information par et pour les luttes, Rennes et sa région

Tribunal de Rennes : un procès politique en France au 21 ème siècle ou la science-fiction du passé. *

Rennes
Répression - Justice - Prison

Ce mardi 11 mai 2023 la cour du TGI de Rennes entre autres affaires de Droit Commun, jugeait T.T reporter photographe, pour : « Menace violence ou acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il accomplisse ou s’abstienne d’acte de son mandat » et « dégradation détérioration de bien d’autrui... »

Le déploiement de forces de l’ordre est à la mesure de l’événement . Une dizaine de fourgons de CRS avec le poulet dedans, Quelques fourgons de gendarmes mobiles pour faire bon poids , la Compagnie Départementale d’Intervention pour qu’elle soit pas jalouse et puisse être sur les images de Radio Croco. Un canon à eau, car visiblement notre intention de prendre d’assaut la Cité judiciaire a été ébruitée.

En effet une horde d’une cinquantaine d’ultra-gauchistes partage du café, des brochures, et des propos suspects sur le parvis de la Cité Judiciaire. Une sommaire tente de jardin a même été dressée.

Le croco reporter est en retard et rate les présentations, pas grave on se connaît déjà : T.T photographe de Paimpol, Me Pacheu avocat, le Procureur (accusateur public) les journalistes qui notent, celui qui ne note pas, beaucoup de personnes qui attendent leur tour, leurs proches et leurs avocats, des soutiens de TT, des poulets dans les escaliers et les recoins.

La police masquée jusque sur les procès-verbaux.

Me Pacheu, avocat de la défense, attaque d’emblée la procédure. Il est question de savoir si les procès-verbaux anonymes dressés par les policiers dans l’affaire T.T pouvaient justifier du bien fondé et de la légalité de leur anonymat. Le procès verbal est normalement dressé par un agent à titre nominatif.Cependant la dissimulation de son identité peut être justifiée pour le protéger d’éventuelles représailles. C’est prévu par la loi ,en particulier dans les affaires de terrorisme, de crime organisé etc. Pour ces raisons, cela est strictement encadré, relativement à la durée des peines encourues notamment. Et le parquet c’est-à dire le procureur doit justifier de l’anonymat accordé aux policiers. En revanche, la défense n’a pas accès aux explications du procureur. Faut se faire un peu confiance...Le procureur est piqué au vif du dossier ; si le s procès-verbaux sont invalidés il n’y a plus de procédure. Il explique donc qu’évidemment l’anonymat était nécessaire pour protéger les preux policiers du photographe jeteur de poubelle. Le parquet applique la LOI et si ça ne plaît pas à Me Pacheu , « il n’a qu’à devenir député pour la changer » Il évoque les « tentatives de meurtres « que les policiers subissent de la part des black-blocs, « des jets de cocktails Molotov » qui « font l’objet d’une enquête à Rennes », pour tenter de les articuler avec les photographies de policiers et de gendarmes publiées sur la page Facebook du prévenu au prétexte « qu’il pourrait révéler les noms, et pourquoi pas les adresses des policiers ». Le procureur essaie de convaincre la cour que le prévenu est membre d’un réseau de persécutions de la Police et des élu.e.s d’une ampleur insoupçonnée. On ne peut pas lui reprocher son manque d’imagination.

La requête en nullité de la procédure sera examinée par les juges qui devront justifier d’en avoir tenu compte ou pas. Ce point technique est d’importance : nous voyons partout les flics se dissimuler, dissimuler leur numéro de série (le fameux RIO), et ici dissimuler leur nom dans une procédure, or les agents de l’État, les fonctionnaires en général et les forces de l’Ordre en particulier doivent pouvoir rendre compte nommément de leurs actes. On voit tout le problème d’une machine répressive qui serait entièrement anonymisée.

Une enquête très personnalisée.

Cet aspect traité, la cour s’attache à décortiquer la personnalité de l’accusé. Le procureur a préparé une sauce accusatoire à base de condamnations datant de plus de 15 ans (quand T.T était encore jeune mineur) remixé avec les 3 autres procédures que les Forces de l’Ordre ont engagé à son encontre, et une condamnation subie suite à l’acharnement d’une brigade de gendarmerie en 2021 (voir épisode 1). Ainsi l’individu serait bien un dangereux repris de justice, rebelle à toute autorité, et prêt à tout pour nuire à la République, à l’État et à ses représentants. La juge questionne « Mais pourquoi vivez vous en camion ? « , « Votre mère a parlé d’un style de vie marginal », la juge renonce tout-de-même à lui demander pourquoi il n’est pas marié à son âge, sans doute inquiète des menaces que cela pourrait susciter de la part l’ultra gauche rennaise. Pourquoi n’a-t-il pas de travail et vit-il du RSA ? Les interdictions de séjour prononcées dans le cadre de ces contrôles judiciaires n’aident pas à trouver un travail et à s’installer. Même s’il est présumé innocent jusqu’à une éventuelle condamnation définitive, T.T est interdit de séjour chez lui, à Paimpol, et en Ille-et-Vilaine. Il a toutefois une proposition de taf en tant que moniteur de voile (une de ses couvertures) mais attend de savoir s’il est libre, de faire du bateau pour s’engager auprès d’un employeur. La juge paraît méditer. C’est son taf.

