Cet article est issu de notes prises à la main.
Il n’engage donc pas les intervenant·es.
La brochure de cet article augmenté de « Palestine & Féminismes » :
En page par page
Raji Sourani est un avocat et militant palestinien.
Emprisonné à plusieurs reprises par Israël pour ses activités politiques, il est membre du comité de parrainage du fameux tribunal de Russell [1] sur la Palestine. Habitant à Gaza, il a survécu avec sa famille aux frappes aériennes israéliennes qui ont détruit leur maison.
Aujourd’hui, dans un contexte d’acharnement contre Rima Hassan, juriste palestinienne militant pour des droits humains, mais aussi d’attaques contre des étudiant·es du comité Palestine de Science Politique Paris, l’heure est à la solidarité.
Cette conférence est organisée dans le cadre de la semaine contre l’apartheid israélien (IAW : Israeli Apartheid Week), qui existe dans les universités depuis 2005. Cette année est tristement particulière, c’est pourquoi à Rennes cette semaine s’est transformée en mois entier.
Dans plus de 10 villes de France, ainsi que dans le monde entier, se déroulent des conférences et actions pour soutenir les luttes palestiniennes.
C’est sûrement la date la plus importante pour nous, car nous accueillons M. Sourani qui a participé à la plainte à la CIJ [2].
Merci à M. Sourani, merci aux traductrices, et merci à vous d’être là.
Bonjour à tou·tes
C’est bien d’être là ce soir, à Rennes. Je suis content de voir toute la solidarité pour la Palestine, en grande partie par un jeune public.
Les jours juste après le 7 octobre dernier, nous, activistes, avocat·es, académistes... avons essayé de comprendre ce que l’État israélien voulait faire. Au bout de 10 jours, nous avions la triste réponse et nous avons compris que c’était d’un génocide qu’il s’agissait.
Je suis né et j’ai vécu à Gaza. J’ai traversé 6 guerres différentes. Gaza est depuis 17 ans sous total blocus israélien. Mais je n’avais jamais vu une telle violence que celle qui se déroule en ce moment même.
Pour caractériser un génocide, il faut prouver 2 choses : 1. l’intention d’effectuer un génocide - 2. Des actes génocidaires.
1. L’intention est d’habitude difficile à démontrer. Mais pour cette fois-ci, ça nous a été très facile, il suffisait d’écouter les dirigeants israéliens. Ils ont dit qu’ils ne faisaient pas la différence entre les civils et la résistance, entre les Gazaouis et le Hamas. Le ministre de la défense israélienne, Yoav Gallant, a qualifié les palestinien·nes « d’animaux humains ». Il a ajouté vouloir affamer les gazaouis : « Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. »
Le 1er ministre israélien a quant à lui déclaré que les gazaouis doivent quitter Gaza, que ça soit pour la mer ou pour le Sinaï.
2. Depuis la 1re heure jusqu’à maintenant, ce sont plus de 34 000 personnes tué·es, dont 83% de femmes et d’enfants. Tous les jours, ce sont 10 enfants qui meurent sous les bombes et les tirs israéliens. A cela s’ajoute 10 enfant, par jour aussi, qui se font amputer.
En terme de destruction physique : 80% de Gaza a été rasé ou gravement endommagé. 80%... Des hôpitaux sont bombardés, avec des malades à l’intérieur, des ambulances avec des médecins dedans, des maisons... Le plus grand hôpital de Gaza est détruit, le plus vieux l’est aussi.
Quand nous parlons de bombardements, nous parlons de roquettes qui font 1 à 2 tonnes. Les boulangeries, les infrastructures de gestion de l’eau, d’énergie solaire sont prises pour cible. Même les lieux de refuge, comme les mosquées ou les écoles, sont visés.
La conséquence est un déplacement massif des gazaouis d’1,6 millions de personnes qui tentent de se réfugier dans un endroit plus sûr dans le sud de Gaza. Mais aujourd’hui, il n’y a aucun lieu sûr à Gaza. Ces réfugié·es sont concentré·es dans moins de 40km² depuis 5 mois et demie.
