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Une matinée aux audiences du CRA de Calais

Calais
Antiracismes - colonialismes Migrations - Luttes contre les frontières

Pendant 4 mois, nous sommes une quarantaine de boulanger·es du réseau de l’Internationale Boulangère Mobilisée (IBM) à se relayer pour faire du pain à Calais - Dunkerque pour les exilé·es, dont certain·es de Rennes. L’initiative s’appelle "Boulange à la frontière"

Dans une journée off niveau boulange, nous sommes allé au Centre de Rétention Administratif de Calais (CRA) pour se rendre compte de la violence de l’enfermement des exilé·es, et du fonctionnement de la machine à expulser française.

Pour rejoindre le CRA de Calais, il faut prendre l’autoroute et rejoindre une zone commerciale et industrielle.
Le 1er bâtiment que l’on croise en arrivant dans la zone annonce la couleur : un hangar pour jeu d’aventure nommé "Prison Island" avec son slogan "Beat the bars" ("Casse les barreaux"). Venir faire un escape game sur le thème de la prison à 200m de dizaines de personnes enfermées dans le CRA, ça parait surréaliste.

A 10h pile, début des audiences, on arrive devant la prison, oups pardon, devant le centre de rétention. L’ambiance n’est pas franchement acceuillante. On débarque à 3 pour participer aux audiences, et l’on sent tout de suite que c’est suspect. Fouille intégrale et prise de nos identités, avant d’entrer dans la salle d’audience. Le côté propre et chauffé de la pièce masque mal la violence du lieu : 7 exilés, entourés d’autant de flics, vont être jugés en moins de 2h lors d’une audience en visioconférence avec une juge qui va décider de leur sort : soit elle les remet en liberté (potentiellement jusqu’à la prochaine fois où ils se feront arrêter), soit elle prolonge leur enfermement de 28 jours, le temps d’organiser leur "reconduite" dans leur pays d’origine.

Ça, c’est les mots de la juge. L’un des exilé d’origine Turque, Mr. D., utilise très justement un autre vocabulaire : "Comment ça va se passer ? Je vais être expulser de force ?"

Pour rappel :
La seule chose repprochée aux personnes enfermées dans les CRA est l’absence d’un document régularisant leur situation en France. Aucun délit, ni crime, ni vol ou autre, juste pas le bon papier. C’est ainsi que l’administration les appels des "retenu·es", et non des "détenu·es". Mais dans les faits, ça ressemble tout autant à l’enfermement carcéral, avec son lot de mauvais traitement.
Là-dessus, les mots de Mr D. sont aussi très clair. Après qu’elle lui ait ajouté 28 jours d’enfermement, il s’exprime à la Juge des Libertés et des Peines : "Je ne comprend pas pourquoi je suis en prison".

Parmis les 7 détenus qui vont passer en jugement, il y en a un de 20 ans né en Algérie qui a déjà passé plus de 56 jours dans le CRA (le max étant aujourd’hui à 90 jours, contre 45 il y a quelques années). Un autre de 78 ans (!) né en Roumanie, arrêté 2 jours plus tôt. Il y a aussi un afghan titulaire d’un titre de séjour en Allemagne, et un Egyptien qui vit en France depuis 11 ans et est père de 2 enfants scolarisés.

La plupart ne parlent pas français, et surtout ne comprenne pas grand chose à ce qu’il se passe ni aux enjeux de l’administration française (nous non plus à vrai dire).
Parfois l’interprete est à côté d’eux. Parfois elle est dans le bureau de la juge, en visio donc. La situation de certains sera expédié en moins de 5min.
5min pour 28 jours d’enfermement en plus, et une probable expulsion forcée à la clé.

Voici des extraits de 2 jugements

2d jugement

Mr D. est né en 1993 en Turquie. Il a reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) en décembre 2023, et s’est fait arrêté et enfermé dans le CRA il y a 2 jours (nous sommes le 17 janvier).