Le doute par l’image.

Enfin un peu de détente, c’est le moment de regarder la vidéo avec les jets poubelles. Malheureusement le bel et grand écran mural ne fonctionne pas. Il faudra se contenter du grand écran de l’ordinateur d e la juge posé au coin de sa table sur la scène. Enfin sur l’estrade. Le croco reporter passe discrètement du dernier au premier rang pour ne pas en perdre une miette. Nous connaissons déjà cette vidéo, on y voit des personnes floutées, entasser des poubelles devant une porte. Tout à droite de l’écran T.T filme avec son téléphone, c’est le seul qui n’est pas flouté. Il se saisit d’un sac poubelle à sa gauche qui commence à se répandre , visiblement éventrée, il jette le sac à peu près vide sur le côté en regardant derrière lui,un peu blasé, sa consœur journaliste. Joli gros plan sur le visage de T.T. C’est pour cela que vous êtes ici rappelle gentiment la juge. T.T essaie d’expliquer la situation, le petit sas d’où il filme, l’entassement de poubelles, le container dans son dos, le sac qui le gène qu’il essaie d’éloigner et se répand à moitié sur lui. La juge opine sans trop y croire. Oui, il y a déjà beaucoup de poubelles, oui, il est le seul à ne pas être flouté, et pour cause la journaliste sait qu’il s’agit d’un confrère pour le croiser fréquemment sur le terrain, oui, mais...Il secoue la poubelle et rejette le sac vidé .

Le cœur de l’affaire : les poubelles.

Et pourquoi ? Comment ce reporter est-il présent avec ce bataillon rebelle de 50 à 100 personnes (suivant les versions des un.es et des autres) ? Il dit suivre un appel de Solidaire 35 à un rendez vous au métro Gayeulles sans en connaître l’objectif. Quand il arrive à l’immeuble concerné, n’étant pas rennais il ne sait pas trop où il est ; en fait dans des locaux de Renaissance ou doit-on dire de la République en Marche ? Me Pacheu lui-même exprime son doute sur le sujet de la dénomination légale du parti présidentiel. Il mettra par contre en lumière qu’il est difficile d’avoir l’intention de menacer ou d’intimider quelqu’un dont on ne connaît pas l’existence ni le rapport avec l’action menée. Des poubelles ont déjà été réparties du rez-de chaussé et à l’étage. Il capte photos et vidéos. T.T travaille en solo. Sur les images de vidéos surveillance mises au dossier, ou d’autres de France 3, de BFM, de Radio Croco ou du Reporter indépendant, on peut souvent l’apercevoir l’appareil photo à la main. Mais furtif, il a peu d’interactions sociales. Et, sur la vidéo où des militant.e.s font la chaîne pour entasser les poubelles,et dont le visage est flouté,il est le seul , visage découvert, écartant une poubelle gênante. La cour n’a pas jugée utile d’entendre la journaliste autrice de la vidéo et pourtant témoin de choix. Passons, la cour n’a pas les moyens de telles investigations.

Enième retour sur la personnalité.

Par contre la juge est curieuse , à l’incitation du procureur, de comprendre « la personnalité » de l’accusé plutôt que de vérifier et de comprendre les faits. Elle évoque « des troubles » dans l’enfance sans justifier la source médicale , insiste sur les condamnations datant de l’adolescence , et voudrait étayer la possibilité d’une volonté « d’intimidation sur élue ». T.T se récrie , et insiste sur "son amour de la vie , de la photo" de son soucis de témoigner et nullement d’intimider ou de s’opposer à tout principe d’autorité, Il rappelle ses expériences de moniteur de voile encadrant des jeunes, de correspondant pour Ouest-France et ses bons rapports avec les élu.e.s dans le cadre de ses activités sportives ou journalistiques...

La défense rappelle encore le Droit

Me Pacheu revient coûte que coûte au fond de l’affaire : est-ce que , quand bien même la qualité de journaliste ne suffirait pas à motiver la relaxe, ou, la nullité des procès-verbaux à éteindre la procédure, est-ce que l’installation de poubelles dans les locaux d’un parti politique peut constituer une intimidation et une menace visant à faire modifier le choix d’un.e élu.e ?

