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Les feuillets de l’wazo, feuillet n°2, Pour la démocratie et l’autonomie politique, contre la représentativité.

Elections - Démocratie

« De fait, chaque centimètre de terrain gagné le fut grâce à un combat permanent et à une lutte incessante pour l’affirmation de soi et non pas grâce au vote. »
Emma Goldmann, De la liberté des femmes

En cette veille de second tour des présidentielles, quel que soit l’angle d’observation de la situation, aucune option ne semble satisfaisante.
Les différents aspects du choix qui doit l’emporter, éthique, stratégique, émotionnel, s’entremêlent, s’entrechoquent. Le contexte de l’isoloir, ce dimanche 24 avril 2022 plus qu’auparavant, est celui de l’absence d’un camp à rallier où chacun-e est sommé-e de prendre position seul-e face aux conséquences impliquant le reste du monde.

ABSTENTIONS ET RESPONSABILITÉS

Il devient pourtant plus compliqué et surtout plus visiblement malhonnête, de faire porter le chapeau de la montée du fascisme à l’abstention. D’autant plus aujourd’hui que les gauches ont magistralement échoué à réaliser ce dit barrage en s’abstenant de créer une alliance [1].
Depuis des décennies, l’abstention gagne du terrain. Elle est d’ailleurs majoritaire au premier tour [2] mais aujourd’hui que le pouvoir semble si proche des mains de l’extrême droite, on a moins de difficulté à comprendre le dégoût du jeu électoraliste. C’est d’ailleurs cette abstention que Mélenchon est allé cherché tout au long de sa campagne.
Quant aux autres, leur échec est tellement cuisant, qu’ils ont mieux à faire, comme demander qu’on rembourse leur campagne… mort de rire !

« C’est bien beau d’aller manifester quand on va pas voter »

Cette réflexion, qui indique dans quel cadre une expression politique est légitime, oublie que voter n’est pas un devoir mais un droit, qui correspond à la possibilité de faire un choix. Pourquoi considérer que le problème de la perte de démocratie vient de l’abstention alors qu’elle en est le résultat ? Et comment en arrive t-on à ce grand écart intellectuel qui consiste à reprocher à des personnes qui s’opposent à la représentativité (même seulement de celle-ci à défaut d’une autre) de manifester leur point de vue, leur colère, leurs convictions ? Et qu’en penser lorsqu’on est privé de ce droit ? Voter n’est pas un passe-droit pour manifester.
Ce droit, infirmé par l’ adage électoraliste ci-dessus, indique aussi que le minimum, c’est d’aller voter. Seulement, faire tout le reste sauf ça, c’est tenter le maximum !

Alors que la représentativité nous éloigne de responsabilité politique direct et individualise l’action politique, tout en délégitimant celles produites en dehors de son cadre pacifiste, sommes-nous, en tant qu’abstentionnistes, responsables des impasses du principe représentatif et des échecs structurelles des formations partidaire ? D’autant plus que les moyens employés à cette fin relèvent d’outils dont on ne maîtrise précisément pas les orientations sociétales : l’économie, l’éducation, la justice, la police, la santé, l’énergie, le travail etc.
La culpabilité est clairement un moyen pour les anciens partis politique majoritaires d’éviter toute remise en question de leurs propres échecs et trahisons. La bêtise, le désintérêt et/ou la flemme crasse des abstentionnistes sert alors d’explication de l’impuissance démocratique. Un mécanisme psycho-social tel que celui qui consiste à faire assumer le chômage aux chômereuses ou la baisse du PIB aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

Ainsi, le débat de la pertinence de la représentativité n’a jamais pris l’ampleur qu’il mérite, notamment au regard des chiffres de l’abstention ; et la légitimité à détenir le pouvoir devrait s’en trouvé largement questionnée. Il n’en est rien. Celui qui gagne, gagne, c’est la règle, point !

