Tout d’abord, il faut avoir en tête que le planning du procès, décidé par la présidente, a son importance. En effet, il est très différent de débuter par l’examen des personnalités des prévenu.es plutôt que par celui des faits reprochés. Le moment où sont appelé.es à témoigner les témoins de la défense est également déterminant. Les études de personnalité constituent des moments plus « positifs » pour les prévenue.s (enfin en théorie) et se tiennent généralement à la fin. Le déroulement choisi par la juge pour ce procès a été le suivant : d’abord l’étude des personnalités, puis les faits les plus « graves », c’est-à-dire les essais de confection d’explosifs et la détention d’armes par les prévenu.es couplée aux parties d’airsoft (nous reviendrons ultérieurement sur ce point), suivi des outils de chiffrement et enfin du fameux « projet » (expédié en à peine 2h par le tribunal...).
L’étude des personnalités
Sur la question des personnalités, la juge procède quasiment de la même manière pour toustes les prévenu.es. Elle commence par le parcours scolaire, les antécédents judiciaires et les différents boulots. Elle cite assez rapidement les enquêtes de personnalité. Pour rappel, ces enquêtes, ordonnées par le juge d’instruction, ont eu lieu plusieurs mois après les arrestations, alors que de nombreux.ses prévenu.es se trouvaient encore en détention.
- Si il y a eu un passage de vie en ZAD, elle y vient assez vite et fait preuve de beaucoup d’insistance sur ce point. Elle use abondamment de raccourcis et de syllogismes : la présence sur les ZAD manifeste pour elleux une preuve de radicalisation et de violence.
- S’il y a des antécédents judiciaires, c’est donc un des premiers points abordés lors de l’étude de personnalité.
- S’il y a eu expertise psychologique ou psychiatrique en cours d’instruction, la juge commence directement par ça.
Il est important de noter qu’un.e expert.e, quelle que soit sa spécialité, a connaissance sur sa demande d’expertise des faits reprochés, et part donc avec un avis biaisé. L’expertise psy est un processus réducteur dans lequel il est impossible de croire en la sincérité et en l’objectivité des expert.es, désigné.es par le juge d’instruction, la logique médico-judiciaire de l’expertise prétendant classer les gens selon ce que lajustice définit comme normal ou déviant.
Dans le cas de ce procès, pour le seul prévenu qui avait répondu à une partie de l’expertise psy (piégé pendant sa détention par un faux « rendez-vous avocat »), la toute première fois à la barre débute assez mal. Les premiers mots lus par la juge sont ceux d’une « experte psy », avec leur sale habitude de tenter de mettre les gens dans des cases... Pour ce prévenu la juge cite : « rebelle », « un homme énervé », « tatouage ACAB », « mort aux vaches »[...] « Cependant, se situant dans une dimension essentiellement imaginaire, sans l’appui du registre symbolique, X peut sans doute manquer de discernement dans ses choix, notamment relationnels, et semble incapable d’anticiper la moindre conséquence quant à ses fréquentations, ses dires ou ses actes. »... ?? On comprend alors tout l’intérêt de refuser toutes les expertises psychiatriques. Attention, celles-ci sont souvent demandées par le JI assez tôt, au début de la détention, alors que le/la prévenu.e subit le choc carcéral et se trouve alors en situation de grande vulnérabilité.
Pour une autre inculpée, les questions à la barre fuseront rapidement au sujet d’une lettre envoyée au juge d’instruction pour expliquer le refus de ces mêmes expertises psychiatriques et psychologiques. Cette lettre, pourtant totalement légitime et qui a le mérite d’exposer clairement les raisons de son refus, a l’air de poser un gros problème à l’institution judiciaire. Les trois juges, à tour de rôle, crispent complètement l’interrogatoire en reprenant des éléments de cette lettre, comprenant des citations d’historien.nes spécialistes de la justice. Les juges semblent surpris que la prévenue remette en question cette démarche, et cherchent à interpréter ce que cette critique dissimulerait. L’une d’elle se montre particulièrement agressive en faisant le lien entre cette lettre, cette critique d’une institution étatique, et une potentielle volonté de « s’en prendre aux institutions ».
