L’insécurité policière à Rennes, un bilan non exhaustif des années récentes.
Nous partons arbitrairement de 2015, sachant que ces pratiques délétères n’ont rien de bien nouveau, les quartiers populaires ou dits sensibles en font les frais depuis longtemps : en juin 2018, ayant effectué un recensement jusqu’alors inédit de sa part, l’Inspection Générale de la Police (IGPN), révèle que, sur l’ensemble du territoire français, 14 personnes ont été tuées et une centaine d’autres blessées lors d’opérations policières depuis moins d’un an. Les associations qui travaillent sur le sujet évoquent le plus souvent une moyenne de 15 morts par an des mains de la police, en grande majorité des Noirs, Arabes ou Roms.
[Source : La police des polices révèle le nombre de morts dans des interventions, Libération, 26 juin 2018]
– Jeudi 24 et vendredi 25 novembre 2015, huit personnes vivant à Rennes, réputées « écologistes et d’extrême gauche », sont assignées à résidence, interdites de la région Île-de-France. Elles doivent pointer trois fois par jour au commissariat central de Rennes. Il s’agit évidemment d’empêcher leur présence à la conférence internationale sur le climat (COP 21) qui se tient à Paris en cette même période (du 30 novembre au 12 décembre). « Aucun d’entre eux [n’avait] jamais été inculpé pour des faits de violence ou de troubles à l’ordre public. »
[Source : COP21. Des militants assignés à résidence à Rennes, Ouest-France, 28/11/2015]
– Nuit du 2 au 3 décembre 2015, Babacar Gueye, Sénégalais de 27 ans, est tué de cinq balles par un agent de la BAC, dans le quartier de Maurepas. Dans cette affaire, entre de multiples atermoiements judiciaires, on peut noter que des pièces à conviction — l’arme du crime et les deux chargeurs — ont été détruites par erreur (!) lors d’un tri des scellés ; que les cinq balles n’ont pas été tirées de face, l’une d’entre elles est même passée par l’une des fesses. Les policiers, les enquêteurs ou le procureur peuvent-ils continuer d’invoquer la légitime défense pour justifier le geste du meurtrier ? Ce dernier n’est toujours pas inculpé pour homicide. Il a été muté à St-Brieuc et n’est ni mis à pied, ni désarmé, ni inquiété, car placé sous statut de témoin assisté.
[Source : Blog Mediapart du collectif « Justice et vérité pour Babacar Gueye », 14 octobre 2019]
– 28 avril 2016, en pleine manifestation contre la loi Travail, Jean-François Martin, étudiant en géographie à Rennes 2, reçoit un tir de LBD 40 (lanceur de balles de défense) au visage, il perd l’usage de son oeil. Le soir même, le préfet Patrick Strzoda ose déclarer qu’aucun flash-ball n’a été utilisé par les forces de l’ordre. Pour beaucoup, Strzoda est l’homme responsable de la « militarisation progressive des forces de l’ordre face aux manifestations contre la loi El Khomri à Rennes ». Il sera bientôt promu chef de cabinet de Bernard Cazeneuve, puis d’Emmanuel Macron devenu président de la République. Dans le cadre de l’affaire Benalla, la commission d’enquête du Sénat met en cause le témoignage de Patrick Strzoda, supérieur hiérarchique du cogneur de service, celui-là même qui l’avait autorisé à être présent le 1er mai 2018 sur le parcours de la manifestation, notamment place de la Contrescarpe. Sans surprise, l’affaire est finalement classée sans suite. En 2016, sollicité par l’AFP, le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, déplorait que ce dossier n’ait « pas été traité avec la célérité qu’il méritait » et s’était engagé à transmettre ses réquisitions « pour la fin du mois de février ». Il présentait aussi ses excuses à Jean-François Martin. Cependant, bientôt quatre ans après les faits, aucun policier n’a été mis en cause, alors que le défenseur des droits a demandé « des poursuites disciplinaires » contre les deux policiers ayant effectué des tirs de LBD ce jour-là.
