui vivent sur la zone. Des rassemblements de plusieurs centaines de personnes s’y tiennent à échéance régulière, en lien avec les divers combats qui continuent d’être menés sur le terrain [2]. Si ce n’est plus la lutte massive du temps de l’opposition à l’aéroport, et si une petite partie de ceux et celles qui avaient pris part à celle-ci ont marqué des distances depuis l’abandon du projet, il est difficile pour autant de parler d’une communauté de lutte disloquée par les « ravages de la normalisation »…
On ne peut que partager l’idée que les conflits au sein de la zad ne sont pas aussi binaires qu’ils n’y paraissent. Mais pour Tomat0ketchup ce sont les tenants de la légalisation de la zad qui auraient « mis en scène » cette binarité, obligeant « en retour » les radicaux à dénoncer l’autoritarisme des premiers. Une série de textes émanant de chacun des camps est citée pour appuyer cette affirmation. Or, comme souvent dans les mystifications pseudo-critiques, il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin pour tout démonter : lire ou relire les textes cités suffit à prouver que ceux qui viennent de la tendance « majoritaire » de la zad ont d’abord eu à coeur de préserver le mouvement des divisions (au risque parfois même d’invisibiliser les tensions internes, avec ce que ça a d’offensant pour la tendance "minoritaire"), quand les autres ont cherché à le faire exploser sur une ligne binaire. [3] Il est d’ailleurs cocasse que le texte « le mouvement est mort... », qui a le plus œuvré à réimposer les jalons de la division caricaturale entre « radicaux » et « citoyennistes » dans une lutte qui avait si bien su la bousculer, serve par deux fois d’exergue dans le texte de tomat0ketchup…
Enfin, remarquons que le texte reprend à son compte les accusations d’autoritarisme envers les partisans de la perpétuation de la zad (« Bien sûr, les magouilles autoritaires doivent être dénoncées, et il sera nécessaire de continuer à les mettre en lumière tant que certain·e·s continueront à les nier et les minimiser. »). En guise de « mise en lumière », le texte met en avant le fait que le mouvement s’organise aujourd’hui au sein d’une AG des usages - qui réunit ceux qui ont un usage du territoire et qui se reconnaissent dans la volonté de le partager - AG qui s’appuie elle-même sur le travail de commissions. C’est tout ce que l’auteur pointera comme « moyens autoritaires » ! Ce qui lui permet tout de même de convoquer le spectre de Staline et d’en faire l’illustration d’un « reflux normalisateur » [4] (« que l’option légaliste ait usé de moyens autoritaires en dit long sur la nature de ce communisme ainsi que sur le reflux normalisateur déjà engagé. »)...
zad = alternative = appelisme = avant-gardisme
Venons-en au fond critique propre du texte, qui s’appuie donc sur les thèses du courant du communisateur (courant théorique d’ultragauche un temps incarné par la revue Meeting, citée par deux fois).
Ici le propos a le mérite d’être moins verbeux que dans les textes dudit courant. Ce qui permet d’en éclairer pleinement le principe de base : « surtout ne pas tenter d’agir, et laisser faire l’antagonisme de classe qui finira bien par avoir raison du capitalisme ».
La recette de la critique d’ultragauche est assez simple à exécuter :
1° appliquer à toute situation une lecture en termes de classe, même si c’est complètement à côté de la plaque (« Classe [moyenne] pour laquelle la lutte est souvent un moyen de préserver, d’une manière ou d’une autre, sa situation aujourd’hui relativement confortable (autrement dit, échapper au déclassement). » [5] « A la manière d’une bureaucratie syndicale, la bureaucratie autogérée de l’autodéfense administrative et ses négociations avec l’État traduisent ainsi l’activité, en tout moment, et avec sa part de conflictualité, des zadistes « de base » au sein du capital. » [6])
2° « Rien n’échappe au capitalisme. Rien. » Tu produis collectivement, en pensant tous les échelons de la production, en essayant d’inventer des formes de propriété collective qui bannissent la spéculation, pour faire sortir la majeure partie de ta production des circuits marchands ? Tu es « altercapitaliste », au mieux. [7]
3° Participer à une lutte quand on n’est pas un.e « premier.e concerné.e » [8] c’est avant-gardiste. Il ne faut pas chercher à construire un mouvement, c’est « appeliste » (et puis les luttes n’ont besoin de rien, merci [9]).
4° Attends tranquille la prochaine vague de soulèvement qui finira peut-être par « renverser le capitalisme ». (Tu peux quand même aller faire du jardinage à la zad si tu es en mal de sociabilité).
Mais comme tomat0ketchup se rend au fond bien compte que sa critique tourne à vide, si elle se limite au postulat « toute tentative politique est vaine tant qu’on aura pas aboli le Capital », il cherche à la reformuler en « toute tentative politique est insuffisante, tant qu’on aura pas aboli le Capital ». Ce avec quoi n’importe quel révolutionnaire ne peut qu’être d’accord. Pour donner du crédit à la critique, il faut donc sous-entendre que la zad aurait prétendu le contraire : qu’elle se penserait autosuffisante [10]. Or personne, à notre connaissance, parmi ceux qui ont fait le choix de pérenniser la zad, ne pense une telle chose (ni même qu’il suffirait de faire des « zad partout »). On pourra, par exemple, se référer à la récente interview que des occupant.es actuel.les de la zad ont accordé à Rouen dans la rue : « Par ailleurs, on ne croit pas que faire face au désastre puisse essentiellement reposer sur l’essaimage de formes de « communes libres », aux perspectives forcément limités et menacées tant que ne surgissent pas des ressorts plus profonds de bouleversements. »
Ou encore au texte « Prises de Terres » pourtant cité par l’auteur par ailleurs : « Que la ZAD perde la centralité politique qu’elle a incarné au plus fort de la lutte contre l’aéroport n’est pas pour nous affliger. Au contraire, elle nous permet de la remettre à sa place. Ce que nous aurons appris de ces années de lutte anti-aéroport, c’est que si une lutte territoriale contre un projet d’infrastructure peut susciter localement une situation insurrectionnelle absolument inédite, ce n’est qu’à une autre échelle que peut rejaillir un moment révolutionnaire. »
Vouloir pérenniser la zad n’implique absolument pas de penser qu’elle se suffit à elle-même, ni qu’elle est la seule ou la meilleure forme politique possible. En revanche cela relève d’un parti-pris : nous avons besoin de formes qui durent, d’espaces d’expérimentation à moyenne échelle et sur du long terme. C’est bien ce parti-pris qui est la cible de la critique de tou.tes celleux qui préfèrent le confort de la pureté (de leur « radicalité » ou de leur théorie).
On peut critiquer la zad-qui-dure sur ses actes et leurs conséquences, mais ça nécessite certainement d’avoir un recul de quelques années. Dans la plupart des textes qui descendent la zad aujourd’hui, c’est bien la simple idée d’une tentative de pérennisation qui est visée. Pas étonnant donc que ceux qui se sont fait une spécialité de professer que toute tentative politique effective est vaine s’y mettent aussi... [11].
Personnellement et pour finir, je tiens au contraire à remercier celles et ceux qui continuent à faire exister cette tentative, précieuse et trop rare.
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