Où en sommes-nous ?
Nous avons sauvé des emplois, à commencer par les nôtres, en remettant en cause des postulats économiques véhiculés par les organismes de gestion et d’enseignement. Grâce à ce que nous nommons « désintensification » nous avons constaté que nos conditions d’existence s’amélioraient, que nos revenus augmentaient et nous avons retrouvé l’autonomie qui nous avait fait désirer et aimer ce métier. Nous avons pu alors défendre plus fortement notre projet syndical et obliger, par exemple, les CDOA à rendre des installations possibles sur des petites fermes. Nous avons aussi obtenu que la PAC prenne en considération nos pratiques dans la répartition des aides. C’est un intense travail d’Éducation Populaire, d’échanges d’établissement de la confiance qui nous a permis cela. Nous en sommes fiers, comme nous le sommes du succès de ces nouvelles approches qui permettent d’entretenir la fertilité et la santé de nos terres, de nos cultures et de nos animaux.
Cela a amené certains d’entre nous à chercher une meilleure valorisation de leur travail par la vente directe de leurs produits. Nous avons mis en place des outils nécessaires pour le faire : labels, magasins de producteurs, marchés de producteurs, ventes à la ferme... Ces outils fonctionnent encore et sont largement plébiscités, comme le montre le confinement du printemps 2020.
D’autres encore ont trouvé des revenus complémentaires dans la pluriactivité. Nous savons aujourd’hui proposer, à travers les activités de nos fermes, de nombreux services et nous les faire rémunérer. Tout le monde connaît le succès des Accueils Paysans par exemple.
Nous pouvons dire sans crainte aujourd’hui que des outils existent qui permettent de vivre nombreux dans des fermes à la mesure de l’homme.
Tout cela est très satisfaisant et c’est à juste titre que nous nous en réjouissons. Cependant ne nous racontons pas d’histoires : le système industriel de production, le productivisme capitaliste que nous voulions entraver, va son chemin plus que jamais. Plus les médias parlent de nous, plus nous disparaissons ! Alors même qu’il faudrait un vaste mouvement d’installations pour assurer l’avenir de l’agriculture paysanne, la concentration continue et le nombre de ferme s’effondre toujours.
Que faire ?
Accepter de reconnaître notre impuissance et en chercher les causes. C’est la première condition pour bâtir un mouvement à la mesure de l’importance de la catastrophe en cours et de trouver une stratégie appropriée.
Constatons d’abord qu’une incroyable insatisfaction alimentaire s’est installée en France : en octobre dernier 26 millions d’entre nous déclarent ne pas manger ce qu’ils souhaitent. Ce chiffre à considérablement augmenté ces dernières années, comme a augmenté le nombre des personnes en précarité alimentaire et encore plus celui des personnes qui ne sont nourries que par l’aide alimentaire, devenue structurelle, une véritable variable d’ajustement de la production industrielle.
L’échec est patent pour le complexe agro-industriel qui ne nourrit plus les français et n’a pas tenu les promesses faites. Pouvons-nous dire pour autant que nous ne sommes pas concernés ? Ceux d’entre nous qui ont su mieux valoriser leur produits ont pu certes sauver leurs meubles mais en s’appuyant sur les aspirations des plus riches. Le complexe agro-industriel lui-même est un en train de s’engouffrer dans ce créneau avec une efficacité redoutable qui nous mettra bientôt en danger économiquement et socialement. Si nous en restons là, la fracture alimentaire va s’accentuer et nous y participerons.
Nous avons travaillé à une réforme de le PAC pour qu’elle devienne une politique alimentaire conforme aux aspirations des français. Nous ne nous faisons cependant pas d’illusion, le résultat est loin de nos attentes. Ailleurs, nous participons souvent à l’établissement de PAT. Malgré leurs objectifs déclarés il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas d’exigences, même minimum, en termes de moyens et de résultats. La plus grande partie d’entre eux n’affronte d’ailleurs pas la question des inégalités alimentaires autrement que par une série de techniques relevant des politiques pour les pauvres. Charité bien ordonnée commençant pas soi-même, il a été montré que ces plans vont accroître les inégalités territoriales.