Interrogatoire des juges
Une fois achevées les études de personnalité, la juge passe directement aux faits reprochés. C’est la colonne vertébrale de ce procès. Nous rappelons que les prévenu.es risquent jusqu’à 10 ans de prison pour AMT.
A chaque interrogatoire, la juge use de la même méthode. Elle ne pose pas les questions par ordre chronologique, c’est-à-dire les éléments « reprochés » de février ou avril 2020, mais elle débute systématiquement par les propos tenus en GAV. En procédant ainsi, elle enferme le/la prévenu.e dans un discours souvent tenu en état de choc et de sidération, et il est alors beaucoup plus difficile pour elle/lui de faire entendre sa voix au présent. Même si le/la prévenu.e réfute complètement les propos tenus en GAV, la juge revient dessus comme si elle ne prenait pas en compte lesconditions dans lesquelles ces propos ont été tenus. Les propos tenus en GAV deviennent un boulet qu’on se traine tout au long de la procédure judiciaire, et il sera alors impossible de faire comprendre que les barbouzeries et les manipulations de la DGSI ont biaisé ces propos.
La juge se base également sur les retranscriptions des écoutes de la DGSI, et malgré le fait que celles-ci sont entrecoupées de « inaudible » et « .../... », la juge n’a jamais fait l’effort d’écouter un seul audio des sonorisations, elle se fie uniquement aux retranscriptions, pourtant truffées d’erreurs. On apprendra néanmoins qu’elle a pris le temps d’écouter EnedekaMaska, cité dans les retranscriptions. ??
A aucun moment elle posera la question « Expliquez-nous ce qui s’est passé ce jour-là », elle va dire « à votre 4e audition vous reconnaissez ceci ou cela ». Elle se basera également sur ce que d’autres personnes, (prévenu.es ou non) ont pu dire en GAV ou en interrogatoire au sujet de la personne citée à la barre. Le récit est alors biaisé et il est très difficile de resituer les choses dans leur contexte.
Si le/la prévenue a gardé le silence en GAV, soit la juge commence par les premiers interrogatoires du juge d’instruction, soit par une intrusion dans la vie personnelle du/de la prévenu.e par le biais des conversations téléphoniques privées et autre. De manière générale, les juges et les procureur.es utiliseront afin de les instrumentaliser tous les éléments à leur disposition relevant de l’ordre de l’intime : les relations amoureuses, les relations familiales, bref, iels cherchent à appuyer là où on n’a pas envie et étalent la vie privée des prévenu.es sans état d’âme...
L’accusation : le parquet
national anti-terroriste
Les procureur.es, au nombre de deux dans ce procès, auront été au sommet de leur art : la détestabilité !
De manière générale, ils reposent les mêmes questions que les juges. Ce n’est pas parce que des questions liées à une conversation (provenant des écoutes) ont déjà été abordées par la juge que le procureur la rayera de sa liste. Bien au contraire ! Il va relire la conversation (qui a déjà été lue) et il posera ses questions, de manière plus accablante, agressive et directe que la juge. Iels auront aussi bien sûr leurs propres questions, toujours insidieuses et hostiles. Iels tenteront, sans succès, de monter les prévenu.es les un.es contre les autres. La procureure notamment posera des questions au sujet de la trahison et demandera à un prévenu si sa volonté de rupture avec ses ami.es (ce n’était pas son propos exact) pourrait être liée avec une volonté de rompre avec une atmosphère de violence et de haine envers la police et l’État. On nage en pleine extrapolation...