Son avocate est en visio, avec la juge et ses assistantes. L’interprête, quand a elle, est à côté de lui. Après avoir présenté la situation de Mr. D. et l’enjeu du jugement, çàd de potentiellement lui rajouter 28 jours supplémentaire d’enfermement au CRA afin d’organiser son expulsion, voici à quoi ressemble les discussions :

Juge des libertés et de la détention (JLD) - "Mr. D., avez vous quelque chose à dire ?"
(traduction)
Mr D. - "Je ne veux pas rentrer, j’ai déjà expliquer ma situation."
(traduction, idem à chaque prise de parole)
JLD - "Nous ne sommes pas là pour remettre en cause la rétention"
D. - "Comment ça va se passer. Je vais être expulser de force ?
JLD - "Nous allons examiner s’il y a des vices de procédures ou si votre recours est pris en compte. Si ça n’est pas le cas, vous resterez 28 jours de plus le temps de vous faire reconduire en Turquie."
D. - "Si je veux faire une demande d’asile, je demande à qui ?"
JLD - "Vous devez voir avec France Terre d’Asile. Mais on en est pas là. Qu’avez vous à dire Mme Avocate ?"
Avocate - D’un ton monotone et en restant dos à la caméra - "Je n’ai pas trouvé de vice de procédure, et je ne soutient pas le recours pour Mr. D." [à quoi tu sers alors ?]
D. - "J’ai discuté avec France Terre d’Asile, je pensais avoir déjà fait ma demande d’asile."
JLD - "Je n’ai rien reçu. Vous avez 5 jours pour le faire. Nous prenons 5min de pause pour décider du jugement."

5min plus tard
JLD - "Il n’y a pas d’irrégularité dans la procédure, vous êtes donc maintenu pour 28 jours supplémentaire."
D. - "Mais je vous ai dit que je ne voulais pas rester ici !"
JLD - "Vous avez 24h pour faire appel auprès du tribunal administratif."
D. - "Je ne comprend pas ce que je fais ici en prison."
JLD - "Vous n’êtes pas en prison, vous êtes retenu car en inégalité sur le territoire français."

4e jugement

Mr R. est né est Egypte. Détenu depuis 2 jours dans le CRA de Calais, il est père de 2 enfants qui ont été pris en charge par l’ASE (l’Aide Sociale à l’Enfance) au moment de son arrestation. Il conteste sa détention en CRA.

(Toujours avec la traductrice)
Mr R. - "Ma fille est malade, elle a besoin de son père. L’État français ne peut pas séparer un père de ses enfants."
"L’humanité doit primer sur certaines loi."
"Vous m’avez séparé de mes enfants juste parce que je n’ai pas les bon documents."

Avocate - "Mr. R. a une vie stable depuis 2013 en France. Ces enfants sont scolarisés ici. La rétention est une atteinte à la vie de famille. Pour le bien des enfants je demande à ce qu’il soit remis en liberté."
JLD - "Est-ce qu’il rajoute quelque chose ou... ?"
R. - "La France est le pays des droits de l’homme. Je dois sortir car mes enfants ont besoin de leur père."

Après 2min de pause pour la décision
JLD - "Mr R. sera remis en liberté car la détention est disproportionnée au regard de sa situation familiale. Si le procureur de la république ne fait pas appel, il sera liberé dans les 10h."

Au total : 2 exilés sur 7 seront remis en liberté, les autres auront 28 jours de détention supplémentaires, le temps de trouver un accord de renvoi avec leur pays et / ou de trouver un avion pour organiser leur départ.

En France, c’est 11 nouveaux CRA qui sont en projet de construction d’ici 2027, dont 1 à Dunkerque, une ville collée à Calais où (sur)vivent plusieurs centaines d’exilé.es pour tenter la traversée vers l’Angleterre. Un groupe anti-CRA Dunkerque vient tout juste de se monter pour lutter contre ce projet et la politique migratoire meurtrière française.


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