LIBÉRALISME AUTORITAIRE "VS" DICTATURE LIBÉRALE

Que l’on vote ou non et quel que soit le vote, il y a d’abord une posture d’opposition et chacune d’elles porte sont lot de contradiction et de danger, car on peut bien voter contre, malheureusement, on vote aussi pour, pour un programme, un programme qu’il va falloir combattre.
Malgré les marches construites pour l’extrême droite depuis Mitterrand, avec les votes barrages depuis 20 ans ou l’adoption d’un vocabulaire ouvertement autoritaire et réactionnaire de Sarkozy à Hollande et de Valls à Darmanin, aucun gouvernement n’avait autant fait pour la montée de l’extrême droite que sous le quinquennat Macron.
Pour autant, un libéralisme autoritaire n’est pas encore l’égal d’une dictature libérale. Sémantiquement (par l’étude de ce dont on parle), la nuance peut sembler subtile, mais si l’on s’arrête une seconde sur des exemples historiques pour une analyse comparative (la comparaison ne rend pas égaux ses sujets, mais aide à faire la lumière sur eux), on peut en tirer quelques instructions à même de soutenir notre choix (vote ou abstention).

Dans un contexte mondial de mouvements politiques de gauches et révolutionnaires autrement plus denses que ceux d’aujourd’hui, les années 70-80 connaissent des politiques libérales très agressives en Amérique du Sud et du Nord et aussi en Angleterre. Mais un Pinochet (Dictature libérale du Chili de 1973 à 1990) et un Reagan (Président américain, révolution conservatrice et réactionnaire aux États-Unis, 1981-1989) ou une Margaret Thatcher (Première Ministre britannique de 1979 à 1990), s’ils sont amis, ne sont pourtant pas égaux en terme d’impact politique et social au niveau national et particulièrement en terme de libertés publiques. C’est une question d’intensité de la répression sans commune mesure.
Pour prendre des exemples plus actuels, Erdogan (Turquie), ou encore Poutine (Russie) interdisent toute forme de contestation et les répriment de manière autrement plus violentes que ce qu’il nous est donné à voir dans nos dites démocraties. Mais des Trump (E.U.) ou Bolsonaro (Brésil), suprémacistes blancs assumés, anti-féministes et racistes, ouvrent en grand les portes aux groupes identitaires armés et actifs et soutiennent des recules catastrophiques en terme de droits des indigènes, droits des femmes et LGBTQI+, et droits sociaux, sans parler d’écologie.
Les institutions, qui peuvent parfois temporiser les velléités anti-démocratiques de ce types de gouvernants, ne suffisent pas toujours à balayer d’un revers de la main les barricades de papier que sont les constitutions, ni à freiner des mouvements fascistes ni à délégitimer leurs actions soutenues par des gouvernements complices

En politique internationale, entre impérialisme, colonialisme et les différentes guerres qui peuvent être menés au nom de la liberté, de religions ou autres arguments identitaires, et au regard des trois derniers siècles, la question du régime politique ne semble pas faire de différence significative en terme de fréquence ou d’intensité. Sinon que les dites démocraties font la guerre loin de chez elles, quand les dictatures ne se gênent pas pour la faire au pays voisin. Par ailleurs, aucun pays n’a fait d’avantage la guerre dans le monde que les E.U. depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Revenons alors en France. Les exemples ci-dessus ne suffisent pas à évaluer avec assurance le degré de dangerosité que représente une présidence Le Pen.
Des propos de campagne, ni une intentionnalité avérée, ne permettent de mesurer la portée d’une politique effective, mais il convient alors d’imaginer le pire et de s’y préparer.
Sa volonté de changement constitutionnel ou encore bien avant cela sa simple élection, pourrait peut-être provoquer un mouvement social. Mais comment tenir dans le long terme sur une opposition sans projet politique commun et dans un contexte où le pouvoir est obtenu selon des règles institutionnelles légitimés par le vote lui-même ?
La stratégie de communication consiste pour les deux candidats à atténuer la portée extrême-droitiste de leur idées tout en ne s’en cachant pas. Stratégie motivée à cette heure par le vivier que représente le vote Mélenchon (contre Le Pen ou contre Macron).
Nous ne pouvons que constater le processus de banalisation du discours autoritaire et raciste depuis Sarkozy, accompagné d’une politique offensive plus appuyée contre toute forme de lutte démocratique et/ou populaire, légalistes ou non, sur les cinq dernières années, particulierement éveillé par le péril GJ, criminalisant les associations de lutte contre les discriminations [3] ; pour la solidarité internationale [4] ; contre le colonialisme [5] et faisant la chasse aux sans-papiers ; attaquant les groupes antifascistes [6] ; mettant à mal le droit de manifestation (tout en divisant encore la contestation entre les bon-ne-s et les mauvais-es manifestant-e-s), en rendant presque coutumières les arrestations préventives [7] et bien sûr inscrivant dans la liste des pratiques anti-démocratiques et fascisantes l’enfermement de personnes soupçonnées « d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes criminels » [8] ; quoi qu’il arrive le chemin emprunté ne changera pas de sens.
Le vote Macron n’est pas un effet de ralentissement de la fascisation, mais disons, pour jouer sur les mots, de moindre accélération.
En 2017, le vote macron s’appuyait de manière encore crédible sur cet argument d’un front républicain faisant barrage au front national. Pourtant, le 11 février 2021, le premier sinistre déclare en direct : « Nous sommes plus radicaux que vous Mme Le Pen » lors d’un débat entre rivaux politiques à la télévision. À cet égard et en tant qu’abstentionniste, on a la conscience tranquille.
Mais la loi sécurité globale, avec un corps policier votant massivement pour l’extrême droite, tous ces outils entre les mains d’une potentielle dictatrice… Peu de doute qu’elle s’y donnera à cœur joie avec d’avantage de zèle, portée par la consécration d’un vote de réaction contre macron, le vote de la carte blanche autoritariste : la volonté d’inscrire la préférence nationale dans la constitution, donc la guerre et plus seulement la chasse, aux sans-papiers, le renforcement de l’isolement et des attaques à l’encontre des personnes LGBTQI+ et des mesures faussement sociales comme carotte et écrans de fumée, avec bien sûr des poulets qui, sans avoir besoin de plus de moyens se sentiront pousser des ailes comme jamais !