A tout cela, l’armée d’occupation [3] ajoute la famine comme pratique de guerre. Nous n’avions jamais vu ça. Des centaines de camions à la frontière de Rafah ne sont pas autorisés à entrer dans Gaza. Israël affame tout simplement les gazaouis.
Ils ont pris pour cible les champs, les plantes et les arbres... C’est-à-dire notre fierté même, notre richesse, car les importations étaient très limitées à cause du blocus total de Gaza.
Quand je parle de famine, je veux dire des personnes qui ne mangent pas pendant 5 jours. Et quand il est possible de manger, c’est du pain, ou de la soupe.
L’État d’Israël a le record en crimes : crime de guerre, crime contre l’humanité, et aujourd’hui génocide.
Mais l’Europe et les États-Unis continuent de soutenir Israël : ils leur donnent un passe-droit pour tous ces crimes. Nous sommes tués par les États-Unis et l’Europe. Les vies de nos frères et sœurs sont enlevées par les armes de l’Occident. Nous avons dans nos corps des balles occidentales.
Quand la Russie a envahi l’Ukraine, l’Europe et les USA ont crié à l’invasion, à l’occupation. Le droit à l’autodétermination des ukrainien·nes a été mis avant, que l’on devait soutenir l’Ukraine. L’UE et les USA soutiennent par les armes et l’économie l’Ukraine face à l’invasion russe. Politiquement, le droit à la résistance ukrainienne est validé.
En moins de 20 jours, l’Occident s’est agité et a chercher par tous les moyens d’aider l’Ukraine.
Nous, c’est pas depuis 20 jours qu’on attend, mais ça fait 58 ans d’occupation belligérante. Et ça, c’est la version courte, la version longue serait plus de l’ordre de 75 ans d’occupation.
« Porter la voix
de la Justice »
Nous avons essayé, avec celleux qui représentent les victimes, avec des avocat·es, de porter la voix de la Justice. Mais le système israélien, le système d’occupation, nous a bloqué. Nous nous sommes alors tournés vers les voix internationales. On a fait pression sur l’Angleterre, l’Afrique du Sud, la Suisse, la Nouvelle Zélande... A chaque fois nous avons été empêché, ceci afin de protéger Israël.
Après tous ces efforts, c’est en mars 2021 que la CIJ a ouvert une enquête pour génocide contre l’Israël, à l’initiative de l’Afrique du Sud.
La CIJ est la juridiction qui peut caractériser un génocide, et seul un État peut lancer une accusation auprès d’elle. Après des mois où l’on a tout donné, nous avons finalement convaincu l’Afrique du Sud de porter la plainte contre Israël.
Pour rappel, l’Afrique du Sud c’est le pays qui a vaincu l’apartheid : le message est fort. Mandela nous a dit : « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestinien·nes ».
Peut-être que ça vous semble ennuyant de parler de la loi. Mais ce ne sont pas les palestinien·nes qui ont créé la Constitution internationale des droits humains. La CIJ est la plus grande juridiction produite depuis la 2d guerre mondiale, qui pour rappel a vu 85 millions de civils tués. Les civils ne devraient jamais être la cible de la guerre.
Après l’Holocauste, Hiroshima, le génocide des tsiganes, il fallait réagir. Une convention contre les génocides a été créée, convention qu’Israël a ratifiée. C’est de là que vient l’expression "Plus jamais ça", qu’Israël ressort à chaque israélien·ne tué·e, mais qui ne se l’applique pas à lui-même.
En portant cette plainte à la CIJ, l’Afrique du Sud a marqué toute l’humanité et a mis sur la table les massacres, destructions, déplacements de populations forcés... C’est une grande leçon à l’Occident colonial et raciste. La loi du droit devrait nous régir, plutôt que la loi de la jungle. Cette plainte a été courageusement portée face à "l’armée la plus éthique du monde", petit nom donné par les pays occidentaux à l’armée d’occupation israélienne.
Je tire mon chapeau à l’Afrique du Sud.
L’inaction de l’Europe
depuis le rendu de la CIJ
Dans son rendu, la CIJ a jugé plausible la caractérisation de génocide, et a ordonné 6 mesures à l’État d’Israël.