Quand aux raisons de notre impuissance, trois doivent être impérativement affirmées. D’une part nous n’avons pas assez dit et redit que la compétition institutionnalisée par les politiques libérales inscrites dans la constitution européenne, et deux fois plutôt qu’une, rendent impossible la mise en œuvre d’une agriculture paysanne. De ce fait même nous n’avons jamais fait qu’inscrire nos pratiques « alternatives » dans cette compétition, que n’être nous même qu’un des termes de cette politique de l’offre : pourquoi des réformes systémiques puisque le choix est donné aux consommateurs comme aux producteurs ? La démocratie a disparu dans l’alimentation, c’est la carte de crédit qui remplace la carte d’électeur, et nous ne sommes plus que des compléments de gamme d’une politique de l’offre dont nous connaissons les résultats.
Enfin nous ne formulons pas suffisamment la séparation des tâches et la division du travail comme la cause de l’immense méconnaissance réciproque des conditions de vie des uns et des autres Comment vivent et mangent les français ? Comment vivent et produisent les paysans ? En ce domaine notre double ignorance est une des raisons de notre impuissance.
Il faut affirmer que nous souhaitons dans un premier temps mettre des bornes à la concurrence et exiger l’établissement de prix minimum d’entrée des produits alimentaires sur les marchés nationaux comme l’autorisent les traités actuels et comme le réclame depuis peu la Conf’. Depuis trop longtemps les accords européens restent à l’abri de nos critiques par crainte sans doute d’être assimilés au souverainisme de droite ou d’extrême-droite. Cela nous empêche de prendre la mesure de la régression potentielle inscrite dans le marbre de ces traités.
Il faut aussi « changer de bout au bâton » et poser les bases d’une véritable démocratie alimentaire comme le proposent bon nombre d’organisations professionnelles ou citoyennes, dont la Conf. Elles portent le débat de l’instauration d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) comme un des volets d’une socialisation de l’économie alimentaire et agricole permettant de combattre l’ignorance et de retrouver confiance et force collectives qui nous sont absolument nécessaires.
On peut espérer compter sur les « classes moyennes » pour peu qu’elles sortent du désir de distinction qui les fait bien souvent adhérer à nos alternatives. Au-delà, c’est donc aux 26 millions de personnes insatisfaites de leur alimentation qu’il nous faut nous adresser.
Celles, plutôt rurales ou péri urbaines, bien représentées par le mouvement des gilets jaunes, est un groupe social pas forcément très éloigné des paysans, même si dans notre société cloisonnée nous ignorons souvent leur détresse pourtant proche. Elles sont trop souvent l’objet dans nos organisations de méfiance frisant parfois le mépris de classe.
Celles dont on peut dire sans se tromper qu’elles sont les plus méconnues par le monde paysan : les habitants des « quartiers » Cette méconnaissance, qui est mutuelle, favorise tous les clichés voire les visions fantasmées. Les semaines de confinement ont mis en évidence les détresses alimentaires dans ces quartiers. On y trouve les premiers concernés, à leur corps défendant, au sens propre du terme, par les maladies alimentaires : obésité, risque cardiovasculaire, diabète ….
Tous nous voulons manger autre chose que du sucre, du gras, du sel en excès, des pesticides et des perturbateurs endocriniens en prime. Personne ne souhaite en donner à ses enfants.
Cette certitude est une base pour construire ensemble une véritable politique de l’alimentation et se donner les moyens nécessaires à sa production. Nous connaissons en Bretagne de nombreuses tentatives de rassemblement de ce type. Ils tentent, avec plus ou moins de réussite, de combler ce gouffre entre les producteurs et une grande partie des classes populaires. A Brest, autour des centres sociaux, les habitants ont créé des groupements d’achats et s’approvisionnent directement auprès des producteurs ; à Rennes la Maison de la Consommation et de l’Environnement se mobilise autour des difficultés alimentaires de trois quartiers populaires ; dans la Morbihan c’est une Amap qui s’est associée avec le Secours Populaire pour aborder ces questions. Nous pouvons certainement multiplier ces exemples ; mais ce qu’elles mettent en évidence très souvent, c’est la difficulté à mobiliser les producteurs.
Nous avons le sentiment pourtant que ce n’est qu’en créant un mouvement avec les paysans que nous pourrons construire une politique alimentaire consistante et durable, relevant d’une véritable démocratie. Ce n’est qu’à partir de ce moment là que nous pourrons revendiquer des politiques publiques dans d’autres voies que celles du complexe agroindustriel breton et ses promesses non tenues. Ce n’est qu’à partir de ce moment là, avec le soutien de la majorité de la population, que nous pourrons prendre la terre nécessaire à la satisfaction de nos besoins alimentaires. Et ce n’est qu’ainsi que nous installerons les dizaines de milliers de paysans qui aspirent à cultiver cette terre.
J.C. Balbot et G. Bricet
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