Le jeudi 13 mai [2021], vers 9h30, j’ai jeté un œil à mes messages alors que j’allais commencer à préparer le dîner pour la soirée de l’Aïd. L’un des militants du "No Evictions Network" ("réseau anti-expulsion") a publié une photo d’un fourgon des services d’immigration dans la rue Kenmure à Pollokshields et avait déclaré qu’il essayait de comprendre ce qu’il se passe, et a demandé à d’autres membres du réseau de venir le soutenir. Alors que de plus en plus de membres du réseau arrivaient, il s’est avéré que des agents de l’immigration (équivalent de la Police aux Frontières en France) avaient fait une descente au domicile de deux hommes, Sumit Sehdev et Lakhvir Singh, et les avaient mis dans leur fourgon.
Le fourgon de l’immigration n’a pas pu partir car il était encerclé par des militant·es, et l’un d’eux s’était glissé sous le fourgon (et y est resté huit heures pour s’assurer qu’il n’irait nulle part). Les militant·es ont rapporté que la police écossaise est venue aider les agents de l’immigration en appelant les militants à se disperser.
En signe de solidarité, des milliers d’habitant·es de Pollokshields ainsi que des personnes de toute la ville se sont rassemblées pour empêcher cette descente des services de l’immigration. Les deux hommes, tous deux migrants originaires d’Inde, ont finalement été libérés.
Tout au long de la journée, j’ai lu des articles de presse et des commentaires sur les réseaux sociaux sur la gentillesse et l’accueil des habitant·es de Glasgow envers les nouveaux arrivant·es, comme si cela suffisait à expliquer la solidarité massive contre ce raid d’immigration en particulier. Si Glasgow a la réputation d’être une ville amicale, elle a également une histoire de racisme qui remonte à l’époque de l’empire et aux attaques contre les marins noirs en 1919. J’ai également lu des articles attribuant la libération des deux hommes aux actions individuelles d’activistes.
C’est une erreur.
Les individus et les habitant·es sympathiques de Glasgow ont sans aucun doute joué un rôle, mais la véritable raison de l’immense solidarité manifestée dans les rues de Pollokshields et de la libération des deux hommes doit être attribuée à l’infrastructure populaire que la ville a construite au cours de son histoire de solidarité avec les migrant·es depuis qu’elle est devenue une ville de dispersion pour les réfugiés du système d’asile en 2000.
La politique d’austérité du gouvernement britannique a conduit à la création de zones de dispersion des demandeurs d’asile, Glasgow étant la seule en Écosse. Une fois la dispersion à Glasgow commencée, le raciste "British National Party" (« Parti national britannique ») a commencé à proférer de violentes menaces à l’encontre des réfugié·es nouvellement arrivé·es en quête d’asile. Le meurtre de Firsat Dag, un réfugié kurde de 25 ans, dans le quartier de Sighthill à Glasgow, a conduit des militant·es à former la "Campaign to Welcome Refugees" (« campagne pour accueillir les réfugié·es »).
En 2005, le ministère de l’Intérieur a commencé à effectuer des descentes à l’aube. Il s’agissait de raids contre les immigré·es effectués au milieu de la nuit sans avertissement préalable, au cours desquels les familles étaient réveillées et emmenées dans des fourgons d’immigration vers des centres de détention, ne pouvant emporter avec elle que les vêtements qu’elles avaient sur le dos.
Les "Glasgow Girls" (un collectif de femmes opposées aux raids de l’immigration) ont été créées en 2005 lorsqu’une des membres d’un groupe d’amies d’école a été perquisitionnée à l’aube. Le "Unity Centre" (un centre social autogéré de Glasgow), qui fait partie du "No Evictions Network", a été créé vers 2005 par des militant·es opposé·es aux perquisitions à l’aube. Il est important de noter que les perquisitions à l’aube ont été rendues possibles grâce à l’aide apportée par la police écossaise aux agents de l’immigration. Des militant·es cohérent·es et déterminé·es ont influencé la décision de la police écossaise de mettre fin à cette coopération, ce qui a mis fin aux perquisitions à l’aube en 2006, même si les perquisitions des agents de l’immigration sur les lieux de travail ont continué.