C’était le 28 janvier 2024.
Aujourd’hui, mi-mars 2023, qu’a fait l’UE depuis le rendu ? Rien.
Enfin si, elle a continué de protéger Israël. Elle a continué de soutenir Israël. Elle a continué à lui vendre des armes. Elle a continué à le soutenir diplomatiquement.
Pendant ce temps, pour les palestinien·nes, pour les enfants, c’est la mort et la famine au quotidien. Aussi, le développement accéléré des colonies israéliennes depuis octobre est totalement illégal au regard du droit international.
Il y a là un irrespect total pour les principes de base et le droit international.
Honte à l’Europe coloniale qui protège Israël !
Honnêtement, nous ne pensons pas que cela va se régler rapidement. Même si l’on sait que chaque minute compte, chaque minute ajoute mort, destruction et souffrance. Mais les palestinien·nes ne feront jamais figure de bonnes victimes. Iels représentent une cause juste, et la victoire est au bout de notre combat.
Nous n’oublierons pas les complices de ces crimes. Car ils ne sont pas secrets, mais diffusés en live sur internet.
Pour rappel, Israël a demandé au pape de s’excuser pour l’Holocauste, car il savait mais n’a rien dit. Aujourd’hui, qui n’est pas au courant du génocide ?
Chaque goutte de sang est sacrée, peu importe la race, la religion, le sexe.
Nous savons que la Palestine vaincra, tôt ou tard. Et les criminels auront des comptes à rendre.
Se tenir auprès
despalestinien·nes
Les palestinien·nes ne lâcheront pas le combat. Mais comment pouvons nous être soutien et se tenir aux côtés d’elleux ?
Il y a déjà la campagne BDS : Boycott, Désinvestissement, Sanction. Cette campagne est issue de la société civile palestinienne, et s’inscrit dans la continuité des autres formes de résistance palestiniennes, comme les grèves générales.
Depuis 2004, un appel au boycott académique et culturel a été lancé pour contrer le narratif d’Israël et alerter la communauté internationale. Car Israël tente de se normaliser grâce au culturel.
En 2005, une réunion de plus de 105 organisations civiles palestinienne a lancé le début de la campagne BDS. Les objectifs de cette campagne sont triples :
1. Mettre fin à l’occupation et à la colonisation de toutes
les terres arabes et démanteler le mur de séparation illégal
2. La reconnaissance des droits fondamentaux
des palestinien·nes de 48 [4]
3. La protection des réfugié·es et la défense
de leur Droit au Retour sur leur terre d’origine
La campagne BDS s’inspire des luttes décoloniales, du mouvement américain pour les droits civiques et de la marche du sel.
La stratégie de cette campagne est la non-violence, mais cela ne signifie pas qu’elle ne soutient pas les autres formes de lutte.
B comme Boycott
Le Boycott est plus à l’échelle individuelle et collective. L’objectif est de visibiliser les produits en provenance d’Israël et d’avoir un impact négatif sur leurs ventes. Mais aussi de boycotter tout évènements sportif ou académique qui participent à la normalisation d’Israël.
D comme Désinvestissement
Le Désinvestissement est plus au niveau des structures, entreprises et universités. L’objectif est, par exemple, de faire stopper les partenariat entre les universités françaises et israéliennes, car ces dernières font partie intégrante du processus colonial. Même chose pour toutes les entreprises qui collaborent avec l’État d’Israël ou des entreprises israéliennes.
S comme Sanction
Les Sanctions sont plus à l’échelle étatique. L’objectif étant que les États sanctionnent directement Israël, que ce soit économiquement ou diplomatiquement. En France, on en est loin.
Prise de parole du comité de soutien
au peuple palestinien de Rennes 2
Ce comité s’est créé en novembre en réaction à l’offensive israélienne sur Gaza. On se réunit toutes les semaines sur la fac.
Nos actions sont tournées vers le soutien des luttes palestinienne, par des lâchés de banderole, des sensibilisations sur le génocide en cours, etc.
