Edito :

Nous vivons une période étrange. Au XXI^e siècle, chaque président de la République française est plus mal élu et plus rapidement détesté que son prédécesseur, sans qu’il semble possible de stopper la vague de réformes néo-libérales imposées les unes après les autres. Régulièrement, ici ou là, quelques voitures et poubelles brûlées rappellent que les crimes racistes de la police ne resteront pas longtemps impunis, mais, malheureusement, la propagation de l’incendie de novembre 2005 semble bien loin.

Les résistances et les débordements sont pourtant en germe. Parfois, il commence à se passer quelque chose, quand les routiers ou les dockers obtiennent satisfaction, quand une centaine de personnes perturbent un congrès de DRH et donc la mise en scène de la France comme une start-up cool et moderne, ou quand un artiste russe met le feu aux portes de la Banque de France après avoir enflammé celles de l’ex-KGB à Moscou. Les vieux États-nations craquent de toutes parts. Nous n’avons jamais été aussi proches d’un abandon du projet d’aéroport à Notre-dame des Landes, et peut-être même d’une victoire de la Zad.

Pour autant, l’apathie domine, et, de manifestation en manifestation, on semble reconstituer le décor du printemps 2016, le possible en moins. S’il n’y a que peu de gens qui adhèrent aux projets gouvernementaux, nous sommes entourés d’amis, de camarades de promos,de collègues, de frères, de sœurs, qui nous demandent comment il pourrait en être autrement. Et il faut avouer que nous ne savons pas toujours quoi répondre. Pire que cela, nous nous cachons parfois derrière des discours apocalyptiques sur la répression, nouveau catastrophisme à la mode, pour justifier nos échecs et notre manque d’imagination.

Nous manquons d’un imaginaire commun et d’une pensée stratégique. La seule ambition de ce numéro est de fournir quelques matériaux, quelques bribes de réflexion à celles et ceux qui partagent ce sentiment. Vous y trouverez un début d’analyse de la révolte populaire en Catalogne, de ses forces et de ses limites, mais aussi quelques éléments de réflexions sur les cortèges de tête, ainsi que des nouvelles des compagnonnages de lutte en terres nantaises. Mais aussi des extraits de livres intelligents et sensibles, qui peuvent nous aider à penser, nous inspirer.

Le comité invisible, Jacques Rancière … Le second répond au premier, certains de nos textes se contredisent peut-être, et pourquoi pas. Nous ne cherchons pas une nouvelle Bible, ni une nouvelle théorie du parti. Il n’y a pas à résoudre des contradictions, ni même à les aggraver. Nous ne visons pas à recréer un grand Tout quand la société fuit de toutes parts, mais simplement à penser une stratégie.

Et à propos de stratégie, laissons conclure Michel Foucault : « Une logique de la stratégie ne fait pas valoir des termes contradictoires dans un élément de l’homogène qui promet leur résolution en une unité. La logique de la stratégie, elle a pour fonction d’établir quelles sont les connexions possibles entre des termes disparates et qui restent disparates ».