Le réseau "No Evictions Network" a été créé en 2018 après que Serco, l’organisme qui hébergeait alors les demandeurs d’asile à Glasgow, a annoncé son intention de changer les serrures de 330 personnes dans le système d’asile, les rendant ainsi démunies. Le réseau est composé du "Unity Centre" et de "Migrants Organizing for Rights and Empowerment" (MORE - "Migrant·es organisé·es pour les droits et l’enpouvoirement). MORE a été créé pour s’opposer aux expulsions proposées, et lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé et que plus de 400 réfugié·es du système d’asile ont été transféré·es dans des hôtels, ses objectifs ont changé pour soutenir les personnes détenues dans les hôtels. Le réseau les a soutenus en faisant campagne pour le rétablissement de l’allocation d’asile pour une alimentation plus saine et appropriée, qui avait été supprimée, et en fournissant des recharges téléphoniques pour que les gens puissent rester en contact avec leurs proches. Cela a conduit un nombre croissant de personnes dans le système d’asile à rejoindre le réseau et à devenir elles-mêmes des militantes.
Ainsi, les actions racistes et violentes du système d’immigration du ministère de l’Intérieur ont galvanisé toute une génération d’activistes et créé une culture de solidarité antiraciste envers les migrants à Glasgow.
Lorsque le réseau "No Evictions Network" a découvert que le ministère de l’Intérieur avait de nouveau mené une descente à Glasgow à l’aube, fin avril 2021, il a pu agir rapidement aux côtés d’organisations partenaires. Une manifestation a eu lieu à George Square le 1er mai 2021, avec la participation de plus de 400 personnes. Nous avons organisé une réunion avec des groupes anti-raids de tout le Royaume-Uni afin d’élaborer des stratégies.
La veille de cette tentative de descente à Kenmure Street, le groupe anti-raids de Haringey a dispensé une formation sur ce qu’il fallait faire lorsqu’une descente a lieu. Ainsi, lorsque cet activiste a vu une camionnette des services d’immigration sur Kenmure Street le matin de l’Aïd, il a su quoi faire.
Bientôt, il y avait plus d’un millier d’antiracistes sur Kenmure Street : les commerçant·es ont fourni de la nourriture et de l’eau gratuitement tout au long de la journée, une boulangerie musulmane a apporté un gâteau de l’Aïd, des jeunes filles habillées de leurs nouveaux vêtements brillants de l’Aïd ont rejoint la manifestation avec des pancartes faites maison, tandis que les voisin·es ont mis des pancartes à leurs fenêtres et une salle de sport locale a déclaré que les manifestant·es pouvaient utiliser leurs toilettes.
Ce qui s’est passé rue Kenmure est un véritable exemple de solidarité antiraciste.
Lorsque les gens sont sortis pour empêcher l’expulsion possible de Sumit Sehdev et de Lakhvir Singh, personne ne connaissait leurs noms ni leur origine, et personne n’a remis en question leur droit d’être à Glasgow.
La véritable solidarité ne crée pas de barrières entre « nous » et « eux » ; elle n’impose aucune condition à ceux que nous soutenons et soutenons. Au contraire, tous les habitant·es de Kenmure Street ont reconnu l’injustice d’un système d’immigration oppressif, violent et raciste et l’ont rejeté. De plus, nous avons remis en question le rôle d’une police écossaise décentralisée qui soutient un système aussi raciste.
La victoire de Kenmure Street a été préparée au cours de nombreuses années. Il est encourageant de constater qu’une longue histoire de solidarité avec les migrants continue de produire de jeunes militants qui partagent notre profond désir d’agir lorsque nous sommes témoins d’injustice.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info