Quant au procureur, il reprendra allègrement quelques différences dans les réponses des prévenu.es, dues à des quiproquos plutôt anodins (on rappelle qu’on parle de faits qui ont eu lieu il y a 4 ans et l’interdiction de communiquer entre certain.es prévenu.es a perduré jusqu’à la fin du procès). Les procureur.es profiteront aussi du fait que certains propos ont été tenus par des personnes placées en GAV mais n’ayant pas été inculpé.es, et que par conséquent ces personnes ne peuvent pas contextualiser et s’expliquer à la barre.
Une même phrase, sortie de son contexte et dont la question posée par l’agent en audition a disparue, a été utilisée alors une douzaine de fois. Tellement pratique... Iels n’hésiteront pas à fouiller sur les blogs des comités de soutien pour dénicher des textes parlant de la solidarité et de la défense collective en interprétant cela comme une injonction au silence pour ne pas incriminer le prévenu sur lequel les procureurs s’acharnent. Ils iront jusqu’à exhumer une lettre envoyée à un prévenu pendant sa détention par un soutien, en lui en reprochant le contenu et en l’utilisant à charge contre lui.
S’agissant des répétitions, il serait assez intéressant de compter le nombre de questions qui ont été répétées. Certains sujets (comme une conversation sonorisée à propos d’Action Directe par exemple) sont abordés à toutes les sauces : lorsqu’on parle des explosifs, lorsqu’on parle des armes, des moyens de communication... Certains sujets sont rabâchés, laissant penser que la réponse du/ de la prévenu.e à la barre n’est jamais écoutée. Dès la deuxième semaine du procès, plusieurs prévenu.es le diront à la juge : « Nous ne sommes pas écouté.es », « J’ai déjà répondu à cette question il y a 5 minutes »...
Autre point, l’importance du langage et le poids des mots. Si la présidente avait prévu dans son planning originel d’aborder le thème des armes dans un premier temps puis celui de l’airsoft dans un second temps, elle ne s’y est pas du tout tenue. Elle a donc abordé donc les deux thèmes pêle-mêle et de manière confuse, alors qu’ils sont pourtant très différents en terme de légalité. Elle avoue elle-même que cela prête à confusion de parler d’armes pour l’airsoft alors que ce sont des répliques à billes, mais elle fait à nouveau très vite l’amalgame. Les prévenu.es seront dans l’obligation de rappeler pour chaque question posée qu’on parle bien de répliques d’armes en plastique. Ce choix n’est pas anodin et il est évident que cela permet d’insuffler une dimension plus « dangereuse » à l’airsoft et donc de prêter plus facilement des intentions violentes aux prévenu.es.
Les requêtes de la Défense
Concernant les demandes de la Défense, absolument toutes ont été refusées. Il nous semble important de les lister ici, car qu’il s’agisse d’une demande de renvoi du procès s’appuyant sur une requête déposée auprès du Conseil d’État ou d’une simple restitution de scellé, la réponse sera toujours la même, y compris après plusieurs heures de délibéré : NON.
- La Défense demande le renvoi du procès afin d’attendre l’appel de la décision du CNCTR, qui n’est pas encore tombée. Une requête a été déposée au Conseil d’État le 17 juillet 2023. (CNCTR = instance qui vérifie la légalité des techniques de surveillance). Dans ce dossier, cela concerne l’espionnage et les notes blanches, avant le dossier de judiciarisation du 7 février 2020. Refusé.
- Les avocat.es demandent à la justice de faire comparaître les trois agents de la DGSI cités par la Défense comme témoins. Iels font valoir notamment de très nombreuses erreurs de retranscription, une vidéo (à décharge) qui sera non seulement supprimée « par erreur » mais qui n’a jamais été retranscrite ou envoyée au juge d’instruction (il s’écoulera pourtant 8 mois), de nombreux mensonges des agents de la DGSI pendant les GAV, démontrés au cours du procès... Refusé.
