Après s’être fait une place dans le cortège intersyndical avant le départ de la manifestation rennaise du 22 mai, Alliance, syndicat de police très à droite, en fut rapidement expulsé par plusieurs dizaines de manifestants. Si les slogans rappelant les mutilations dans les manifestations ou la mort de Babacar Gueye, tué par la BAC à Rennes, étaient suffisamment explicites pour que les membres d’Alliance comprennent les raisons de la colère dont ils étaient l’objet, il n’est pas inutile d’expliciter les raisons politiques du refus de la présence de ce syndicat au sein du mouvement social.
Si les policiers font partie de la fonction publique, peuvent être syndiqués (et même parfois, comme nous l’avons vu à l’automne 2016, participer masqués à des manifestations sauvages ...), ces éléments ne nous semblent pas suffisants pour justifier leur présence dans une manifestation intersyndicale. En effet, il ne nous semble pas possible d’amalgamer dans une même lutte de "défense du service publique" ceux qui vont, d’une part, faire grève pour défendre une université ouverte à tous, désobéir pour protéger des personnes sans papiers, bloquer un centre de tri pour s’opposer aux restructurations au sein de la poste, et ceux qui, d’autre part, ont par exemple pour fonction de rafler les réfugiés, de ficher les militants, de débloquer les universités, les dépôts pétroliers ou les bureaux de poste avec flash-balls, matraques et gazeuses.
En lisant leurs tracts, en étudiant leurs slogans, nous remarquons évidemment que quand les membres d’Alliance manifestent, ils ne le font pas pour s’opposer aux ordres qui leur sont donnés, pour dénoncer l’armement croissant de la police, la répression des mouvements sociaux ou les contrôles au faciès, mais, au contraire, pour dénoncer le "laxisme" de la Justice envers les "délinquants", et, alors qu’une quinzaine de personnes désarmées sont abattues par la police chaque année, pour demander à être mieux armés et à bénéficier d’une "présomption de légitime défense" quoi qu’ils fassent. Lors des manifestations de l’automne 2016, le slogan qui revenait le plus souvent entre deux marseillaises était "la racaille en prison". Quelques mois auparavant, en plein état d’urgence, lors du mouvement contre la loi travail, et alors que plusieurs manifestants furent éborgnés par des tirs de grenades et de flash-balls, Alliance s’était borné à dénoncer la "haine anti-flics" supposément présente au sein du mouvement social.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans une période de restructuration du capitalisme, d’augmentation des inégalités, de montée du racisme et de recul des droits des salariés, la police est le seul corps de métier dont les syndicats ont obtenu de nombreuses avancées : loi renseignement, inscription des pratiques de l’état d’urgence dans le droit commun, élargissement du cadre de la "légitime défense", armement de certaines polices municipales, etc.
Pour cela, il y a une cohérence entre le fait de participer aux luttes existantes, et le fait de s’opposer aux policiers qui, comme le font régulièrement les représentants d’Alliance, demandent plus de moyen pour les réprimer. Rappelons que, comme le mentionnait la Charte d’Amiens (texte de référence pour l’ensemble du syndicalisme en France), la lutte est "une révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant matérielles que morales", visant à "l’accroissement du mieux-être des travailleurs" et à l’ "émancipation intégrale". Ce mieux-être et cette émancipation sont évidemment incompatibles avec les tirs de flash-balls et de grenades lacrymogènes sur les cortèges, avec le renforcement des contrôles aux frontières et de la mise sous surveillance des quartiers populaires. Dans la mesure où ces pratiques sont défendues par Alliance, les personnes qui ont expulsé ses membres de la manifestation ont eu raison de le faire.
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