[Sources : À Rennes, la mécanique de la répression policière, Mediapart, 13 mai 2016 & 20 minutes 14/01/2020 & Affaire Benalla : Patrick Strzoda blanchi par le parquet, Libération, 27 juin 2019]
– Mai-juin 2016, pendant le mouvement contre la loi El Khomri, outre diverses et répétées exactions de la police (insultes, coups, menaces de viol, etc.), qui pousseront notamment deux journalistes violentés (le 2 juin) par des agents de la CDI à porter plainte, un jeune homme est littéralement kidnappé par des agents, et il est assailli de coups. Coups de casques, de poings, de pieds. Les policiers entreprennent ensuite de le dévêtir, lui arrachent ses vêtements, lui annoncent qu’ils vont le jeter dans la Vilaine. Il est traité de « Sac à merde ! » Et les coups redoublent. Les agents lui demandent de poser pour une photo, il refuse. On le force. « C’est pour nous ». S’agit-il moins d’alimenter un quelconque fichier que de conserver une trace de l’humiliation qu’on fait subir à un « ennemi » ? Le véhicule est enfin arrêté près du canal St Martin, mais des passants apparaissent au loin, éventuels témoins ; la victime est alors abandonnée sur la rive...
[Source : Pratiques sauvages d’une police à gueule de milice, Mediapart, 16 juin 2016]
– 20 juillet 2017, le major Philippe Jouan, l’ex-patron de la Brigade anticriminalité (BAC) de Rennes, est condamné à 10 mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel pour les coups portés sur Benjamin, 23 ans, dans un bar PMU de Rennes, et surtout pour la falsification du Procès Verbal.
[Source : Sortie de piste pour « le shérif » de la BAC de Rennes, Mediapart, 27 juillet 2017]
– 30 juillet 2017, deux hommes éméchés se disputent sur le bord de la chaussée, avenue Janvier. Des riverains appellent la police. Venus de la gare voisine, trois membres de la police de l’air et des frontières surviennent. Les deux hommes prennent la fuite en voiture. Les policiers tirent. Le chauffeur, Baptiste, est tué. Baptiste était, comme on dit, « membre de la communauté des gens du voyage ». La famille n’a pas porté plainte.
[Source : Mort de Baptiste sous les balles de la police à Rennes, Expansive info, 3 août 2017]
– 19 janvier 2019 à Rennes, un manifestant de 27 ans, Gwendal Leroy, est gravement blessé par une grenade de désencerclement durant une manifestation de Gilets jaunes. Il perd l’usage de son oeil blessé. « La responsabilité pénale du policier auteur du jet d’une grenade de désencerclement à l’origine des blessures graves, me paraît, en effet, devoir être examinée dans le cadre d’une information judiciaire permettant d’offrir toutes les garanties tant à la victime qu’au policier mis en cause. », déclare le 10 janvier dernier (2020) le procureur Philippe Astruc à l’AFP.
[Source : Gilets jaunes : À Rennes, une enquête judiciaire ouverte après la perte d’un oeil d’un manifestant, Huffingtonpost, 11 janvier 2020]
– 17 décembre 2019, le tribunal correctionnel de Rennes condamne le policier Éric Reculusa, ancien responsable des débits de boissons à Rennes, à trois ans de prison. Une peine assortie de cinq ans d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer des fonctions administratives. Absent à l’audience, Éric Reculusa, déjà révoqué de la Police nationale, est jugé coupable de corruption passive et trafic d’influence passif. Le prévenu s’était fait remettre 32 500 euros en liquide entre janvier 2012 et mars 2014 par un patron de bars.
