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Convoi de l’eau et au de-là : lutte contre les méga-bassines, un point d’étape

Ecologies - Aménagement du territoire
1 complément

Le vendredi 18 août, un gros convoi est parti de Sainte Soline. 700 vélos, une quinzaine de tracteurs, notre interminable caravane s’est étalée une semaine durant sur les routes. Elle a parcouru sous une chaleur accablante, plus de 450 kilomètres. Au cœur d’un été caniculaire – le plus chaud de l’histoire ! - nous avons pédalé sans relâche, à la sueur de notre front.

Nous ne sommes ni des cyclotouristes ni des sportifs professionnels, mais la communauté de lutte qui nous relie a créé un incroyable dépassement. De tous les âges et toutes les conditions, ça pédale sur l’asphalte du soir au matin. Réveil au lever du soleil et fête jusqu’au bout de la nuit. Le tour de France n’a qu’a bien se tenir. Ici pas de produit dopant ou d’appât du gain, mais la certitude - chevillée au corps - que nous nous battons pour une juste cause. Au fond, comme à Sainte Soline - bien que, cette fois, sans faire face aux lignes de gendarmes et aux grenades - nos corps sont encore et toujours mis en jeu. Des équipes de « serre-file » se relaient pour bloquer les voitures en tenant ferme des barricades humaines avec leur vélo tout en parlementant avec les automobilistes pressés. Les côtes mettent à l’épreuve les tibias, les descentes à tombeau ouvert exigent l’attention de tout le peloton.

En appui des cyclistes, une incroyable caravane logistique. Son armature est constituée de paysan-nes qui ont quitté leur ferme une semaine durant pour prendre part à l’aventure. Leurs tracteurs transportent des tonnes à eau, des barnums, des bétaillères, une roulotte balais, mais aussi des pancartes, des loutres et des anguilles géantes. Il y a aussi, un atelier vélo mobile, une bagagerie, des zbeulinettes qui ravitaillent en boissons fraîches, barres de céréales cuites au feu de bois et arrosent en continu les cyclistes au pulvérisateur. Et puis il y a ce convoi invisible. Les logisticien-nes et les cantinières qui chaque jour déploient un nouveau campement. A chaque étape, un comité d’accueil local s’est constitué pour recevoir le convoi, monter des infrastructures, organiser discussions et concerts.

Tout cela témoigne du niveau d’organisation atteint par le mouvement anti-bassines. Chaque mobilisation est un nouveau défi où celui-ci se surpasse. Avec un tel élan, s’acquiert la certitude que nous irons jusqu’à la victoire. Pour autant, c’est loin d’être la première fois qu’une lutte s’étale ainsi sur des kilomètres et des kilomètres. Notre convoi a peu de chose à voir avec la colonne Durutti en Espagne, la Makhnovtchina en Ukraine ou la longue marche en Chine. En revanche, il a quelque chose des marches pour l’égalité parties des banlieues dans les années 1980, ou encore de celle des paysans du Larzac dans les années 1970.

Le convoi de l’eau témoigne d’un franchissement de seuil. Il démontre que la lutte a atteint le point du rapport de force où il n’est plus simplement question de faire un petit tour de centre ville tous les mois en espérant voir le gouvernement reculer. Ce point du rapport de force où la lutte prend une autre dimension dans l’espace et dans le temps. Il a dessiné, au gré de son sillage, l’extension territoriale d’une lutte qui dépasse désormais largement le cadre local des Deux-Sèvres. Il a matérialisé un engagement au long cours.

En sept jours nous avons vécu bien des aventures. Nous avons érigé un cairn à Lezay en hommage aux blessé.es, immémorial empilement de pierres pour souligner qu’on n’oublie pas et qu’on ne pardonne pas. Nous avons traversé la plaine de Sainte Soline, le désert agricole proche de Poitiers avec ses méthaniseurs et ses rampes d’irrigation. Nous avons chahuté un golf et visité une ferme usine. Nous avons longé la Loire et côtoyé ses cygnes, ses cormorans, croisant au passage un balbuzard pêcheur. Nous avons longé des prairies, des vignes, des cultures industrielles de maïs et de sorgho. Nous avons rencontré des paysan-nes camarades qui nous ont accueillis sur leur ferme, des comités et lutte locales qui nous ont partagé leurs combats et leurs préoccupations. Nous avons ambiancé de tubes et de slogans les centres villes de Tours et de Blois pour finalement gagner Orléans.