En citant les textes de référence, Me Pacheu montre que l’intimidation consiste en une menace a sur un individu. Les poubelles encombrant les locaux de Renaissance pendant que Mme Méhaignerieest en commission à l’assemblée nationale constituent-elles cette menace ?

Y’a « intimidation » et « intimidation »

Il rappelle qu’il y a deux ans à Rennes, les policiers sont venus, de nuit, à plusieurs véhicules de services faire fonctionner leurs sirènes pendant 10 mn à proximité immédiate du domicile de la maire, Mme Apéré . Sans doute munis de leur armes de services, manifestant en tout illégalité en tant que policiers..Il mentionne les véhicules et le domicile incendiés du maire de Saint Brévin, poussé à la démission pour avoir accepté l’installation d’un Centre d’Accueil pour Demandeur d’Asile à la demande l’État. Mais menacé et « intimidé » par des organisations d’extrême-droite .

Après avoir signalé ce qui d’évidence constituait des agressions et des menaces sérieuses envers des élu.e.s , la défense rappelle les arrêts de la cour de cassation de la Cour Européenne des Droit de l’Homme concernant les infractions mineures commises dans le cadre de manifestations politiques . Ainsi la CEDH pour les Femen, ou la cour de cassation concernant les décrochages de portraits présidentiels de Macron en mairie, ont statué que les infractions d’exhibition dans un cas, et de dégradation ou vol de matériel public dans l’autre ,ne pouvaient être poursuivies dans le cadre de manifestations politiques. Le droit à manifester et la liberté d’expression prennent alors le pas.

L’accusation rame, la défense demande la relaxe.

La juge elle-même semble y réfléchir, c’est son taf. Le proc en toc (c’est pour la rime et son réquisitoire en carton) prononce un réquisitoire incohérent, en cela en accord avec les chefs d’inculpation et la procédure. La peine encourue faut-il le rappeler pour » Menace violence ou acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il accomplisse ou s’abstienne d’acte de son mandat » est de dix ans de prison.

On peut le comprendre, pour protéger les élu.e.s de la République des pressions violentes, et assurer la pérennité et la tranquillité du système de démocratie par représentation. Le procureur insiste sur la personnalité déviante de l’accusé, depuis la jeunesse, son goût évident pour les ordures et leur projection sur les élu.e.s et sur les représentant.e.s de l’Ordre et de l’autorité. Et ceci dans quel but ? Vous n’avez rien suivi ! Dans le but de les menacer et d’obtenir par la terreur de maintenir l’âge de départ légal à la retraite à 62 ans. Et pour des actes pareils » Menace violence ou acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il accomplisse ou s’abstienne d’acte de son mandat » encourant dix ans de prison que requiert le terrible procureur ? 9 mois avec sursis....La qualification des faits est visiblement inappropriée. La défense avait souligné n’avoir trouvé ce chef d’inculpation nulle-part dans la jurisprudence .Et au vu de la peine requise, même pour le procureur, T.T ne serait pas le dangereux personnage qui intimide une élue.... Me Pacheu demande la relaxe. Plutôt indulgent avec le procureur.

Après ce cirque kafkaïen , tout le monde est épuisé . Pourtant de nombreux procès dans cet après-midi vont suivre , prévenu.e.s, familles , ami.e.s , avocat.e.s, ont attendu que « l’affaire des poubelles passe »...Il faudra attendre le 22 juin, pour qu’un verdict estival tranche le cas de T.T reporter .

Avicen pour RADIO CROCO.

*J’eus aimé trouver ce titre en 1983 : il est excellent et aurait pu faire un best-seller juteux, mais surtout, il eut peut-être permis de lancer l’alerte, de susciter l’inquiétude chez mes contemporain.e.s et ainsi d’éviter qu’on en arrivât là.

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par une administratrice du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Derniers articles de la thématique « Répression - Justice - Prison » :

Causerie : Thomas Sankara

Projection d’un reportage sur Thomas Sankara, figure révolutionnaire du Burkina Faso. On causera lutte décoloniale, libération des femmes, écologie, et auto-organisation du peuple !

Dimanche 26 mai journée nationale contre les violences carcérales

Nous vous invitons toustes, organisations, collectifs, individuEs, à la journée qui aura lieu le 26 mai prochain devant la prison des femmes de Rennes, à 11 h pour un rassemblement festif et solidaire en dialogue avec les prisonnières lors d’un parloir sauvage, ce rassemblement sera suivi d’une...

> Tous les articles "Répression - Justice - Prison"

Vous souhaitez publier un article ?

Vous organisez un évènement ? Vous avez un texte à diffuser ?
Ces colonnes vous sont ouvertes. Pour publier, suivez le guide !
Vous avez une question ? Un problème ? N’hésitez pas à nous contacter