Voilà donc peut être deux des grands chantiers auxquels nous devrions nous atteler et qui émanent particulièrement des luttes anti-patriarcales et anti-racistes : accroître nos capacités d’écoute et d’accueil.
En faisant preuve de la volonté de nous remettre en question ensemble, en acceptant de laisser de la place aux désaccords pour gagner du pouvoir collectif, en ne moralisant pas nos positions particulières, en ne prétendant pas détenir la vérité ou le savoir de la bonne méthode, de la solution, de la stratégie. Car s’il y a une solution, c’est dans la multiplicité des tactiques et des fronts et la reconnaissance publique de leur intérêt commun à exister.
Cela serait alors un moyen de rendre nos solidarités plus denses, plus prégnantes, plus effectives et plus désirables : en faire un choix viable et son essor crédible. Partager cette perspective, c’est rendre possible un tel imaginaire.
La solidarité n’est pas qu’une façon politique de parler d’empathie et de prendre position publiquement. Dans les rapports de force, outre la visibilité du nombre, il y a l’acte qui engage une responsabilité et qui représente parfois une prise de risque.

Chacun-e, puisque c’est le rôle de l’isoloir, fait le choix de sa stratégie. Que l’on vote ou non ce dimanche 24 avril 2022, l’urgence à construire un mouvement d’entraide et de solidarité anti-autoritaire et démocratique semble chaque jour plus nécessaire.
Pour faire face au fascisme présent qui, comme le climat, est de plus en plus brûlant, nous devons nous renforcer, organiser nos révoltes, coordonner nos actions, créer notre propre calendrier, accepter les dissensions comme autant de forces et comme éléments formateurs de notre conception démocratique de la société et bâtir nos luttes sur les bases du monde dans lequel nous voulons vivre.

Il n’ y a pas à porter un jugement moral sur le vote, dans un sens comme dans l’autre. Et d’ailleurs, il n’y aura aucune victoire à l’issue de cette élection, sinon dans la rue.

P.-S.

l’image ci-jointe est un cliché du premier jour de la Commune de Paris pris le 18 mars 1871

Notes

[1Il est par trop injuste d’accabler les seuls partis ayant raté leur campagne, alors que le refus des alliance est la spécialité de La France Insoumise. Rappelons par ailleurs que Mitterand a mis plus de 10 ans à réaliser une telle alliance pour la trahir dans la foulée et rappelons également que Mélenchon est un grand admirateur de ce dernier, mais ça ne veut rien dire :).

[4Arrestation du Président de l’AFPS au sortir d’un rdv ministériel le 12 mai 2021, https://www.france-palestine.org/Le-president-de-l-AFPS-en-garde-a-vue-il-doit-etre-remis-en-liberte

[5Arrestation de camarades sans papier de paris à la gare de Montpellier qui se rendaient au contre sommet Afrique-france https://www.revolutionpermanente.fr/Scandaleux-des-militants-sans-papiers-arretes-lors-du-Contre-Sommet-Afrique-France-2021

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