A l’approche d’Orléans, après des jours à pédaler sous la canicule, un orage éclate. Les éclairs illuminent le ciel assombri, tandis que les cyclistes pédalent trempés au son de « riders in the storm ». Quand arrive l’éclaircie, nous quittons inopinément le parcours tout tracé à la grande surprise des gendarmes et de la préfecture. Les motards sont désorganisés. Le convoi file directement vers l’agence de l’eau avec 24h d’avance, un campement établi au quartier de la source. Objectif : mettre la pression sur l’agence de l’eau et la préfecture dans la perspective du rendez-vous du lendemain. La logistique itinérante de la semaine se déploie cette fois en terrain hostile. Un peu de paille, des cantines, un bar, une scène improvisée sur un tracteur remorque, suffisent à rendre possible une nuit de fête face aux gendarmes retranchés dans l’agence.

Le lendemain, une délégation du mouvement est reçue. Depuis des mois - des salarié.es aux bureaucrates du comité de bassin - cette institution est traversée de contradictions internes. Peu à peu, des pans entiers de l’agence de l’eau se sont prononcés en faveur de la suspension des travaux et du moratoire. Mais le rendez-vous entre le mouvement et l’institution prend la tournure d’un crachat et d’un défi. Le démarrage des travaux de construction d’une nouvelle bassine à Priaires au moment même de l’arrivée du convoi de l’eau a mis le feu aux poudres. Cette expérience cruelle a douché toute velléité de dialogue et de concertation du côté des opposant.es. Chacun-e sait désormais que le retour au rapport de force est inévitable.

Bien que les lignes bougent au sein de l’institution, c’est bel et bien au plus haut niveau de l’État que ça bloque. Plier face au rapport de force est manifestement trop humiliant pour Fesneau et Darmanin. Depuis septembre 2021, la lutte est montée en puissance par la combinaison d’actions massives de résistance face à l’avancée des travaux et la multiplication des désarmements nocturnes. Elle est devenue un symbole. Au point que de l’aveu même des décideurs, 10 bassines sur les 16 prévues en Deux-Sèvres semblent être aujourd’hui remises en cause ! Ils commencent à reculer, c’est donc maintenant qu’il faut enfoncer le clou.

Les porteurs de projet s’inquiètent de l’incertitude sur la poursuite du projet. Fébriles, ils ont donc décider d’accélérer après avoir été ralentis par la lutte des mois durant. Leur nouvelle stratégie consiste à entamer un maximum de travaux au plus vite sur les 6 sites qui font parti de la première tranche. En parallèle, le procès du 8 septembre dernier visait à neutraliser toute tentative d’organiser des manifestations impactantes. Mais cela ne prend pas. Le lendemain, le 9 octobre, les premières grilles sont tombées à Priaires. Le compteur de la bassine de Mauzé a été endommagé à la faveur d’une ballade pédagogique. Cette année va être décisive dans la lutte contre les méga-bassines et pour le partage de l’eau. Il nous faudra retourner massivement dans les Deux-Sèvres pour empêcher l’avancée des travaux. Battre le fer tant qu’il est chaud.

La lutte sera longue, c’est un marathon, une course de fond. Elle dépasse largement le territoire des Deux-Sèvres, et l’organisation de la résistance aux bassines se pose déjà en Vienne, dans le Limousin et en Occitanie. Demain, c’est à l’échelle nationale que nous devons arracher à court terme un moratoire sur les projets de bassines, et à long terme l’abandon définitif de tous ces projets. Cette lutte ouvre la perspective d’une future reprise en main du partage et des usages de l’eau par les habitant.es et les paysan.nes des territoires. Il nous appartient d’inventer comment combiner endurance et accélération, inventer d’autres formes qui - comme le convoi de l’eau de cet été - étendent dans le temps et dans l’espace notre combat vital.

« Je suis entré sous une tente située un peu à l’écart et me suis aussitôt enroulé dans ma couverture. J’étais épuisé par une marche de cinq jours en montagne, et la fatigue remontait des profondeurs de mon corps. J’ai fermé légèrement les yeux. De rudes ronflements résonnaient déjà autour de moi.
Alors, soudain, une voix très claire a jailli au creux de mon oreille : ‘‘Puissiez-vous vivre des jours paisibles…’’ »

Le convoi de l’eau, Akira Yoshimura

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  • Le 15 septembre 2023 à 09:58, par sdt

    Bonjour,
    Merci pour cet article. Vous avez oublié de mentionner les toilettes sèches qui nous ont accompagnées sur la route : je pense que ça ferait plaisir à la personne qui en avait la charge :)
    Belle journée !

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