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Harz-labour n°24 : Mets ton gilet, on quitte le navire !

Rennes
Information - médias

Vingt-quatrième numéro de Harz-labour. A propos des Gilets jaunes, de l’antisémitisme, et des situations en Egypte, en Algérie et au Soudan.

Ce nouveau numéro a notamment été distribué le vendredi 26 avril dans la marche des jeunes pour le climat, le samedi 27, à Rennes, lors de l’acte XXIV des Gilets jaunes, et au sein de la la manifestation du 1er mai. Il est dorénavant disponible à la Maison de la Grève (métro Anatole France, 37 rue Legraverend).

Mets ton gilet, on quitte le navire !


«  Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugés, car vous serez jugés comme vous avez jugé. »
Évangile selon Mathieu, chapitre 7, versets 1 et 2.

« On a déjà vu la couleur
De ce qu’on pourrait devenir,
On a déjà posé des fleurs,
Alors on cherche déjà l’erreur,
Ce qu’il y a à redire
Sur ce foutu bonheur
. »
Hollydays, On a déjà.


Le mouvement des Gilets jaunes semble s’essouffler. Nous ne parlons pas du nombre de manifestants, qui fluctue d’une semaine à l’autre, mais bien de la difficulté à renouveler les formes, des effets de la répression, de la lassitude qui traverse les corps, et de l’influence de ceux qui souhaiteraient à tout prix que les Gilets jaunes constituent un mouvement social comme les autres. Les Gilets jaunes ont pourtant su, jusque là, à rebours de l’impuissance gauchiste, porté le débordement, ne pas se définir, prendre des risques et se dépasser sans cesse. Quand les syndicats auraient accepté les parcours et lieux de rassemblement imposés par les préfectures, les Gilets jaunes ont déclenché des émeutes au plus près des lieux de pouvoir. Quand Mélenchon et ses partisans aiment se persuader qu’ils pourraient arriver au pouvoir et ainsi sauver la France et son économie, les Gilets jaunes s’opposent à la démocratie représentative, et nombre d’entre eux affirment qu’il n’y aura pas d’amélioration de leur qualité de vie à l’intérieur du système économique actuel. A rebours des militants qui se pensent radicaux en passant leur temps à se définir idéologiquement et sont ainsi sûrs de n’avoir aucune prise sur le réel, les Gilets jaunes n’ont fait qu’exprimer un ras-le-bol, et, de manifestation en émeute, ont affirmé que ceux qui se révoltent forment un peuple.

Pour le dire plus clairement, la force du mouvement était de ne pas ressembler à la gauche : les Gilets jaunes ont su jusqu’à maintenant se tenir à distance de tout ce qu’il y a de goût pour la victimisation et l’impuissance, de propension à fuir ses responsabilité. Pour prendre un exemple, les Gilets jaunes ont, dès la première semaine, préféré le blocage économique et l’émeute aux palabres des Nuits debouts. Et ce n’est pas un hasard si, au fur et à mesure que nous observons les changements dans la composition sociale du mouvement, la révolte, sous l’action combinée de la répression policière et des récupérations gauchistes, laisse la place à l’indignation. Chaque semaine, on fait maintenant mine de s’étonner de la surdité du gouvernement, de la violence de la police et du mensonge des médias. En feignant l’étonnement et en tournant en boucle sur les mêmes sujets, on s’interdit toute idée nouvelle et toute remise en cause. Pire, le nom « Gilet jaune », qui ne désignait rien de plus que la subjectivité de ceux qui se révoltent et sortent de l’atomisation, est en passe de devenir une marque, une identité politique parmi d’autres. Enfin, encore plus étonnant, certains Gilets jaunes, qui étaient décrits il y a quelques mois par des gauchistes méprisants comme des personnes peu politisées qui ne se révoltaient pas pour les bonnes raisons, reproduisent à leur tour le même discours sur « ceux qui restent devant la télé plutôt que de venir avec nous ».

