Au lendemain du renversement du gouvernement par le vote d’une motion de censure, avec une petite équipe du Réseau de ravitaillement des luttes du pays rennais (R2R) et des greniers des Soulèvements de la terre, nous nous rendions sur le site de l’usine Michelin à Cholet pour y faire une distribution alimentaire en soutien aux ouvriers et ouvrières dont les emplois sont menacés. En effet, Michelin a annoncé en novembre dernier la mise à l’arrêt des activités sur le site de Cholet et de Vannes d’ici 2026, privant ainsi 1200 personnes de leur emploi.
L’usine Michelin de Cholet se trouve rue de Toutlemonde. En arrivant, on aperçoit quelques barnums, des palettes qui brûlent et un groupe de personnes rassemblées autour de l’espace qui sert également aux cantines de luttes d’Angers (le Raare), de Cholet et de Bressuire (le Plat de résistance) venues cuisiner régulièrement pour le comité de lutte depuis quelques semaines.
On installe nos tables et nos cagettes entre les pneus et les palettes ; la route et l’usine. La distribution commence.
Si le vote de la motion de censure n’a jamais été mentionné ce jour-là, les échanges nous ont permis de constater à nouveau l’impact délétère des politiques néo-libérales sur les classes prolétaires. Au détour d’une discussion avec un des membre du comité de lutte, nous apprenons qu’il fait face à son deuxième plan social en 7 ans. L’évocation de ces plans sociaux à répétition rend la situation encore plus anxiogène, beaucoup nous donnent rendez-vous dans 5 ans pour le prochain plan social - "à ce rythme là...".
Pourtant, il n’est pas toujours facile de ramener nos légumes sur un piquet de grève : "donnez à ceux et celles qui en ont vraiment besoin" entend-on souvent. Ce jour-la, en décidant d’aller ravitailler les salarié.es d’une usine de l’industrie automobile, ce n’est pas la charité ou la pitié qui nous animent. Nous ne sommes ni la croix rouge ni les restos du cœur. Notre geste est avant tout politique. Si le soutien matériel est indéniable - nous connaissons les fins de mois difficiles, les jours de grève qui amputent la feuille de salaire et le soulagement de repartir avec un sac cabas rempli de produits de qualité -, nous voulons avant tout construire des ponts entre des mondes qui ne se rencontrent jamais.
Partager la nourriture récupérée auprès de la grande distribution, de maraîchers et boulangères solidaires, offrir les légumes cultivés avec le R2R et les Greniers rennais, offrir une bouteille de "Premières cuvées" des caves des Soulèvements sont des gestes qui vont bien au-delà du pur soutien matériel. Il s’agit avant tout d’affirmer aux camarades en grève : "nous sommes du même camp, nos ennemis sont communs". Ce sont les mêmes patrons qui licencient en masse et qui ravagent le monde, menaçant au passage la santé des travailleurs et travailleuses. Ainsi, le groupe Invivo qui stocke sur le port de La Rochelle les matières premières irriguées par les méga-bassines (et bloqué l’été dernier par Les Soulèvements de la Terre) réprime dans le même temps les syndicalistes de Neuhauser en Moselle.
Que ce soit le paysan endetté et asservi aux coopératives agricoles, la manifestante martiquinaise contre la vie chère, l’ouvrier licencié de chez Michelin, l’étudiante qui fait la queue pour l’aide alimentaire, nous partageons une condition commune. Se rencontrer, discuter devant un feu de palettes, partager un bout de fromage au milieu des pneus permet à chacun.e de faire un pas de côté dans l’ordre symbolique des choses, se décaler de son identité politique figée et de se confronter à l’altérité. Malgré nos différences d’appartenances politiques, de générations et de corporations, nous échangeons au-delà des questions d’identité ou d’idéologie qui tendent souvent à diviser les classes populaires. Particulièrement dans le contexte de montée de l’extrême droite qui nous rappelle l’importance d’instaurer un dialogue et de créer du lien entre différents espaces de lutte.
Ce qui donne envie de lutter, ce sont ces instants de grâce où le camarade de chez Michelin repart avec 10 poireaux des greniers sous le bras en plaisantant. Ce sont les partages de recettes, d’anecdotes qui petit à petit nous relient et nous permettent de parler de l’intime, parler de la honte et de l’angoisse mais aussi de la colère et des envies de lutter communes.
Depuis les Greniers des Soulèvements de la terre, nous avons écrit, il y a quelques semaines, une tribune commune en soutien au mouvement contre la vie chère en Martinique car nous y avons trouvé des gestes de révolte forts qui nous ont parlé. Nous avons une pensée pour le R, leader du mouvement, toujours maintenu en détention et dénonçons la répression néo-coloniale qui s’abat encore sur la Martinique.
Construire des ponts entre les mobilisations d’outre-mer, les mobilisations agricoles et ouvrières nous permet de rencontrer des personnes qui relèvent la tête, qui refusent le destin que les capitalistes avaient écrit pour leur classe, et de faire converger les dignités.
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