Intervention censurée
Nous, habitants et habitantes de Rennes et des alentours, militantes politiques, résidents du centre-ville ou habitués de la place Sainte-Anne, prenons la parole aujourd’hui pour vous raconter cette chronique.
Celle de Rennes, Rennes 2 la Rouge - ville militante - , Rennes la Rock n roll - avant scène de la culture new wave dans les années 80 - , Rennes la Festive avec sa Rue de la soif , Rennes l’accueillante avec son brassage social place st Anne et capitale des punks à chien. Voilà la culture rennaise dans l’imaginaire collectif, celle qui a brassé des générations depuis les années 70 et qui en fait une ville un peu à part.
Mais la Mairie ne veut plus de cette image, de cette identité et veut rayonner différement à l’image des autres grandes métropoles en France. Alors, elle s’est lancée dans la course pour devenir la capitale économique de l’ouest. Son objectif est simple : attirer l’activité économique et remplacer les classes populaires du centre ville par des classes sociales aisées qui pourront tranquillement y dépenser leur argent. Dehors les étudiants fêtards sans le sous, dehors les militant-es politiques, dehors les gens de la rue, dehors les classes populaires. Bienvenue aux hommes et femmes d’affaires et aux classes sociales aisées.
Sa stratégie se mène en plusieurs actes / sur plusieurs fronts :
1. une attaque culturelle multi-forme : avec la tentative de faire disparaître la Rue de la Soif, comme en 2004 quand la Mairie et la Préfecture ont envoyé les CRS à la sortie des bars pour raccompagner gentillement les étudiant-es chez eux à coup de matraques. Mais aussi avec le rachat prioiritaire et systématique des bars de ce quartier grâce au droit de préemption par la Mairie. Et enfin, une politique de subventionnement culturel réorientée à partir de 2008 vers les grands projets à rayonnement national. Plus d’argent pour gros évènements comme les Transmusicales, Forum Libération et aux grandes structures ; et du coup, moins pour les petites associations et projets alternatifs qui bouillonnent à Rennes.
2. une offensive urbanistique, nommée Eurorennes : nouvelle ligne TGV (inaugurée en grande pompe par notre cher président), nouvelle gare, construction de grands immeubles d’affaires tout autour de la gare (sorte de quartier de la Défense à la rennaise), campagne de publicité pour faire venir les cadres parisien-nes.
3. politique : depuis le mouvement social contre la loi El Khomri en 2016, il est interdit de manifester en centre-ville. L’activité économique prime sur l’expression politique. De plus, de manière sytématique une criminalisation du mouvement social se met en place.
Parlons un peu du lieu où nous nous trouvons actuellement, le Centre des Congrès d’affaires du couvent des Jacobins. Il est le symbole, le phare de cette politique d’embourgeoisement du centre ville, de cette stratégie de mutation, de "reconquète du centre-ville" comme l’annonce fièrement la maire de Rennes. Ce nouvel équipement, qui a déjà grevé les fonds publiques de plus de 100 millions d’euros (et dont le budget risque d’augmenter aux vues des multiples infiltrations d’eau dans ces fondations) aurait été construit et ouvert à destination de la population locale, pour des évènements populaires et grands public. Rien n’est plus faux : ce projet "de luxe" n’a été érigé que pour répondre aux attentes d’un secteur bien spécifique, le tourisme d’affaire (en atteste le prix de la location). Ceci alors même que la municipalité rennaise peine à accorder un gymnase plus de quelques semaines pour héberger les réfugiés... Nous sommes bien conscients de ce que ces grands projets urbains impliquent pour les habitants, accepter de voir disparaître les lieux auxquels nous sommes attachés, des prairies Saint-Martin au quartier sud-Gare, en attendant d’hypothétiques « retombées économiques » qu’on nous promet faramineuses. Nous voulons vivre et construire une ville qui nous corresponde, et pas la vendre à ceux qui croient que leur argent leur donne des droits sur tout.
Et nous en venons à notre sujet du jour, les Assises de la citoyenneté, organisées par le journal Ouest-France, dans ce nouveau centre des congrès d’affaires.
Nous le vivons comme une provocation : le programme même de ces « Assises de la citoyenneté » est une insulte à l’intelligence d’une ville qui a fait preuve ces dernières années d’une vitalité politique qui est à l’exact opposé de celui-ci. L’organisateur, le journal Ouest-France, est notoirement connu pour ses éditoriaux libéraux et réactionnaires, qui fustigent tantôt les opposants à la loi Travail, tantôt les partisans de l’égalité des droits pour les homosexuels. Il n’est en rien légitime à se poser en acteur impartial et surplombant de la vie intellectuelle rennaise, et encore moins à professer des leçons de « vivre-ensemble ».
Les intervenants sont en très large majorité issus de cette même sensibilité politique, à l’exception de quelques rares cautions. Ne nous laissons pas berner, ces 2 journées ne sont pas un lieu de débat équilibré et égalitaire entre des point de vue variés. Ceux qui s’expriment ici sont pour la plupart des professionnels de la pensée tiède qui, de think tank (groupes d’"expert-es") en institut de sondage, occupent la quasi totalité de l’espace médiatique sans avancer jamais la moindre idée nouvelle.
Tout ce beau monde vient pérorer sur les vrais ou faux problèmes qu’ils ressassent de pseudo-débat en pseudo-débat et sur des réalités qu’ils ne connaissent le plus souvent que de très loin.
Nous ne partageons pas la même notion du "vivre ensemble" avec Google, spécialistes l’évasion fiscale, ni avec le ministre de l’éducation qui veut ficher les "enfants à risque" dès la maternelle, ni avec Pierre Gattaz qui s’attaque aux droits des salariés et des chômeurs, et ce ne sont que quelques exemples...
Nous nous adressons à ceux qui partagent notre réaction, ici à Rennes comme partout ailleurs où malheureusement les mêmes logiques sont à l’oeuvre. Nous nous adressons à une Rennes qui n’est pas dupe des sornettes pseudo-humanistes mais réellement réacs et libérales de ce forum Ouest-France, à une Rennes qui n’est pas à vendre. Nous vous invitons à réagir face aux offensives urbanistiques, politiques et culturelles qui nous dépossèdent de nos lieux de vie, et à nous rejoindre samedi matin à 11h place St Anne pour des prises de paroles et un moment festif.
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