C’est oublier un peu vite que ce qui fait la force du mouvement est d’être soutenu très largement, que des centaines de milliers de personnes s’y sentent liées pour y avoir participé d’une manière ou d’une autre, en venant à une manifestation un samedi, en discutant dix minutes lors d’un blocage, en offrant des bouteilles d’eau à ceux qui occupaient un rond-point, en prévenant de la présence des flics à un coin de rue, etc. Si les personnes sont encore présentes, prêtes à discuter du monde dans lequel elles vivent, dans les centres de différentes villes, la parole qui s’était libérée sur les rond-points se retrouve canalisée dans des débats en Assemblées Générales, où l’extrême-gauche plaque ses codes et, en attendant d’avoir fait fuir tout le monde, réprime le peu de parole spontanée qui risque encore de s’y exprimer. Les Assemblées ne sont que l’une des formes du mouvement, et nous commettrions une erreur si nous les considérions comme sa représentation. Dans plusieurs villes, les Gilets jaunes qui participent à ces discussions appartiennent souvent à la classe moyenne, et les Assemblées sont plus rares dans les périphéries et les zones les plus pauvres. Réduisant parfois l’expression politique au palabre et la conflictualité à des concours de rhétorique, il n’est pas rare que des militants fassent fuir d’autres personnes. Comme l’expliquait Alain Cornebouc, auteur du blog Carbure, « quand on voit ce que sont les gens qui prennent l’étiquette "Gilets jaunes" à Paris, franchement, ça vaut un cordon de flics en termes de découragement. Attac, assos citoyennes, nuitdeboutistes, profs, profs et profs. C’est vraiment des repoussoirs à prolos, ces gens-là, et c’est précisément parce qu’ils n’étaient pas là que ce mouvement a été si puissant. » Bien sûr, l’arrivée de la gauche dans le mouvement est allée de pair avec l’imposition d’un discours caricatural à propos de la lutte des classes, porté par des professeurs et des travailleurs sociaux persuadés d’être les damnés de la terre. Comme l’écrivait Nietzsche, nul ne ment plus qu’un homme indigné.

Alain Cornebouc y trouve une explication : « Ce qu’on appelle la gauche, est la formalisation idéologique et politique de l’existence sociale de certains segments de classes (fonctionnaires et employés des grandes entreprises, habitants des grandes villes.), qui est presque trait pour trait antinomique avec ce qui s’est manifesté avec les gilets jaunes : précaires, femmes, ruraux et périphériques, employés de PME, auto-entrepreneurs fauchés, etc. La ligne de fracture "idéologique" est alors effectivement une ligne de fracture sociale : le Gilet jaune "de base" a plus d’affinités avec un petit patron boulanger qui a deux employés qu’avec un cheminot syndiqué, même si le cheminot est plus proche de lui en termes de salaire, notamment. En réalité les deux sont pris et écartelés dans leur propre interclassisme, l’un avec son petit patron, l’autre avec l’idéologie du service public. Il y a un certain interclassisme qui est possible avec les Gilets jaunes, qui est le lieu d’une lutte de classe propre à ce mouvement, et qui n’est absolument pas celui de la gauche. A cet égard, la tentative du NPA de plaquer un discours "prolétarien" sur le mouvement est formidablement agaçante : occulter la revendication fiscale et la critique des taxes en parlant de la "vie chère", etc. Jusqu’à déformer le chant "Emmanuel Macron, oh tête de con" en "Président des patrons"... Non seulement ça ne passe pas, ce genre de trucs, mais en plus ça coupe les jambes.  »

Pour continuer à exister, le mouvement devra donc continuer à se métamorphoser, comme il n’a cessé de le faire depuis quatre mois, à distance respectable de l’encadrement politique et syndical, de l’odeur des merguezs et du folklore des drapeaux rouges et noirs. En dehors des discussions formelles où la parole est encadrée, des groupes de personnes s’organisent, qu’il s’agisse d’amis de longue date ou de Gilets jaunes qui se sont rencontrés ces derniers mois dans la rue ou près d’un péage. Ces cadres informels et amicaux, condition de la confiance et de la fidélité à la parole donnée, ont, encore récemment, rendu possible des reprises de rond-points, des blocages ou des opérations « péage gratuit ». Et puisqu’il faut y ajouter une proposition concrète pour être sûr de ne pas être accusé de se borner à des remarques acerbes : en plus des rassemblements, manifestations et émeutes hebdomadaires, plutôt que de s’épuiser en Assemblées vaines, une solution pourrait être de cartographier le territoire et développer nos prises sur les situations locales. Car s’il y a bien des moments où les rassemblements et les réunions restent encore vivants, c’est lorsque les Gilets jaunes partagent leurs réalités, souvent disparates, apprennent les uns des autres, et s’échangent des informations précieuses. C’est ce geste qui, aussi longtemps que dure le mouvement, doit être approfondi. Il faudrait pour cela s’éloigner des discours idéologiques plaqués sur le mouvement et des généralités sur la démocratie, pour, sans égocentrisme, revenir aux préoccupations sur nos conditions de vie. Il ne s’agit évidemment pas de transformer les réunions en bureau des plaintes. Le personnel est politique, mais raconter sa vie n’est pas un discours politique. En revanche, quiconque s’est intéressé à la révolution française, ou a lu un cahier de doléances de 1789, a pu percevoir ce que signifie passer du sentiment diffus que quelque chose ne va pas, de la revendication abstraite adressée à l’Etat, à la reprise en main de l’existant. Dans chacun des cahiers de doléances du Tiers-Etat, les ennemis sont désignés, parfois au plus près de soi, et des solutions sont avancées, tout en décrivant précisément les conditions de vie collective de ceux, qui ensemble, ont écrit le cahier. Cela n’a rien à voir avec l’indignation ni la revendication geignarde, et beaucoup à voir avec les Gilets jaunes. A nous de renouer avec cela.

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