On cible aussi tout particulièrement Rennes 2 et son partenariat avec l’entreprise HP, complice du génocide par la vente de matériel informatique et la vente de services à l’État d’Israël. Nous condamnons ce partenariat ainsi que le manque d’action de l’université Rennes 2 en faveur des palestinien·nes.
Une motion de soutien à la Palestine a tout de même été votée par l’université, mais a été très rapidement retirée du site internet.
Pour nous suivre sur instagram : @comite.soutien.palestine.R2
Prise de parole du comité
Palestine de Beaulieu
Au comité de Rennes 1, nous relayons la campagne BDS.
L’université de Rennes 1 a une place importante dans l’armement d’Israël, par des partenariats de recherche avec Thalès.
Thalès, une entreprise française qui a du sang sur les mains à Gaza, en étant partenaire d’une entreprise israélienne a qui elle vend des drones. L’institut de recherche en cybersécurité de Rennes 1 participe donc à construire des drones qui tuent les civils gazaouis.
Il y a un travail de vulgarisation sur leurs liens étroits que nous essayons de mener, à l’aide de collages et de conférences.
L’idée étant aussi d’appeler la présidence à arrêter ce genre de partenariat.
Question à Raji Sourani
1. La CIJ est une arme judiciaire issue de l’Occident, et c’est la 1re fois qu’elle sanctionne son propre camp. Quel avenir espérez vous de cette instance ?
2. Pouvez vous préciser le contenu des 6 mesures préventives du génocide en cours déclarées par la CIJ ?
3. A propos du droit à la résistance des palestinien·nes, comment peut-on œuvrer pour qu’il soit respecté ? Que répondre aux gens qui soutiennent les palestinien·nes mais leur dénient le droit à la résistance armée ?
La 1re expérience enrichissante de la CIJ était en 2005. La 2d est donc cette année, à propos du génocide en cours.
Nous espérons toujours faire reconnaitre l’illégalité de l’occupation israélienne.
Pour le droit à la résistance, le droit international le reconnaît déjà, sans ambiguïté. Il est par exemple totalement accepté en Ukraine. Pour nous, une occupation = une occupation. Des crimes de guerre = des crimes de guerre. Il ne peut y avoir deux poids, deux mesures.
La Russie a tué 450 enfants. Israël en a tué plus de 14 000 à Gaza !
Nous voulons utiliser le droit international de façon juste et équilibré. Pour autant, nous savons très bien qu’aucun empire colonial n’a été vaincu par une Cour Internationale de Justice. Et encore moins quand le monde dit "civilisé" tourne le dos aux résistances légitimes.
Pour la 2de question, les 6 mesures demandées à Israël sont celles-ci :
• Arrêter d’enfreindre la convention sur le génocide en visant des civils
• Prévenir l’incitation directe et publique à commettre le génocide
• Punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide
• Prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la
fourniture de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza
• Conserver les preuves liées à l’accusation de génocide
• Présenter un rapport à la Cour d’ici un mois sur toutes les mesures
prises conformément à cette ordonnance
Pour rappel, 38 hôpitaux de Gaza ville sont hors d’état de fonctionner.
Dans la réalité, ces mesures sont applicables qu’avec un cessez-le-feu.
L’Europe est très hypocrite dans l’affaire. Elle fait semblant d’être impuissante et de se soucier des palestinien·nes en suppliant Israël de laisser passer l’aide humanitaire dans Gaza. Pourtant, ça n’a pas l’air d’être compliqué de livrer des bombes, des armes et des avions. En tout cas plus facile que l’aide humanitaire.
Pour ouvrir sur les perspectives de la campagne BDS, les accords commerciaux entre l’Union Européenne et Israël sont fondés sur le respect des droits humains et des principes démocratiques comme éléments essentiels. Tous les crimes d’Israël sont très bien documentés, de manière légale, ce qui permettrait à l’UE de suspendre sans délai ces accords.
Les visuels de l’article viennent de :
• @Flyers_For_Falastin
• @Falesteen.Favorites
• @Goldendean_Art
• Formesdeluttes.org
Texte écrit et mis en page par :
douceuradicale@riseup.net
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