- Demande de restitution d’un disque dur, dont on a appris cet été que la DGSI avait « malencontreusement » effacé le contenu. Refusé. Concernant le disque dur d’un autre prévenu, la DGSI n’a pas fait de copie de travail. Il est donc impossible de connaitre la dernière date d’ouverture d’un fichier. Cela aurait été pourtant utile pour déterminer si des documents avaient déjà été consultés ou bien si ils n’avaient jamais été ouvert depuis leur copie/création. La Défense demande à avoir tout de même accès à ce disque pour connaitre la date de création des fichiers dont on reproche l’appartenance aux prévenu.es. Refusé.
- Demande d’une sonorisation manquante et des écoutes téléphoniques sonorisées. La DGSI n’a transmis que les retranscriptions alors que le juge d’instruction avait donné son accord pour transmettre les sonorisations brutes aux avocat.es. Refusé au motif de « préserver la vie privée des concerné.es », alors que pour cette demande, y compris le parquet était d’accord. On marche sur la tête...
- Les avocat.es demandent de nouveau à ce que les policiers comparaissent. Ils sont des citoyens comme les autres et à ce titre doivent pouvoir répondre de leurs actes et être soumis à comparution. Plus de 150 procès-verbaux leur sont attribués dans la procédure, dont certains essentiels à l’accusation, qui repose pour beaucoup sur leurs investigations. Ils sont donc des témoins qui doivent absolument être entendus. Un « tri » a été effectué au sein des écoutes à la discrétion de ces agents, sans l’aval d’un magistrat, sans que l’on sache sur quelles bases. Refusé.
- La Défense tente alors une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) après la demande de renvoi et la demande de contrainte refusée au sujet de la comparution des agents de la DGSI. Iels s’appuient sur le fait que l’anonymat protégeant les policiers les empêche de faire valoir le principe du contradictoire (principe de base de la justice qui est censé assurer l’équité et l’équilibre d’un procès) LOL. Refusé.
- Même l’accès aux notes d’audience de la greffière (qui est de droit) est refusé car « du retard a été pris ». La juge fait sa loi : « je les donnerai à la fin de l’audience comme prévu par la loi et la fin de l’audience ce n’est pas la fin de la journée mais la fin du procès ».
- Autre demande de la Défense, la déclassification du secret-défense s’agissant del’expert en explosifs, Sylvain B., unique témoin du parquet. Dans son rapport, M. B. évoque des éléments, qu’il n’a pas pu étayer à la barre car les explications sont classées secret-défense. N’aurait-il pas dû tout simplement s’abstenir d’aborder ces éléments, s’il n’etait pas en mesure de les prouver devant la cour ? Refusé.
- L’avant-dernière demande concerne les vidéos de GAV des prévenu.es. Cette demande est tardive mais c’est au cours du procès que, en recoupant plusieurs récits, les avocat.es ont émis l’hypothèse qu’il y a très certainement eu des moments de « off » non retranscrits à l’écrit. Un doute subsiste également autour de la poursuite d’une audition s’étant tenue juste après le malaise d’un des prévenu.es durant l’audition. Les vidéos permettraient de lever tous ces doutes. Refusé.
- Le dernier jour des débats, l’interrogatoire se tend autour d’un MMS au sujet d’un soi-disant plan de dispositif du 14 juillet. Comme la note de la DGSI concernant ce MMS n’est pas suffisamment précise, l’avocat demande la restitution du scellé du téléphone pour couper court au débat et lever le doute. Refusé.
Certains refus sont subtilement justifiés par le fait que les demandes seront « renvoyées au fond », c’est à dire statuées au moment du délibéré final du procès. Sauf qu’évidemment, ces demandes auraient été utiles à la manifestation de la vérité pendant la durée du procès et non a posteriori.
Nous espérons que ces quelques lignes pourront aider à l’avenir certain.es à comprendre la machine judiciaire à l’œuvre au cours d’un procès en antiterro, et à s’y préparer en amont s’il le faut. Parce que la répression tente de nous broyer, mais nous ne nous laisserons pas anti-terroriser et pour reprendre la citation à la barre d’un des inculpé.es : « L’avenir, c’est la solidarité ! »
Merci à tou.te.s les soutiens !
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