[Source : À Rennes, un policier condamné pour avoir soutiré 32 500 euros à un patron de bars, Le télégramme, 17 décembre 2019]
– 9 janvier 2020, minuit trente, avenue du sergent Maginot, une jeune fille de 21 ans prénommée Maëva descend d’un bus et traverse la chaussée sur un passage piéton, sur la voie centrale réservée au bus (mais que la police peut emprunter) une voiture de la brigade canine banalisée déboule à vive allure, sa sirène n’est pas activée, elle écrase Maëva et un jeune homme qui traversait en même temps. Maëva est morte quelques heures plus tard au CHU de Rennes. L’autre piéton également renversé est grièvement blessé, une opération chirurgicale a dû être pratiquée. Fin janvier, la famille de Maëva annonce qu’elle prend contact avec une association d’aide aux victimes en vue de porter plainte. Avec la mort de Maëva nous voici à trois morts par la police en quatre années.
[Sources : Jeune femme tuée par un véhicule de police à Rennes ; les premiers éléments de l’enquête, France Bleu Ille et Vilaine, 9 janvier 2020 & La mère de Maëva va porter plainte, Ouest-France, 31 janvier 2020]
– 25 janvier 2020, on apprend qu’un responsable de la Compagnie départementale d’intervention (CDI) est mis en examen pour « violence par personne dépositaire de l’autorité publique ». Lors d’une manifestation contre le projet de loi El Khomri, le 31 mars 2016, alors qu’il avait été jeté à terre par une charge de police, un syndicaliste de 61 ans avait été frappé à plusieurs reprises par des agents. Quelques mois plus tard, en première instance, c’est pourtant la victime qui est reconnue coupable d’avoir jeté des projectiles sur les forces de l’ordre et condamnée à six mois avec sursis ! En appel, la justice relaxera le manifestant toutefois de ce chef d’inculpation. Aussitôt le syndicaliste porte plainte, l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) est saisie, mais l’affaire se voit classée sans suite en mai 2017. Alors une nouvelle plainte est déposée, avec constitution de partie civile. Cette plainte aboutit, événement inhabituel même si, comme le relève Le Télégramme (25 janvier 2020) :
« Cette mise en examen intervient dans un contexte particulier. En janvier 2019, un manifestant rennais a été éborgné par la police. Une information judiciaire pour blessure involontaire a été ouverte. En décembre dernier, un ancien policier a été condamné à trois ans de prison pour avoir perçu des enveloppes de liquide d’un patron de bar qui souhaitait se prémunir des fermetures administratives. »
[Source : À Rennes, un policier mis en examen pour des violences sur un syndicaliste, Le Télégramme, 25 janvier 2020]
– 28 janvier 2020, la Compagnie départementale d’intervention (CDI) brutalise des lycéens qui participent au blocage de leur établissement (le lycée Victor Hélène Basch) dans le cadre du mouvement d’opposition à la réforme Blanquer.
« Trois d’entre eux [sont] blessés, dont l’un évacué par les pompiers. Il passera la journée sous surveillance aux urgences pour une possible commotion cérébrale. Monsieur Philippe Le Rolle, proviseur du lycée, déclarera à la mère de celui-ci qu’il n’y a guère eu de violences policières devant son établissement. »
- Deux jours plus tard, le 30 janvier, alors qu’une fumée épaisse s’échappe d’un bâtiment voisin et que les pompiers sont sur place,
« le proviseur Le Rolle, au détriment des consignes de sécurité les plus élémentaires, ne fait pourtant pas évacuer les locaux. Les classes de première ont donc continué à composer leurs épreuves, toujours encadrées par la CDI… »
[Source : « Tout le monde déteste les e3c , Lundi matin, 4 février 2020. »]
Dans un article de ce mois (février 2020), Le Mensuel rennais rapporte également qu’en moins de quatre ans cinq policiers rennais se sont suicidés, dont trois sur leur lieu de travail. Exemple : le 13 janvier dernier, cet officier de 52 ans qui s’est tué avec son arme de service, au Centre de Rétention Administrative de Saint-Jacques de la Lande. Le même article fait état d’une « drôle d’ambiance » (selon un témoignage) au commissariat de la tour d’Auvergne. Bien des Rennais confirmeront que la « drôle d’ambiance » est aussi pour leur pomme, et qu’ils s’en passeraient volontiers.
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